Pour bien des infirmiers, l’unique contact avec le monde de la recherche scientifique a été le TFE, ce fameux « Travail de fin d’études » que les futurs professionnels doivent rendre afin d’obtenir leur diplôme. Disons-le tout net : nombre d’étudiants ont poussé un profond soupir de soulagement en mettant le point final à leur mémoire, bien heureux de savoir qu’ils n’auraient plus jamais à se frotter à un tel exercice. Et pourtant, force est de constater que la recherche infirmière connaît actuellement un certain engouement. Qu’ils mènent des travaux au sein de leur service ou qu’ils se lancent dans un cursus universitaire, les infirmiers sont de plus en plus nombreux à goûter aux joies de la bibliographie et des protocoles expérimentaux. Reste à savoir comment ils s’y prennent.
Cet article a été publié dans le n°50 d’ActuSoins magazine (septembre-octobre-novembre 2023).
Il est à présent en accès libre.
Pour recevoir un magazine complet tous les trimestres, abonnez-vous
« La première chose qu’il faut dire, c’est que si tous les infirmiers sont appelés à utiliser la recherche dans leur travail, tout le monde ne fera pas de la recherche, avertit Monique Rothan-Tondeur, professeure associée à l’université Sorbonne Paris Nord où elle est titulaire de la chaire “Recherche sciences infirmières”. C’est d’ailleurs très bien comme cela, car tous les infirmiers n’en ont pas envie, tous ne sont pas armés, et de plus, il faut du monde au lit du malade ! » Mais cela ne signifie pas que ceux qui ont les capacités et la motivation nécessaires doivent se censurer.
Et pour ceux-ci, le premier conseil est… la lecture. « Il faut lire beaucoup, c’est essentiel, explique Monique Rothan-Tondeur. Plus on lit des protocoles publiés, mieux on saura en faire, plus on lit des articles de résultats, mieux on comprendra ce qu’on cherche. » Un conseil qui rejoint celui de Daniel Benlahouès. Infirmier, formateur, consultant et docteur en sciences de l’éducation, celui-ci estime que « la première porte d’entrée dans la recherche, c’est la connaissance de son sujet », et que « le premier travail consiste à se documenter ».
À la recherche d’une formation
Une fois que la pile des articles lus est suffisamment haute, la seconde question qui se pose est celle de la formation. « Les différents DU et DIU [diplômes universitaires et inter-universitaires, N.D.L.R.] qui existent en matière de recherche clinique peuvent être une bonne piste, suggère Daniel Benlahouès. On y acquiert des connaissances sur sa thématique, et en fin de parcours, on doit rendre un travail structuré qui peut être une première production scientifique. Dans celui sur lequel j’interviens, à l’université d’Angers, l’exigence est de constituer une lettre d’intention pour un appel à projet de type PHRIP ou Preps [Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale et Programme de recherche sur la performance du système de soins, voir infra]. »
D’autres pistes existent. Certaines sont plus ambitieuses, notamment les masters en recherche clinique, et d’autre sont plus modestes, du moins dans un premier temps. « Il existe par exemple des formations sur un ou deux jours proposées par les Girci [Groupements interrégionaux de recherche clinique et d’innovation], signale Caroline Serniclay, cadre de santé et coordinatrice de la recherche paramédicale au CHU de Reims, qui est aussi pilote de la Commission nationale des coordonnateurs paramédicaux de la recherche (CNCPR). La plupart des infirmiers qui font un premier travail de recherche commencent par apprendre de manière relativement informelle, puis se forment de manière plus structurée lors d’une deuxième recherche. »
Un DU aussi pratique que théorique
De nombreux DU et DIU existent dorénavant pour préparer les infirmiers à la recherche. Visite guidée de celui de Bordeaux.
