Selon la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR), plus de 13 millions d’anesthésies sont pratiquées chaque année en France, que ce soit pour un acte chirurgical, un examen endoscopique, un acte interventionnel sous imagerie… L’anesthésie est donc un acte médical extrêmement fréquent.
Mais l’anesthésie est sans doute victime de la persistance de certains clichés hérités des balbutiements de la discipline, lorsque le chirurgien l’effectuait à l’aide de moyens rudimentaires comme l’éther ou le chloroforme.
En réalité, l’anesthésie est l’une des spécialités médicales les mieux encadrées et les plus sûres. Depuis 1994, à l’initiative de la SFAR, la législation a rendu obligatoire :
- deux consultations pré-anesthésiques avant toute opération chirurgicale, l’une au moins 48 heures avant l’opération et la seconde (visite pré-anesthésique) dans les 24 heures qui précèdent l’intervention ;
- une préparation minutieuse du site d’anesthésie ;
- une surveillance en Salle de Soins Postinterventionnelle (SSPI) après l’intervention.
Cette responsabilisation de la discipline a permis de diviser par 10 le nombre de complications en plus de 30 ans (en 1983 : le risque de décès était de 1 sur 10 000 interventions). Aujourd’hui, le risque d’événement en anesthésie est de l’ordre de 1 sur 100 000 à 200 000, soit très inférieur à celui d’une intervention chirurgicale, ou même d’un simple traitement médical. Ce niveau de sécurité est comparable à celui du monde de l’aéronautique.
De la consultation d’anesthésie au passage en SSPI : un parcours très sécurisé
La consultation d’anesthésie
Obligatoire et réglementaire (art D6124-91 et D6124-92 du Code de la Santé Publique (CSP)), la consultation d’anesthésie (CA) est réalisée par le médecin anesthésiste réanimateur (MAR) entre 48 heures et une semaine avant toute intervention programmée, nécessitant une anesthésie générale (AG) ou une anesthésie locorégionale (ALR).
Elle permet d’évaluer l’état de santé du patient, d’analyser les risques de morbi-mortalité péri-opératoire en lien avec le terrain, le geste chirurgical et le type d’anesthésie, de définir la stratégie anesthésique la plus adaptée en fonction de l’acte opératoire et du terrain du patient, d’anticiper la stratégie analgésique et d’évaluer les risques hémorragiques.
Cet échange permet l’information éclairée du patient et le recueil de son consentement. C’est un document médico- légal, intégré au dossier médical du patient.
Ensuite, la visite pré-anesthésique est faite par le MAR dans les 24 heures précédant l’acte nécessitant une anesthésie (4ème alinéa de l’article D.6124-92 du CSP).
Le contexte de l’urgence n’exempte pas d’une CA, même si la situation critique est prédominante (urgence vitale immédiate ou différable de quelques heures : hémorragie, ischémie, sepsis sévère, pronostic fonctionnel grave). Dans ce cas, elle est réalisée juste avant la chirurgie et une procédure anesthésique particulière est adoptée.
La préparation du site d’anesthésie
L’arrêté du 3 octobre 1995 impose la préparation et la vérification du site d’anesthésie à l’ouverture du programme opératoire et entre chaque patient par un infirmier anesthésiste diplômé d’état (IADE). Elle sera adaptée en fonction du patient (âge, antécédents…) et de la chirurgie (intervention, durée, gravité…).
Quelque soit la technique anesthésique retenue (AG ou ALR), l’article D6124-94 impose le monitorage et des éléments de surveillance indispensable lors d’une anesthésie.
Seul un IADE est habilité à « pratiquer les techniques suivantes : AG, ALR… » et « exerce ses activités sous le contrôle exclusif d’un MAR… » (art R.4311-12 du CSP).
Un passage incontournable : la SSPI
La phase de réveil est une phase critique au cours de laquelle près de la moitié des accidents imputables à l’anesthésie (AG, ALR ou sédation) surviennent.
Les risques proviennent des effets résiduels de l’anesthésie, des conséquences de l’acte chirurgical pratiqué, des pathologies préexistantes du patient.
