La recherche, grande oubliée des infirmières ? La donne semble en train de changer, surtout depuis la réforme LMD (licence-master-doctorat) de 2009, qui universitarise le parcours infirmier et place la recherche au coeur du système de formation. Même si “la recherche est beaucoup plus développée dans les pays anglo-saxons, estime Marie-Laure Bourhis, qui mène un protocole de recherche au sein du groupe hospitalier Albert-Chenevier Henri-Mondor, cela a quand même beaucoup bougé en 30 ans. Avant, il n’y avait pas de programmes pour nous. Celles qui se lançaient dans la recherche étaient vraiment considérées comme faisant partie d’une élite.”
Mais de là à savoir combien sont les infirmières titulaires d’un doctorat ou doctorantes… Nous n’en sommes pas là. “Aujourd’hui, il n’existe aucun système de comptabilisation des doctorats délivrés par les universités, aucune base qui permette de savoir qui est doctorante ou non, mais il y en a certainement plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines”, selon Ljilijana Jovic, de l’Association de Recherche en Soins Infirmiers (Arsi), créée en 1983.
Recherche en sciences infirmières : un nombre d’infirmières doctorantes en hausse
D’après une enquête menée par l’association pour mieux connaître les profils des chercheuses, des traits communs apparaissent. “Ce sont des soignants qui ont envie d’apprendre, d’approfondir leurs connaissances et de les mettre au service de leurs milieux professionnels. Dès lors que les infirmières ont obtenu le grade licence, il s’est opéré un phénomène qui s’est amplifié après 2009”, constate-t-elle. “Récemment, les personnes en formation universitaire étaient perçues comme pas très pragmatiques, trop intellectuelles. Mais aujourd’hui, cela change. La recherche s’est beaucoup développée et le nombre de masters ou doctorats est en hausse.“ La recherche infirmière se développe donc même s’il manque “encore des laboratoires de recherche et des filières universitaires complètes en sciences infirmières”, ajoute Ljiljana Jovic.
Les infirmières doivent donc s’inscrire dans des filières connexes, en sociologie, sciences de l’éducation, philosophie, éthique, santé publique éthique… Ou opter pour des études en Suisse, Belgique ou Canada afin d’obtenir un diplôme en sciences infirmières, puisqu’en France, cette filière en sciences infirmières n’existe pas.
Ljiljana Jovic reste optimiste, et constate que “davantage d’institutions et d’établissements soutiennent les doctorants. Beaucoup de CHU ont mis en place des postes d’infirmières pour développer la recherche en soins infirmiers “. C’est précisément le cas au CHU de Limoges.
Pascale Beloni, cadre supérieur de santé Mission transversale en recherche paramédicale et coordination générale des soins, est à l’origine du premier diplôme universitaire (D.U.) en sciences infirmières, en partenariat avec l’université de Limoges et l’Institut universitaire de formation et de recherche de Lausanne. Après le succès rencontré, elle vise la création d’un master en sciences infirmières pour 2018, ce qui serait un pas supplémentaire vers la recherche.
Recherche en sciences infirmières : des infirmières motivées
Pascale Beloni est très satisfaite de l’expérience et de la douzaine de participants à ce D.U. Elle parle d’un “vrai engouement, d’un besoin en lien avec les autres établissements de recherche.” A ses yeux, « les motivations des infirmières sont diverses. Elles veulent être initiées à la méthodologie de recherche, ont déjà analysé leurs pratiques professionnelles et veulent finaliser en demandant une aide pour déposer un protocole de recherche. En gros, des professionnelles qui savent de façon intuitive que leur méthode fonctionne et qui doivent le prouver afin d’aller plus loin pour améliorer la prise en charge du patient”, analyse celle qui accompagne, oriente et aide les infirmières dans leur recherche.
Aux yeux de Ljiljana Jovic, “la recherche exige beaucoup de persévérance, ce n’est pas facile. Mais l’avantage, quand on est dans une période d’innovation, c’est qu’il y a sans doute plus d’espaces de libertés que quand tout est codé, cadré”.