Et de 11 ! En janvier dernier, c’est en effet la 11e promotion du DU « Recherche en sciences infirmières et paramédicale », organisé par l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (Isped) de l’université de Bordeaux, qui a fait sa rentrée. « C’est une formation à la fois théorique et pratique, explique Valérie Berger, cadre supérieure, maîtresse de conférences et responsable pédagogique du DU. L’objectif est que la personne puisse comprendre la démarche de recherche dans sa globalité, et qu’à l’issue elle soit en mesure de rédiger un protocole de recherche. »
Pour parvenir à ce résultat, le DU procède par regroupements successifs. « Lors du premier regroupement, chaque étudiant arrive avec son objectif de recherche, et on commence à déblayer, explique la responsable. Lors du deuxième, on rédige la question de recherche, on prépare la revue de littérature, puis lors du troisième, on explique les méthodes de recherche, et enfin lors du quatrième temps, ils nous présentent l’avancée de leurs travaux, jusqu’à la méthode qui a été choisie. De cette manière, en septembre, ils sont en mesure de rédiger le mémoire final qui présente tout le dispositif. »
Des débouchés variés
Chaque regroupement dure quatre jours, dont un en distanciel. « C’est très intense, il y a beaucoup de boulot », prévient Valérie Berger. Mais d’après elle, le jeu en vaut la chandelle. « Nous avons fait une petite étude sur les 128 personnes que nous avons formées jusqu’ici, détaille-t-elle. Certains ont poursuivi vers des masters ou des doctorats, sont devenus coordonnateurs de la recherche paramédicale dans leur établissement, il y en a une qui a déposé un brevet, une autre qui a écrit un ouvrage… Tous ne deviennent pas chercheurs, mais cela vous met dans les starting-blocks. »
La Bordelaise constate que le succès du DU ne se dément pas. « Nous avons rempli le DU à chaque fois depuis 2012, explique-t-elle. Cette année nous avons eu 25 candidatures, mais nous ne voulons pas avoir de trop grandes cohortes, et nous n’en avons retenu que 17. » Elle se réjouit de voir que la recherche infirmière « est en train de se démocratiser », même si elle reconnaît que beaucoup y voient une charge supplémentaire dans un contexte particulièrement difficile. « C’est un outil pour que les infirmiers voient un peu plus le sens de leur travail, j’y crois beaucoup », affirme-t-elle.
De l’importance d’être (bien) accompagné
Mais la formation ne suffit pas : en matière de recherche infirmière, il faut également être accompagné, et même bien accompagné. C’est là toute la mission des coordonnateurs paramédicaux de la recherche, que Caroline Serniclay représente. « Le coordonnateur est souvent lui-même porteur d’un projet de recherche », explique cette Rémoise qui est investigatrice d’un projet de recherche sur la place des soins socio-esthétiques dispensés pendant les séances d’hémodialyse.
« Il a par ailleurs une bonne connaissance des institutions, ajoute-t-elle, a une bonne formation en recherche, voire pour une bonne partie une formation doctorale, et samission est d’accompagner les équipes dans la rédaction de leur projet, de les guider vers les formations, de créer du réseau… » Ces coordonnateurs ne sont pas encore présents dans tous les CHU français, mais ils sont tout de même 23 répartis sur le territoire, détaille-t-elle. Ils sont donc le premier contact avec les infirmiers qui ont une idée de recherche et qui veulent lui donner vie.
Le nerf de la guerre
Reste qu’en plus de la documentation, de la formation et de l’accompagnement, la recherche infirmière doit s’appuyer sur un quatrième pilier, et non des moindres : le financement. Car la recherche infirmière ne diffère pas des autres activités humaines : l’argent y reste l’un des nerfs de la guerre. Et c’est là qu’entrent en scène les programmes de type PHRIP ou Preps, dont il a été question plus haut. Depuis 2009, le PHRIP fonctionne selon le principe d’un appel à projets annuel : les candidats doivent envoyer une lettre d’intention (pour 2023, le délai est fixé au 5 octobre) et si celle-ci est pré-sélectionnée, détailler leur projet (protocole, planning, budget…). Un processus au cours duquel plusieurs dizaines de projets reçoivent chaque année un soutien financier pour trois ans.
« Le PHRIP est très sélectif, moins de 15 % des projets sont retenus », prévient Daniel Benlaouhès. En revanche, les montants en jeu sont loin d’être négligeables : en 2022, par exemple, le PHRIP a retenu 22 projets pour un montant total de 7,6 millions d’euros, soit une moyenne de près de 350 000 euros par projet. D’autres programmes comme le Preps, qui se concentre sur l’organisation des soins et la performance des établissements, sont moins sélectifs, note le consultant. Mais ils ne sont pas réservés à la recherche infirmière, et ciblent eux aussi des initiatives de dimensions relativement ambitieuses.
