En établissement de santé, le recours, pour les patients hospitalisés, à des repas ou des boissons en textures modifiées est une pratique de soins courante, notamment en cas de troubles de la déglutition. Cependant les appellations concernant les modifications des textures varient souvent d’un établissement à l’autre. Le point sur les recommandations.
On estime qu’il y a 10 à 19 % des personnes hospitalisées et au moins 30 à 59 % des personnes âgées institutionnalisées qui souffrent de troubles de la déglutition(1), lesquels peuvent porter sur l’alimentation solide et/ou liquide. Ces troubles ont des étiologies multiples : maladies neurodégénératives, AVC, cancers des voies aéro-digestives supérieures… S’ils ne sont pas pris en considération, ils peuvent conduire à la survenue de fausses routes, d’infections, voire d’obstructions des voies respiratoires. L’altération de l’efficacité de la déglutition conduit aussi, à terme, à une dénutrition et à une déshydratation. La dysphagie et la dénutrition s’aggravent mutuellement.
En dehors des troubles de la déglutition, d’autres situations peuvent nécessiter des adaptations de textures : blocage de mâchoire, extractions dentaires, certaines réalimentations en post-chirurgie ORL ou bariatrique… Des problématiques de troubles de la mastication, fréquents chez les personnes âgées, peuvent également s’ajouter. L’altération de la dentition ou le port de prothèse mal adaptée ne permet pas une mastication efficace et aggrave des troubles de la déglutition préexistants.
Des dénominations variées et divergentes
Dans les établissements de santé, force est de constater, une certaine dissonance dans le vocabulaire utilisé pour qualifier les repas en texture modifiée : « mixé, mixé lisse, mouliné, haché fin, haché, tendre, tendre-mouliné, liquide, fluide… ». Ces dénominations multiples et variées restent propres à chaque établissement et reflètent des réalités très différentes.
Les boissons épaissies ne sont pas en reste : la terminologie employée pour qualifier l’épaississement des liquides reste imprécise : sirop, nectar, miel liquide, compote, semi-liquide, semi-solide… On imagine aisément l’inquiétude des soignants et les problèmes posés, en termes de continuité des soins, lors du transfert d’un patient porteur de troubles de la déglutition d’une structure de soins à une autre, par exemple.
Pour faire face à cette absence de terminologie commune, des recommandations françaises, établies en 2019 et réitérées en 2022, nous encouragent à appliquer les normes de l’« International Dysphagia Diet Standardisation Initiative », plus connu sous le nom de l’IDDSI.
IDDSI : une classification universelle
L’IDDSI est un organisme composé d’experts internationaux dont des orthophonistes, diététiciens, médecins, patients et aidants. Ils ont mis au point en 2016 une classification universelle et standardisée comprenant huit niveaux de textures allant du liquide au solide. Chaque niveau est identifié par un libellé précis, un numéro de 0 à 7 et un code couleur. Il fait l’objet d’une description détaillée avec des méthodes de mesures spécifiques, pour favoriser l’application en pratique clinique.
En 2022, une terminologie française harmonisée des libellés a été proposée, conjointement, par la Société Francophone de Nutrition Clinique et Métabolisme et l’Association Française des Diététiciens Nutritionnistes. Les objectifs sont de sécuriser les soins nutritionnels destinés aux patients porteurs de troubles de la déglutition et d’améliorer la communication entre les professionnels, en utilisant un vocabulaire professionnel partagé par tous et ayant la même signification. Ces normes tendent à se mettre en place en France dans les établissements de santé, sous l’impulsion des sociétés savantes et des associations de professionnels de santé.
Les établissements ne sont pas tenus de proposer toutes les déclinaisons du diagramme de l’IDDSI. Selon leurs besoins et leurs possibilités, ils sont encouragés à proposer des textures et des grades d’épaississement de boissons conformes à la classification, tant au niveau de l’appellation que du contenu. Actuellement, plusieurs laboratoires de nutrition commercialisant des compléments nutritionnels oraux et des eaux gélifiées précisent sur les packagings l’IDDSI de leurs produits, pour une meilleure prise en charge des patients dysphagiques. À terme, il est attendu que les industriels de l’agroalimentaire s’emparent également de l’IDDSI, ce qui facilitera le travail des professionnels de restauration, lors des procédures d’achats et d’élaboration de menus.
Dans le cadre de troubles de la déglutition, le niveau d’épaississement et les repas en texture modifiée sont prescrits par le médecin, suite à un bilan de déglutition réalisé par l’orthophoniste ou le kinésithérapeute.
Les liquides épaissis
Pour déterminer le degré d’épaississement d’une boisson, l’IDDSI recourt à un test d’écoulement par gravité avec une seringue de 10 ml dont les caractéristiques sont spécifi ques. Le classement des boissons (voir tableau) s’opère, à partir de la vitesse d’écoulement du liquide en 10 secondes. Les paramètres d’écoulement de la boisson dans la seringue sont comparables à ceux mis en oeuvre lors de la déglutition.
La mesure du volume de liquide restant dans la seringue après 10 secondes, détermine son degré d’épaississement. Plus la boisson est épaisse, plus elle laisse de résidu dans la seringue. Pour le niveau 4, des tests complémentaires avec une cuillère inclinée et une fourchette doivent être réalisés pour vérifier la consistance, la cohésion et l’adhérence de l’échantillon.