Car des qualités, il en faut pour se lancer dans un doctorat. Comme le confirme Anne-Marie Mottaz, “tout le monde n’est pas fait pour la recherche.” Heureusement, face aux difficultés, les avantages, à titre personnel comme professionnel, sont légion. “J’ai travaillé comme cadre de santé en secteur de soins et j’ai du coordonner un projet d’évaluation des pratiques professionnelles. En faisant cette recherche avec une approche conceptuelle, j’ai perçu des choses qui sont de l’ordre des “à côtés” de la recherche qu’on ne voit presque plus en ayant le nez dans le guidon. Le recueil de données, la richesse des entretiens avec les familles ont été des moments très forts”, se souvient-elle.
Aussi, quand elle présente son master et que le jury lui conseille de poursuivre en thèse, l’infirmière puéricultrice se lance dans cette aventure qu’elle devrait boucler dans deux ans. Ce travail lui a d’ores et déjà permis de mieux comprendre, de mieux enseigner les pratiques et de mieux les formaliser. “On se transmet beaucoup les choses à l’oral qui ne sont pas conceptualisées”, estime cette future thésarde qui exerce également dans des centres de formation.
Recherche en sciences infirmières : améliorer la prise en charge du patient
A titre personnel, “lire, rencontrer des gens, tout cela est très enrichissant, cela donne une ouverture d’esprit et une nouvelle manière d’aborder les pratiques. Il s’agit d’aller questionner les évidences.” Par ailleurs, ce travail est souvent la résultante de implication de toute une équipe. “Cela a fait bouger les choses. Au CHU de Limoges, dans les équipes de certains secteurs, cela a impulsé les soignants, plus attentifs à la qualité des soins. Et faire de la recherche, ce n’est pas qu’aller tester. L’équipe réfléchit, lit et met en place des méthodes. Cela fédère des équipes, crée une effervescence”, analyse Pascale Béloni.
Son de cloche un peu plus nuancé du côté de Marie-Laure Bourhis, même si elle reconnaît un travail d’équipe. “Je suis responsable d’un sujet de protocole de recherche en soins infirmiers, en neurologie. Nous avions une cohorte de patients souffrant de la maladie de Hunthington, maladie rare. Pendant des années, nous avons travaillé avec eux et constaté que, souvent, ces malades sont accompagnés d’un membre de la famille, d’aidants qui ont un rôle important. Avec mes collègues, nous avons chercher à détecter le moment où l’aidant tombe en souffrance pour lui proposer une aide au bon moment”, explique-t-elle.
Après avoir réalisé qu’une littérature abondante existe sur la pénibilité de la prise en charge des malades d’Alzheimer, elle constate qu’il n’y a rien sur la maladie d’Huntington. “Nous avons donc suivi la même démarche que celle de l’échelle de Zarit (qui évalue la pénibilité de la prise en charges des patients Alzheimer, Ndlr), mais sur la maladie d’Huntington. Dans la recherche, on utilise un outil validé puis on voit si c’est adaptable”, explique-t-elle.
Le processus a été long. “Nous avons déposé le dossier en 2010 pour obtenir un PHRI (Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale) et nous avons eu un petit financement de 63000 euros” qui a permis de lancer les choses dans le service, en collaboration avec “les infirmiers et les médecins du service. Ce travail est collégial, même si je suis celle qui mène le projet.”
Une fois l’étude amorcée, voire terminée, “les doctorantes vont écrire dans des journaux. C’est une bouffée d’oxygène dans leur quotidien, dans un contexte contraignant. Cela signifie valorisation, reconnaissance”, s’enthousiasme Pascale Béloni. Pour Marie-Laure Bourhis, cela veut aussi dire publier, début 2017, elle l’espère, dans une revue, internationale. Pour elle, c’est sûr, ce sera la “consécration” de plus de six ans de travail.
Recherche en sciences infirmières : des freins structurels
Les infirmières qui sont motivées le sont vraiment. Pour les autres, la recherche n’est pas encore entrée dans les moeurs, comme l’estime Marie-Laure Bourhis. Une fois le financement du protocole de recherche obtenu, “cela a été plus compliqué de motiver l’équipe. Il faut faire bouger le curseur, explique-t-elle. Les médecins eux, ont besoin d’être publiés, pour booster leur carrière, pour évoluer. Mais ce n’est pas une priorité pour les infirmières. J’essaie de leur faire comprendre que, lors d’un entretien, avoir un article signé de son nom est un vrai plus pour passer un concours, postuler.”
