Jusqu’au milieu du vingtième siècle, il était normal d’avoir mal. La douleur était un symptôme à préserver et la douleur induite faisait partie du soin. Depuis, de nombreuses études ont permis de mieux comprendre les causes de la douleur, ses mécanismes, ses conséquences ainsi que l’effet des traitements. La douleur induite, survenant dans des circonstances prévisibles et susceptibles d’être prévenues, doit être impérativement prise en charge par l’infirmier avant, pendant et après le renouvellement d’un pansement.
Cet article a été publié dans le n°52 d’ActuSoins magazine (mars – avril – mai 2024).
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Facteurs multidimensionnels de douleur
La douleur est aujourd’hui définie comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée ou ressemblant à celle associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle » (I.A.S.P, 2020).
Cette définition met en évidence une expérience subjective et multidimensionnelle ainsi que l’absence de relation entre l’étendue de la lésion et l’intensité de la douleur. L’intensité n’est donc ni proportionnelle au nombre de plaies, ni à leur étendue, ni à leur profondeur.
Lors de la prise en charge des plaies, l’infirmier devra prendre en compte :
- des facteurs neurophysiologiques permettant d’identifier le type de douleur et sa localisation,
- des facteurs psychologiques et cognitifs qui influencent la subjectivité de la douleur et les comportements verbaux et non verbaux (agressivité, pleurs, postures antalgiques, gémissements…). La tonalité désagréable voire insupportable de la douleur peut produire peur, stress, anxiété et dépression. L’éducation, la culture, les croyances, les expériences antérieures, l’interprétation et le contexte de prise en charge ont un impact sur la signification de la douleur et sur le vécu du patient.
Une douleur non prise en charge peut :
- majorer l’appréhension et la peur des soins, et altérer la relation de confiance soignant-soigné jusqu’à un refus de soins,
- impacter la qualité de vie avec des conséquences psychologiques, physiques et sociales à long terme,
- influencer le processus de cicatrisation : en cas de douleurs sévères, la respiration peut être superficielle et impacter l’oxygénation des tissus, ce qui nuit à la cicatrisation et peut favoriser l’infection ; elle augmente également le risque de douleur chronique.
Deux types de douleurs associées aux plaies
La douleur liée aux plaies, possible jusqu’à cicatrisation, est majoritairement aiguë (< 3 mois). En cas de défaut ou d’inefficacité du traitement, cette situation peut évoluer vers une forme chronique qui implique une prise en charge locale, mais également psychologique et sociale.
Les douleurs nociceptives
Les douleurs nociceptives proviennent des lésions tissulaires de la peau. Les voies nerveuses sont intactes, les douleurs sont localisées sur le lit et les berges de la plaie. La douleur peut être continue ou intermittente, mécanique ou inflammatoire.
Chaque phase de cicatrisation peut être douloureuse : la phase détersivo-inflammatoire lors de la migration des macrophages et des lymphocytes ainsi que la prolifération des cellules cutanées (douleurs inflammatoires) ; et les phases de bourgeonnement et d’épidermisation au cours de la régénération de tissus riches en terminaisons nerveuses. En cas de plaie nécrotique, les tissus sont détruits mais la douleur peut se manifester en périphérie de la plaie.
Les douleurs neuropathiques
Les douleurs neuropathiques proviennent de l’atteinte des nerfs périphériques au niveau du lit de la plaie. Les douleurs peuvent être continues, paroxystiques, provoquées ou spontanées et être décrites comme des brûlures, des fourmillements, des décharges électriques ou des crampes.
Douleur de fond, induite ou incidente
La douleur de fond est une douleur intermittente ou permanente qui apparaît au repos en dehors de toute activité ou manipulation. Elle peut-être liée :
- au processus de cicatrisation,
- à des facteurs locaux : une irritation et une macération par contact de l’exsudat avec le tissu sain, une sécheresse cutanée, des lésions dermatologiques ou un oedème,
- à des affections surajoutées : une ischémie ou une infection.