Les articles D 6124-97 à D 6124-103 du CSP définissent réglementairement l’organisation et le fonctionnement de la SSPI et imposent la surveillance systématique de tout patient ayant bénéficié d’une AG ou d’une ALR en SSPI. Le rôle de la SSPI est d’assurer la récupération des grandes fonctions vitales, de prévenir et de traiter la douleur ainsi que les nausées et vomissements post-opératoire (NVPO) et de prendre en charge toute complication liée à l’intervention, à l’anesthésie et/ou aux antécédents du patient.
La sortie du patient de la SSPI est validée en fonction de l’état clinique et paraclinique du patient, de l’absence de douleur, de NVPO et de complications chirurgicales. Elle doit être signée par le MAR responsable. Plusieurs scores de sortie existent, le plus connu étant le score d’Aldrete [modifié] (supérieur à 9).
Comment préparer le patient ?
Tout d’abord, « avoir peur » est un phénomène de protection qui se met en place lorsque l’on ressent un danger. Le patient doit accepter d’avoir peur. L’anesthésie est une action réversible, indispensable pour supporter un acte chirurgical ou un examen endoscopique.
Quelques bonnes pratiques pour diminuer l’anxiété :
- écouter et rassurer le patient ;
- utiliser une communication positive ;
- inciter le patient à poser toutes les questions au MAR lors de la consultation d’anesthésie. Son rôle est de rassurer et d’expliquer le déroulé et la durée de l’anesthésie, les médicaments utilisés, les risques potentiels ainsi que les effets secondaires ;
- utiliser des techniques de relaxation et de respiration afin de mieux gérer les émotions, voir des techniques d’hypnose si le personnel soignant est formé. De plus en plus, le personnel de bloc opératoire se forme aux techniques d’hypnose et accompagne au mieux les patients lors de leur passage au bloc opératoire ;
- proposer de la musicothérapie, un dispositif de réalité virtuel ;
- proposer éventuellement une prémédication avec un anxiolytique per os : alprazolam (Xanax®).
Prémédication et jeûne pré-opératoire
La prémédication
De nombreuses études ont remis en cause l’efficacité de la prémédication sur l’anxiété des patients. De plus, avec l’émergence de « l’Accueil du patient debout » au bloc opératoire, elle n’a, à ce jour, plus sa place, dans la prise en charge anesthésique du patient hormis pour quelques rares cas isolés.Le jeûne pré-opératoire
L’objectif est de réduire le contenu gastrique préopératoire pour limiter les effets potentiellement graves de l’inhalation bronchique (pneumopathie). Les médicaments d’anesthésie favorisent la diminution du tonus du sphincter inférieur de l’oesophage, la diminution des réflexes laryngés.Il est important d’être à jeun même en cas d’ALR car il peut être nécessaire de convertir l’ALR en AG.
Le patient a le droit de :
• manger jusqu’à 6 heures avant une intervention programmée,
• boire des liquides clairs (eau, thé et café sans lait, jus de fruits sans pulpe) jusqu’à 2 heures avant une intervention programmée.Il est fortement recommandé d’éviter de fumer une cigarette (augmentation de la sécrétion acide de l’estomac) ou de vapoter au moins 2 heures avant l’intervention. En cas de chirurgie en urgence (non-respect des consignes de jeûne), une procédure anesthésique particulière (induction séquence rapide avec manoeuvre de Sellick) sera adoptée.
L’anesthésie : plusieurs techniques possibles
L’anesthésie – du grec an (priver) et aïthêsis (sensibilité) – est un ensemble de techniques qui permet la réalisation d’un acte chirurgical, obstétrical ou médical (endoscopie, radiologie…) en supprimant ou en atténuant la douleur provoquée pendant l’acte, ainsi qu’après l’intervention dans des conditions optimales de sécurité. Il existe deux grands types d’anesthésie : l’anesthésie loco-régionale (ALR) et l’anesthésie générale (AG).
L’ALR anesthésie loco-régionale
L’ALR se définit comme un blocage de la conduction de l’influx nerveux, de façon réversible et temporaire, suite à l’injection d’un anesthésique local (AL) dans un territoire corporel prédéfini. Elle permet une analgésie efficace tout en préservant l’état de conscience du patient. Elle peut être médullaire (rachianesthésie, anesthésie péridurale) ou périphériques (bloc fémoral, interscalénique, poplité…).
