La plupart des professionnels de santé sont régulièrement confrontés à la prise en charge de patients porteurs de plaies dans leur pratique quotidienne. Ils interviennent comme acteurs de première ligne et se doivent d’être responsabilisés à cette problématique.
En 2015 l’Assurance maladie a publié les résultats d’une enquête effectuée en 2012 montrant 667 194 patients au domicile porteurs de pansements dans le cadre de plaies chroniques (23 % d’escarres, 66 % d’ulcères, 11 % de plaies du pied diabétique) (1).
Une plaie chronique se définie comme une plaie dont le délai de cicatrisation est allongé. Elle est considérée comme chronique après quatre à six semaines d’évolution, selon son étiologie. Les causes de plaie chronique incluent notamment les ulcères de jambe, les escarres, les plaies du diabétique et les moignons d’amputation (2). Ces plaies chroniques nécessitent la mise en place de techniques de détersion. Rappelons que le traitement d’une plaie est avant tout celui de son étiologie (HAS).
La détersion des plaies : définition et objectifs
Le terme détersion vient du latin detergere qui signifie nettoyer. Elle correspond à l’élimination des débris et des tissus inertes pour obtenir un milieu favorable à la cicatrisation. Elle diffère du lavage/nettoyage de plaies aiguës.
Les objectifs de la détersion sont :
- d’éliminer la nécrose, la fibrine, les débris tissulaires et les tissus infectés qui sont des obstacles à la cicatrisation,
- de diminuer la charge bactérienne,
- d’agir sur l’inflammation,
- de passer au stade de bourgeonnement,
- d’éliminer le biofilm,
- de réactiver le processus de cicatrisation physiologique,
- de permettre d’évaluer objectivement la plaie (profondeur, décollement…).
Les types de plaies à déterger :
- les plaies nécrotiques,
- les plaies fibrineuses,
- l’hyperkératose.
Les contre-indications à la détersion :
- stade 4 distaux de l’artériopathie.
- certaines plaies cancéreuses.
- chez le patient douloureux.
- pour certains patients en contexte palliatif ou pour soins de confort.
Six types de détersion des plaies
La détersion naturelle
Dans le cas d’une cicatrisation physiologique « normale », la vasodilatation des artérioles provoque une augmentation du métabolisme local, l’exsudation de plasma sanguin et la migration des neutrophiles vers la plaie. Les neutrophiles activent les monocytes et sécrètent des médiateurs provoquant une inflammation. Les monocytes migrent ensuite vers la plaie et se transforment en macrophages pour assurer son nettoyage et secréter des facteurs de croissance tissulaire. Après trois jours, la plaie est « propre ». L’inflammation s’arrête.
Si la détersion n’est pas complète, l’inflammation persiste, ainsi que tous les processus de détersion.
La détersion autolytique
Elle permet de favoriser la détersion naturelle en maintenant un milieu chaud et humide grâce à l’application de pansements qui dissocient les tissus nécrotiques. Initié par les travaux du docteur Winter dans les années 60, le principe du milieu humide est à ce jour reconnu internationalement comme le principe de référence de la cicatrisation dirigée.
Le choix du dispositif médical doit s’effectuer dans le respect de ces règles d’utilisation (notices), des règles de bonnes pratiques (éviter les associations de pansements) et reste indissociable du traitement étiologique de la plaie. Le pansement doit permettre d’obtenir un milieu humide optimal, à savoir ni trop sec, ni trop humide.
On utilise en phase de détersion :
- les hydrogels sur des nécroses sèches et/ou de la fibrine adhérente,
- les irrigoabsorbants sur des plaies fibrineuses et/ou nécrotiques peu à modérément exsudatives,
- les alginates sur des plaies fibrineuses aux exsudats modérés à importants. Le choix d’un alginate peut être motivé par la capacité hémostatique du dispositif, permettant la gestion de saignements modérés,
- les fibres HPA (haut pouvoir d’absorption) sur des plaies fibrineuses modérément à très exsudatives,
- les hydrocolloïdes (peu utilisés), toujours à la classification de la HAS pour des plaies fibrineuses ou nécrotiques mais contre-indiqués sur les plaies infectées et les artériopathies distales.
La détersion mécanique
Il s’agit de la détersion effectuée au lit du malade, historiquement faite par les infirmiers. Le code de santé publique précise par le décret 2002-194 que la surveillance et les soins de plaies chroniques font partie du rôle propre infirmier. Il indique également que les infirmiers sont tenus de prodiguer des soins en fonction de leurs connaissances et de l’évolution des sciences et techniques. De plus, le code civil (article) 16-3 stipule qu’il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement.
Des règles de bonne pratique sont à respecter :
- éviter de faire saigner (protection des tissus sains) et posséder des connaissances anatomiques précises afin de ne pas réaliser un geste délétère,
- prendre en charge la douleur,
- avoir un matériel adapté, ce qui influence grandement la qualité de la détersion.
>> LIRE AUSSI – Débridement des plaies par l’infirmière : pourquoi, quand le faire et jusqu’où ? >>
La détersion chirurgicale
Ce geste est réalisé par un chirurgien et a lieu au bloc opératoire où le patient bénéficie d’une anesthésie (locale, loco-régionale ou générale). Cette technique permet une excision complète de la nécrose et l’ablation des tissus nobles nécrosés comme l’os ou le tendon par l’utilisation d’outils chirurgicaux spécifiques (bistouri électrique, hydrothérapie…). Elle peut intervenir dans le parcours de soin du patient afin de passer un cap en cicatrisation, quand une détersion mécanique au lit du malade s’avère insuffisante ou irréalisable.