La douleur induite peut varier en intensité, qu’elle se situe sur le lit de la plaie ou en périphérie, et peut entraîner stress et appréhension. Chaque étape du changement de pansement d’une plaie aiguë ou chronique peut être douloureuse.
- Le retrait de pansement est souvent considéré comme l’étape la plus douloureuse notamment lorsque les pansements sont desséchés ou adhérents à la plaie, aux berges et à la périphérie, ce qui peut être traumatique.
- Le nettoyage de la plaie peut causer de la douleur, surtout lorsqu’il implique de fortes pressions pendant le douchage ou par frottement.
- La détersion mécanique, utilisant des instruments tels que des curettes, bistouris, brosses et pinces en cas de fibrine ou de tissus nécrosé majore le risque de douleur.
- L’application du pansement peut entraîner des complications telles que le frottement, l’appui excessif ou la compression. De plus, l’utilisation d’un pansement peu absorbant peut provoquer une irritation ou une macération, tandis qu’un pansement trop absorbant peut entraîner la sécheresse cutanée.
La douleur incidente est en relation avec les activités de la vie quotidienne lorsque la plaie est localisée au niveau de zones de pressions, de frictions et de mouvements fréquents.
La douleur peut perdurer quelques heures après le renouvellement du pansement.
Toute douleur majorée ou anormale peut être un signe d’aggravation ou de complication qui doit être transmis au médecin.
Évaluation de la douleur
Il est essentiel d’évaluer la douleur afin d’orienter la prise en charge et d’en apprécier son efficacité. Cette évaluation requiert l’utilisation d’un outil adapté au patient et au type de douleur (qu’elle soit aiguë, chronique, nociceptive ou neuropathique), avec la possibilité d’ajuster cet outil en fonction de l’évolution de l’état de santé du patient. En raison de la nature subjective de la douleur, il est recommandé de favoriser les outils d’auto-évaluation. Cependant, pour les patients âgés de moins de 4 ans ou ceux présentant des troubles cognitifs ou altérations de la conscience, il est impératif d’opter pour une hétéro- évaluation basée sur l’observation du comportement. L’évaluation de la douleur doit prendre en compte le « TILT » : type de douleur (symptomatologie, facteurs déclenchants, aggravants ou atténuants), intensité, localisation temporalité (début, durée).
Prise en charge médicamenteuse
Pour les douleurs nociceptives, les antalgiques de différents paliers (1, 2 et 3 selon la classification de l’OMS) sont prescrits en fonction de l’intensité de la douleur, éventuellement associés à des AINS (sauf en cas d’infection). Le respect du délai et de la durée d’action de chaque médicament assure une prise en charge efficace. En cas de douleurs neuropathiques, un traitement spécifique tel qu’un antidépresseur tricyclique ou un anticonvulsivant peut être utile.
L’analgésie doit être administrée à intervalles réguliers en cas de douleur de fond.
En cas de douleur procédurale, le début du soin devra respecter le délai d’action du traitement prescrit et se terminer avant la fin de son efficacité.
Une plaie ouverte possède de nombreux récepteurs, qui permettent l’application d’un topique recouvert d’un film occlusif. Il agit localement ce qui évite les effets secondaires des traitements d’action systémique. Il peut être à privilégier lorsque la plaie est la seule source de douleur et que celle-ci est essentiellement procédurale.
Prise en charge non médicamenteuse
Il est également essentiel de limiter l’anxiété du patient car celle-ci peut majorer sa perception de la douleur et accroître son appréhension lors des soins. Ainsi, l’infirmier doit :
- rechercher et écouter ses peurs, ses craintes, ses représentations et ses expériences antérieures de soins douloureux,
- lui expliquer le soin avec des mots simples et un discours clair, adaptés,
- l’impliquer dans le choix du lieu et du moment du soin, en fonction de ses activités et de sa fatigue, de l’ambiance lumineuse et sonore, de la présence éventuelle d’une personne ressource, de courtes pauses pendant le soin, etc.