Une AG (anesthésie générale) peut être associé à une ALR, soit en raison des particularités anesthésiques recherchées, afin d’optimiser l’analgésie per et postopératoires (suite à une chirurgie digestive ou thoracique lourde), soit car elle devient indispensable en cas d’insuffisance ou d’échec de l’ALR.
L’AG anesthésie générale
L’AG associe une perte de conscience réversible (narcose), une abolition des réactions neurovégétatives à la douleur (analgésie) et, selon la nature de la chirurgie, un relâchement musculaire (curarisation). Cet état correspond à un coma médicamenteux contrôlé, induit par injection intraveineuse de médicaments (AG intraveineuse) ou par inhalation de gaz anesthésiques – AG inhalatoire, technique réservée aux jeunes enfants afin de minimiser le stress de la pose de voie veineuse périphérique (VVP) –, voire une association des deux techniques (AG balancée).
L’analgésie permet de prévenir les stimulations douloureuses lors des manoeuvres de ventilation manuelle (subluxation…), de laryngoscopie et surtout de supporter les stimuli chirurgicaux (incision, écarteurs, bistouri électrique, dissection, ciment orthopédique, scie à os…) pendant toute la durée de l’intervention.
L’AG (anesthésie générale) comporte trois phases : l’induction (endormissement), l’entretien (avec inhalation de gaz et réinjections de morphiniques, de curares en fonction de la durée de l’acte opératoire) et le réveil. Trois familles de médicaments sont utilisées.
Un cocktail de trois familles de médicaments
• Les hypnotiques provoquent l’endormissement et entrainent une perte de conscience. Le plus ancien est le thiopental (hypnotique barbiturique d’action rapide). Le propofol (hypnotique non barbiturique) est le plus couramment utilisé. Il permet une induction et un réveil rapide et diminue fortement les NVPO.
L’etomidate (hypnotique non barbiturique) est indiqué chez le patient cardiaque ou avec instabilité hémodynamique (choc septique, hémorragique …).• Les morphiniques sont des analgésiques d’action centrale et leur puissance est variable. Le sufentanil, 500 fois plus puissant que la morphine, est le plus utilisé car il a une durée d’action élevée (40 à 60 minutes). Il persiste une « queue d’analgésie » en post opératoire pendant 1 h-1 h 30, rendant très confortable le réveil des patients.
Le rémifentanil (Ultiva®), 50 fois plus puissant que la morphine, est un analgésique de très courte durée, très puissant, administré en continu. Son originalité vient de son effet «on/off». L’analgésie post opératoire doit impérativement être anticipée avec une titration morphine en per opératoire.• Les curares permettent un relâchement musculaire en bloquant la transmission de l’influx nerveux à la jonction neuromusculaire des muscles squelettiques (sauf pour le coeur) dont les muscles respiratoires. Ils sont utiles pour faciliter l’intubation trachéale (en relâchant les muscles des cordes vocales et favoriser l’ouverture de la glotte) et pour faciliter le travail du chirurgien particulièrement en chirurgie digestive et abdominale. Il en existe deux types principaux :
– la succinylcholine (Celocurine®) est le seul curare dépolarisant, recommandé dans le cadre d’une induction séquence rapide. Son délai action est rapide (1 min) et rapidement réversible (5-10 min) et il facilite une intubation rapide dans de bonnes conditions, ce qui permet de protéger l’appareil respiratoire de l’inhalation du contenu de l’estomac ;
– les curares non dépolarisants : atracurium (Tracrium®), rocuronium (Esmeron®). Leur délai (3 min) et durée d’action (30-45 min) sont plus longs. Ils facilitent l’intubation et facilite le travail du chirurgien.
Leur utilisation nécessite un monitorage particulier (curamètre) afin de surveiller la profondeur de la curarisation en peropératoire et la décurarisation complète en fin d’intervention.
Gestion des voies respiratoires, surveillance et réveil
L’un des points critiques de l’anesthésie générale est la gestion des voies respiratoires, au moment de l’induction et du réveil. En fonction de l’acte chirurgical, de sa durée, de la position du patient pendant l’intervention et des antécédents du besoin, un dispositif de ventilation (masque laryngé, intubation oro-trachéale voir naso-trachéale) sera décidé.