La détersion enzymatique
Cette technique consiste à appliquer quotidiennement une crème protéolytique pour éliminer les tissus fibrineux et nécrotiques. Ces dispositifs sont agressifs pour la peau périphérique car il n’existe pas de sélection entre la peau saine et la peau lésée.
L’utilisation de ces dispositifs peut aussi entraîner des douleurs locales pendant la durée du port du pansement ainsi qu’au retrait, douleurs nécessitant la prise d’antalgiques. Peu utilisée actuellement en France, cette technique fait l’objet d’études notamment dans le domaine des brûlures.
La larvothérapie, aussi nommée luciliathérapie
Cette technique consiste à utiliser des larves stérilisées de type Lucilia seritica et Phormis regina se nourrissant exclusivement de tissus morts. En France, il est possible d’avoir recours à la larvothérapie depuis 2006 uniquement sous forme de « biobag » et seulement dans le cadre d’une ATU nominative. En plus de son atout en matière de détersion, la larvothérapie présente un intérêt dans la désinfection des plaies et la promotion du tissu de granulation.
L’utilisation des larves est contre-indiquée :
- sur les nécroses sèches puisque les larves ont besoin d’un milieu humide pour survivre,
- dans les plaies cavitaires,
- sur les zones anatomiques présentant une proximité avec un gros vaisseau (risque d’effraction de la paroi vasculaire par les enzymes digestives larvaires).
Les effets secondaires décrits sont la difficulté d’acceptabilité des patients et des soignants, l’altération de la peau périphérique ainsi que les douleurs associées surtout chez les artériopathes.
Elle se doit d’être pratiquée par des équipes formées et dans le cadre d’un circuit organisé (respect des délais d’acheminement) (3).
>> LIRE AUSSI – Les soins de stomies : les stomies digestives >>
Les dispositifs médicaux pour la détersion des plaies
Les nécrosectomies peuvent s’effectuer avec un bistouri n° 23 ou 21 et/ou des ciseaux stériles associés à l’utilisation d’une pince stérile. Les pinces à griffes stériles permettent d’agripper plus facilement les tissus que des pinces « classiques ». Les bistouris constituent aussi des outils efficaces mais nécessitent une gestuelle assurée et maîtrisée (ci-dessous).
La détersion de la fibrine est réalisable avec des compresses de gazes tissées sèches ainsi qu’avec des curettes dermatologiques de différents types (ci-dessous).
D’autres dispositifs spécifiquement destinés à la détersion sont actuellement disponibles sur le marché mais les compresses de détersion sont non remboursées. L’utilisation d’un hydrojet permet l’ablation de la fibrine peu adhérente. Elle se réalise en milieu hospitalier ou en hospitalisation à domicile (HAD) et nécessite le port d’une surblouse, de lunettes et d’une charlotte pour se protéger des projections. La solution est projetée dans la plaie par pression murale ou bouteille par effet « karcher » (ci-dessous).
La détersion des hyperkératoses, notamment dans le mal perforant plantaire, doit s’effectuer quotidiennement et peut être associée à des soins de pédicurie (4). L’objectif est de diminuer l’appui, obtenir une cicatrisation et d’éviter une infection.
La prise en charge de la douleur
Le traitement per os ne suffi t jamais (sauf neuropathie). Les différents traitements proposés sont :
- la lidocaïne 2 % gel urétral ou lidocaïne 5 % spray, hors AMM, agit de 12 à 45 min, à appliquer sur les plaies.
- EMLA (AMM dans le cadre des ulcères) efficace au bout de 45 min, à appliquer en périphérie des plaies.
- un mélange équimolaire d’oxygène (50 %) et de protoxyde d’azote (50 %) : uniquement en milieu hospitalier ou HAD.
Conclusion
Il existe plusieurs techniques de détersion des plaies chroniques qui peuvent être combinées entre elles pour optimiser leur efficience.
La détersion est indispensable au traitement local de la plaie dans un contexte de prise en charge générale (étiologie, nutrition, support, compression, alimentation…)
Les plaies ne font pas partie de la formation de base des infirmiers, ce qui peut expliquer parfois la difficulté des soignants à être à l’aise dans la réalisation du geste de détersion. Il existe aujourd’hui différents moyens d’accéder à la formation (DU Plaies et Cicatrisation, congrès, formations DPC, SFFPC, télémedecine, e-learning…). Et en cas de difficultés, il ne faut pas hésiter à passer la main en orientant le patient vers des centres experts.
Andrée Alice Allain (Infirmière experte en plaies et cicatrisation),
Amélie Chopin et Lomig Le Bihan (Infirmières DU Plaies et Cicatrisation)
Pôle MPR Saint-Hélier, Rennes
Cet article est paru dans le numéro 29 d’ActuSoins Magazine (juin 2018)
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Bibliographie
(1) Améliorer la prise en charge des plaies chroniques, l’Assurance Maladie, 18 mars 2015.
(2) Bon usage des technologies médicales, Les pansements indications et utilisations recommandées, HAS, avril 2011.
(3) www.cicatrisation.info/methodes-therapeutiques/aspects-medicaux/larvotherapie.html
(4) Séances de prévention des lésions des chez le patient diabétiques, par le pédicure-podologue, HAS, juillet 2017.
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