- lui permettre une installation confortable et limitant les tensions musculaires,
- l’observer attentivement afin de repérer les signes de douleur et d’anxiété.
Dès le début du soin, et avec l’accord du patient, des techniques non pharmacologiques peuvent être utilisées. Certaines, telles que l’hypnose ou la relaxation, peuvent nécessiter une formation spécifique. D’autres méthodes plus simples, comme la distraction, qui implique de diriger l’attention du patient vers une activité visuelle ou auditive, peuvent facilement être mises en oeuvre.
Les techniques analgésiques de retrait de pansement
Afin de prévenir la douleur lors du retrait de pansement, il convient de réduire la traction de la peau et les traumatismes, en utilisant différentes techniques telles que :
- l’utilisation de la douche ou du sérum physiologique pour humidifier une plaie et un pansement secs,
- l’utilisation d’une paire de ciseaux aiguisés pour couper un bandage,
- l’utilisation d’un dissolvant pour enlever les pansements adhésifs,
- l’étirement parallèle à la peau pour les films semi-perméables transparents,
- le maintien de la peau péri-lésionnelle d’une main et le retrait du pansement de l’autre main effectué couche par couche en cas de compresses superposées.
Le soin des plaies
Le nettoyage de la plaie
Le nettoyage par douchage est considéré comme le plus efficace. La pression de l’eau doit être douce pour ne pas léser les berges, le bourgeonnement ou l’épidermisation de la plaie. Il est recommandé de maintenir le douchage pendant au moins dix à quinze minutes en cas de détersion. La température de l’eau doit plutôt être fraîche, le froid possédant des propriétés antalgiques. Cependant, cette température doit toujours être ajustée en fonction de la tolérance du patient.
Pendant la détersion, il est important de ne pas exercer de pression autour de la plaie ou sur les zones non nécrotiques. L’utilisation de gestes précis et francs, ainsi que de matériel de qualité (ciseaux bien aiguisés, bistouri à lame affûtée plus ou moins courbé, pinces fines) permet d’assurer une détersion minutieuse et sans traumatisme de manière rapide.
Le choix du pansement
Le choix du pansement doit être adapté à l’état de la plaie ainsi qu’à sa localisation, et aux tissus environnants. Il doit être non allergisant et permettre de :
- maintenir une cicatrisation en milieu humide tout en retenant ou en drainant l’exsudat,
- retirer le pansement de manière atraumatique pour la plaie et la peau péri lésionnelle.
Les pansements modernes se changent lorsqu’ils sont saturés, ce qui limite le renouvellement et diminue la sensibilité de la plaie et de la douleur de fond.
En cas de plaies fibrineuses, l’utilisation de pansements à action autolytique, tels que l’alginate ou l’hydrogel, limite la douleur par détersion mécanique. Leur transformation en gel facilite le retrait.
Pendant la phase de bourgeonnement, il est proscrit d’utiliser des pansements gras à larges mailles, car ils risquent d’arracher le bourgeon charnu et de coller à la plaie. Les pansements de type hydrofibre, hydrocellulaire et interface (en fonction de l’exsudat) sont à privilégier.
Les pansements en silicone ou en polyuréthane sont disponibles sous forme d’hydrocellulaires et d’interfaces adhésives conçus pour être en contact direct avec la plaie. Leur souplesse diminue la douleur d’incidence, préserve la peau périlésionnelle et les tissus cicatriciels en formation. Leur résistance permet un retrait rapide en monobloc, sans laisser de résidus, ce qui minimise les traumatismes et les douleurs lors du retrait.
Marianne Soulès, cadre de santé formatrice,
DU Plaies et Cicatrisation &
DIU Formation des professionnels de santé à la prise en charge de la douleur
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