La surveillance peropératoire
Élément fondamental de la sécurité, la surveillance du patient est multiple et consiste à :
- entretenir l’anesthésie (narcose, analgésie, curarisation), tout en surveillant les paramètres hémodynamiques et respiratoires, parallèlement aux différents temps opératoires,
- assurer un remplissage vasculaire adéquat tout en surveillant les saignements éventuels,
- anticiper l’analgésie post opératoire,
- prévenir l’hypothermie et les NVPO,
- détecter et traiter les complications éventuelles.
Le réveil
C’est une période complexe avec le retour de la conscience, la disparition des effets des drogues anesthésiques, la réapparition de la douleur avec ses conséquences neuro-endocriennes et l’apparition des conséquences de l’acte chirurgical. De nombreux critères (généraux et spécifiques aux médicaments d’anesthésie) sont requis avant d’envisager le réveil et le retrait du dispositif de ventilation du patient.
Ces critères généraux sont nombreux :
- normothermie (T° > à 36,5 °C),
- normoxie (SpO2 > 95 %) et normocapnie,
- paramètres hémodynamiques stables +/- 20 % des valeurs préopératoires,
- absence de signes de complications sur le plan chirurgical (absence de saignement). Ensuite, des critères plus spécifiques à l’élimination des drogues d’anesthésie sont recherchés.
Les complications liées à l’AG Anesthésie Générale
De nombreuses études ont montré que les complications surviennent essentiellement au moment du réveil, liées à :
- une curarisation résiduelle,
- une morphinisation résiduelle,
- un risque de douleur postopératoire,
- un risque d’incident ou d’accident respiratoire postopératoire : hypoxie, atélectasie, insuffisance rénale aiguë, inhalation…,
- un risque d’incident ou d’accident circulatoire postopératoire : hypotension artérielle, hypertension artérielle, accident coronarien, troubles du rythme, arrêt cardio- respiratoire…,
- un risque d’incident ou d’accident neurologique postopératoire : retard de réveil, confusion, agitation (douleur, globe vésical), AVC, crise d’épilepsie, surdosage, hypoglycémie, troubles ioniques…,
- un risque de NVPO (voir ci-dessous),
- des maux de gorge ou un enrouement suite à l’intubation orotrachéale ou la mise en place d’un masque laryngé,
- des traumatismes dentaires,
- des troubles de la mémoire, baisse des facultés intellectuelles peuvent survenir dans les heures qui suivent, D’autres complications peuvent être liées à une transfusion sanguine, lors de l’intervention chirurgicale.
Les NVPO
Les nausées et vomissements sont un mécanisme de protection de l’organisme contre l’ingestion de substances toxiques. Leur fréquence concerne 10 % des patients environ.
La nausée est une expérience subjective désagréable, caractérisée par un malaise général, souvent accompagné par des signes parasympathiques (bradycardie, sueurs) et l’impression d’un vomissement imminent.
Le vomissement est un rejet actif du contenu gastrique par la bouche. Il existe des facteurs prédictifs (score d’Apfel). La chirurgie coelioscopique favorise la survenue de NVPO. Afin de prévenir et de limiter l’incidence des NVPO, l’utilisation d’antiémétiques comme la dexaméthasone, le dropéridol (Droleptan®) ou l’ondansetron (Zophren®), en per et postopératoire, permettent de prévenir et de traiter ces troubles très désagréables, particulièrement chez les patients ayant un score d’Apfel supérieur à 2 (voir tableau).
Conclusion
A l’image du binôme « pilote/co-pilote », le binôme « MAR et IADE » est le garant de la sécurité anesthésique du patient. Toutes les procédures sont mises en place pour maîtriser le risque et faire de l’anesthésie l’un des facteurs du bon déroulement des interventions chirurgicales.
Laurence PIQUARD,
IADE
Bibliographie :
• Recommandations SFAR.org
• La SFAR répond à vos questions : l’anesthésie en 10 questions
Cet article est paru dans ActuSoins Magazine
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