Autre souci : “une étude ne se fait pas en quelques semaines, mais en années. Et le turn-over peut être un frein. Si le chef de projet qui a monté l’étude, change d’établissement ou de vie, le projet s’étiole. Il faut retourner au charbon, avec du personnel qui se demande pourquoi rentrer en plein milieu d’une étude”, constate-t-elle. Ljiljana Jovic ajoute : “la finalité du travail de thèse n’est pas une mise en pratique immédiate, à visée compréhensive. Elle nécessite d’autres travaux, pas forcément à visée opérationnelle immédiate.”
Sans oublier le temps nécessaire pour mener au bout ce travail. “Avec les nouvelles réglementations, le doctorat dure trois ans, avec la possibilité de demander une année complémentaire. C’est une nécessité. On y consacre du temps personnel, sur les week-ends, les vacances. L’investissement est énorme”, constate la représentante de l’Arsi.
Anne-Marie Mottaz, infirmière puéricultrice en cours de doctorat sur la prise en charge des enfants très prématurés, le reconnaît : “c’est difficile, je travaille sur mon temps personnel. Et en travaillant à temps plein, c’est quasi mission impossible. On met sa vie sociale un peu entre parenthèses. Heureusement mes enfants sont grands. Déjà le master, c’était beaucoup de travail, mais la thèse, encore plus!”
Pour se sentir moins seule, elle est ravie d’avoir rejoint les rangs de l’Arsi. “Cette initiative permet de faire partie d’un réseau, c’est une idée géniale qui donne l’opportunité d’échanger, même si j’ai du mal à assister aux réunions par manque de temps.” Car la solitude est l’un des désavantages. “Dans mon labo, avec ma collègue sage-femme, on a le même directeur de thèse, on se soutient. La thèse est une période où l’on se questionne beaucoup, l’état émotionnel est assez insécurisant. On avance, on recule”, reconnaît cette doctorante.
Delphine Bauer
Cet article est initialement paru dans le n°22 (Sept / Oct / Nov 2016) d’ ActuSoins Magazine. Pour recevoir ActuSoins chez vous, c’est ICI.
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Votre truc c’est bien gentil mais finalement ça représente combien d’IDE en France ? Combien veulent passer un master/doctorat ? Y a t’il eu des enquêtes de faites ? Parce que améliorer sa pratique c’est essentiel, vouloir faire plus d’études je ne suis pas sûr que ça concerne tant que ça d’IDE !!
Bonjour,
Comment développer notre rôle propre ?
Les exemples sont légion.
Prenons la 1ère compétence des infirmiers français : évaluer la situation clinique d’un patient.
Avons-nous tous appris à faire un entretien clinique avec un patient de manière méthodique ? (Rôle propre)
Avons-nous appris à examiner un abdomen de manière méthodique chez un patient qui revient en postopératoire d’une intervention digestive ? (Surveillance clinique = Rôle propre)
Avons-nous appris à examiner des poumons de manière méthodique chez un patient qui bénéficie d’une aérosolthérapie ? (Surveillance clinique de l’administration d’un traitement médicamenteux = Rôle propre)
Avons-nous appris, à surveiller et à traiter les plaies d’escarres avec les différents dispositifs médicaux qui nous sont assez accessibles à la prescription ? (Rôle propre)
Avons-nous appris à réaliser de manière méthodique des actions de prévention et d’éducation thérapeutique ? (Rôle propre)
La profession d’infirmier partout dans le monde s’est développée en travaillant sur son rôle propre et autonome.
Le rôle propre de l’infirmier, est l’essence de notre profession.
Le rôle propre et autonome de l’infirmier ne se résume pas à faire des soins d’hygiène et de confort.
L’avenir de la profession d’infirmiers ne se trouve pas dans le rôle prescrit par nos collaborateurs médecins.
L’infirmier est un praticien en santé à part entière qui collabore avec d’autres praticiens en santé. Il n’est plus l’instrument du médecin.
Le rôle propre de l’infirmier en France est riche. Il faut l’investir et le développer comme dans de très nombreux pays, et la manière est la plus efficace est la construction d’une vraie filière de sciences infirmières.
Cordialement
Bonjour,
Certains commentaires font peur à voir.