Classification IDDSI pour les liquides épaissis
Les aliments en textures modifiées
Plusieurs tests simples, réalisables par tout un chacun, permettent de classifi er les aliments :
- le test de la cuillère inclinée : détermine la nature collante des aliments (adhérence) et leur capacité à se tenir ensemble (cohésion). L’aliment doit être suffisamment compact pour conserver sa forme dans la cuillère et doit tomber d’un bloc lorsque la cuillère est inclinée, toujours en conservant sa forme ;
- le test d’égouttement à la fourchette : indique l’épaisseur et la cohésion de l’échantillon ;
- le test de pression à la fourchette indique la dureté et la fermeté d’un aliment. Par ailleurs les espaces entre les dents d’une fourchette en métal standard mesurent généralement 4 mm, ce qui permet de mesurer aisément la taille des particules des aliments du niveau 5 : haché et lubrifié.
3 Niveau 3 : purée fluide
Texture lisse fluide sans morceaux qui ne peut être consommée à la fourchette, car elle s’écoule lentement entre les dents de la fourchette. Elle peut être bue au verre ou à la paille. Au test d’écoulement à la seringue, il reste 8 à 10 ml dans la seringue au bout de 10 secondes, comme pour le test aux liquides modérément épais.
4 Niveau 4 : purée lisse
Texture épaisse, lisse, sans grumeaux, qui conserve sa forme dans une cuillère et qui ne s’écoule pas entre les dents d’une fourchette. Ni ferme ni adhérente, elle ne nécessite pas de mastication. Elle ne peut être bue et doit être consommée à la cuillère ou à la fourchette. Le liquide et le solide ne se séparent pas.
5 Niveau 5 : haché lubrifié
Cette texture nécessite une mastication minimale. La force linguale suffit à écraser l’aliment contre le palais. Les aliments peuvent être facilement réduits en purée avec une légère pression de la fourchette, sans faire blanchir le blanc de l’ongle du pouce. La taille des particules est inférieure à 4 mm de largeur et 15 mm de longueur. L’aliment conserve sa forme dans la cuillère, il ne doit pas être collant et ne doit pas se séparer en grains individuels.
6 Niveau 6 : petits morceaux tendres
Ils peuvent être découpés avec la tranche de la fourchette pour réduire leur taille. L’aliment peut être écrasé avec la base de la fourchette, en faisant blanchir l’ongle du pouce. La texture doit être tendre et lubrifiée avec des particules de taille maximale 15 mm x 15 mm. La mastication est nécessaire avant la déglutition.
7 Niveau 7 : facile à mastiquer
La terminologie française des IDDSI de 2022 propose un niveau 7 composé de 2 échelons.
Aliments ordinaires de texture tendre, sans restriction de taille. La tranche de la fourchette permet de découper l’aliment, pour réduire sa taille. Pour s’assurer de la tendreté, l’aliment doit pouvoir s’écraser et se déformer lorsqu’il est pressé avec le dos de la fourchette. Sont exclus les aliments durs, fibreux, filandreux et secs. Les modes de cuisson doivent permettent d’atteindre, à eux seuls, une texture tendre. Du pain de mie peut être proposé.
7 Niveau 7 : normal
Tous les aliments sont autorisés. Le patient doit être en capacité de mâcher des aliments tendres ou durs et à les mastiquer suffisamment longtemps pour être avalés.
Vers une standardisation des repas
La standardisation IDDSI, élaborée par des experts internationaux et traduite dans toutes les langues, repose sur des méthodes de mesures simples, à la portée de tous, professionnels comme patients souffrant de troubles de la déglutition. En adoptant un langage commun et des pratiques communes, elle nous permet de sécuriser la prise en charge des patients dysphagiques et d’améliorer la communication entre les soignants. Cette problématique est absolument transversale, puisqu’elle concerne tous les établissements.
(1) Desport JC, Lerat Justine, Salle JY (2016) Troubles de la déglutition. In : Traité de nutrition artificielle de l’adulte. Noël Cano N, Barnoud D, Schneider SM,
Les travaux de l’IDDSI en traduction française sont accessibles librement en ligne, sur le site internet https ://iddsi.org.
Pratiques aux Hospices Civils de Lyon (HCL)
Pour épaissir les boissons, les soignants disposent d’une poudre épaississante qui peut être ajoutée dans les boissons froides ou chaudes. Un protocole écrit présent sur l’intranet du CHU, voire même dans les services, précise le mode opératoire pour reconstituer les boissons, en fonction du niveau d’épaississement prescrit et du volume souhaité. Les unités de soins sont équipées de verre doseur, pour mesurer le volume des liquides à épaissir, pour professionnaliser et sécuriser la préparation. Des eaux gélifiées prêtes à l’emploi, d’IDDSI 4, sont également disponibles. Pour les repas en texture modifiée, un travail est en cours pour proposer des déclinaisons conformes aux recommandations de l’IDDSI avec : purée fluide, purée lisse, haché lubrifié, facile à mastiquer et normal.
Christine LAVAUD-DURIEUX
Diététicienne HCL
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Cet article a été publié dans ActuSoins Magazine
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