Nous sommes en plein dans le paradoxe de la profession d’infirmier français qui, depuis des décennies, hurle pour que son expertise soit reconnue, mais qui en même temps ne fait rien pour lui donner de la visibilité.
(Manque de traçabilité dans les dossiers / Peu de publication dans les revues / Peu de travaux de recherches scientifiques / etc / …).
Malheureusement, quand il y a des initiatives intéressantes, une partie de la profession les dénigres, une autre les regardes sans conviction et d’autres restent indifférents.
Au final il ne reste que trop peu de personnes qui tentent de donner une visibilité nationale (Syndicale / Associative / Ordinale) à ces expertises.
Bref, il reste beaucoup de travail pour que notre profession se sorte de la place (de simple exécutant) que l’on a bien voulu lui attribuer. (Il y a trop longtemps)
Cordialement
Liffe Pak
Dr liffepak
Et la ‘Science Infirmière’ de venir au boulot pour bosser, et faire avancer le ‘schmilblick’, elle existe ? Car elle mériterait d’être développée celle-ci…
ouahh!! en fait tout ça c est comme la politique!! diviser pour mieux regner… partout pareil
Oui… Interroger sa pratique : candy crush ou clash of clan?
Par contre je laisse toutes les perfs diffuser pour la collègue d’aprèm et ts les pansements pour l’équipe de demain. Qt aux commandes, pour la St glinglin
Oui, d’accord avec vous, parfois on se demande si l’intérêt du changement est vraiment pour le patient : si c’est remettre en question nos pratiques, pour faire moins de toilettes et pour avoir + de temps pour tchatter pdt les heures de travail… Avant de se lancer dans des travaux scientifiques, faudrait voir en premier à ce que le b a ba soit effectif.
Mickael Barbe lis les commentaires c’est hallucinant …
Christophe Boudrot FAUT-IL ABSOLUMENT ÊTRE FORMÉ À LA BIENTRAITANCE POUR L’ÊTRE ?
Tout cela est bien beau sur le papier car on ne va pas embaucher plus d’IDE pour mettre en pratique ce qui aura été concocté.la SECU ferme des lits et le personnel doit faire plus .
A l’hôpital de Fourviere à Lyon un service ferme pour malades Alzeimer avait été créé avec des protocoles spécialisés et bien il a été fermé faute de moyens .
Donc tout cela c’est du blabla . Les vraies infirmières sont auprès des malades et pas sur la recherche de comment prendre soin
De plus pour les études il faut du temps et de l’argent (budget formation par l’établissement où l’état..)
De toutes façons en France on nous empêche tellement de choses Même d’exercer une autre activité quand on es infirmiere libérale donc d’abord on doit solder 2 années de cotisations diverses puis enfin on peut faire autre chose Et redémarrer à zéro . Alors que des charges on en paie à gogo alors je vois pas pourquoi on ne pourrait pas faire autre chose à côté comme bcp d’autres le font déjà en dehors de notre profession . Vive la liberté
Rien n’évoluera dans notre pratique…on devrait prendre exemple sur le Canada mais on se suffit de notre pauvre pratique…on est content de jouer les petits médecins en étant leurs larbins
Peter Chus…. on vole bien bas
Bertrand
Philippe regarde la photo!!!
Commençons par augmenter les salaires
Sam Brc
C’est vrai… Et bien dommage. On en a à revendre de la motivation, des connaissances et des savoirs à partager.
En Lituanie cela existe déjà……
Se lancer .Le potentiel existe déjà dans vos pratiques…
Isabelle Graff
En même temps, on est des infirmiers, pas des médecins. Faut bien assouvir le besoin de reconnaissance de certains infirmiers en recherche de narcissisme. Il faut recycler tous les psychopathes et autres pervers narcissiques qui n’ont pas pu faire l’école des cadres… La profession de fissure et s’éparpille depuis 2009… Diviser la profession pour mieux régner.
C est bien jolie un doctorat en sciences infirmières mais concrètement ça sert à quoi?
A part à écrire des grandes théorie.
Est ce que nos actes seront mieux côté avec ce diplôme ? Je ne pense pas.
Ce jargon “interroger sa pratique” est une plaie. Ces mots vides de sens permettent le plus souvent de légitimer n’importe quoi.
Laura Sourisseau Olivier on se fait un doctorat ?
Anais Galland