C’est pourquoi le conseil de certains responsables de la recherche infirmière serait de commencer par des projets plus modestes. « J’ai la fierté d’avoir contribué à la naissance du PHRIP, rappelle Monique Rothan-Tondeur. Mais on peut aussi commencer avec des projets qui n’ont pas besoin de financement complémentaire, ou de voir quel soutien on peut obtenir de son institution. »
Un avis partagé par Caroline Serniclay. « Il y a aussi des appels à projets internes, ou des appels à projets régionaux, qui sont de moindre niveau que les appels nationaux, mais qui sont tout de même intéressants », souligne la pilote de la CNCPR.
Et la recherche universitaire ?
On le voit, la recherche infirmière ne s’inscrit pas obligatoirement dans un parcours universitaire, qu’il s’agisse d’un master ou d’un doctorat. Mais bien sûr, cela n’est pas interdit ! D’ailleurs, même s’il est difficile d’avoir des chiffres précis sur le nombre d’infirmiers titulaires d’un doctorat, celui-ci est de l’avis général en augmentation.
« Il n’y a pas de recensement officiel, mais on peut estimer qu’il y en a peut-être environ 200 », estime Daniel Benlahouès. Les principales disciplines pourvoyeuses sont la santé publique, les sciences de l’éducation et la sociologie… mais pas les sciences infirmières.
« La sous-section en sciences infirmières au sein du CNU [Conseil national des universités, voir encadré, N.D.L.R.] n’a été créée qu’en 2019 », justifie Monique Rothan-Tondeur. Or c’est le CNU qui a pour mission la qualification et le recrutement des enseignants-chercheurs : il faut donc encore attendre que la création de cette sous-section produise ses effets. « Il faut par ailleurs que les écoles doctorales fassent entrer les sciences infirmières dans leur pool de disciplines, ce qui est le cas dans mon université, mais pas partout, note la responsable de la chaire « Recherche sciences infirmières » de la Sorbonne Paris Nord. Cela prend un peu de temps, il faut des volontés, mais cela va venir. »
Course d’obstacles
La recherche infirmière, qu’elle soit universitaire ou non, est donc en plein développement, mais elle doit encore franchir quelques obstacles. « On a beaucoup parlé de la maîtrise de l’anglais pour assimiler la littérature scientifique, mais avec les outils de traduction qui existent aujourd’hui, c’est de moins en moins un frein », note Monique Rothan-Tondeur. En revanche, le facteur temps reste un impondérable. « Cela demande énormément de travail à côté, prévient Caroline Serniclay. C’est un investissement important, car on doit manipuler des choses qu’on n’avait pas forcément l’habitude de manipuler. »
Heureusement, certaines (grosses) institutions s’adaptent à cette contrainte. « À l’AP-HP, on a mis en place un “passeport temps recherche” pour les soignants qui souhaitent commencer une recherche, et d’autres établissements ont monté des systèmes similaires », signale Monique Rothan-Tondeur. D’un montant de 260 euros pour la rédaction d’une lettre d’intention et de 910 euros pour la rédaction d’un projet PHRIP, ce passeport est l’un des petits éléments censés faciliter le parcours des infirmiers se lançant dans la recherche… mais il n’en fait pas un chemin pavé de roses pour autant !
Adrien Renaud
Je m'abonne à la newsletter ActuSoins
Cet article a été publié dans ActuSoins Magazine n°50 septembre-octobre-novembre2023
Il est à présent en accès libre.
ActuSoins vit grâce à ses abonnés et garantit une information indépendante et objective.
Pour contribuer à soutenir ActuSoins, tout en recevant un magazine complet (plus de 70 pages d’informations professionnelles, de reportages et d’enquêtes exclusives) tous les trimestres, nous vous invitons donc à vous abonner.
Pour s’ abonner au magazine, c’est ICI
Abonnez-vous au magazine Actusoins
Plongez dans le quotidien des soignants à travers l'histoire de leurs patients | |
---|---|
A travers le programme Chroniques de Plaies, plongez dans le quotidien de professionnels de santé comme vous à l’aide de leurs témoignages autour d’un de leurs patients et nourrissez vous de leurs bonnes pratiques en cicatrisation. Tous les témoignages de soignants ICI ! |
Plaies aiguës et chroniques : vers une cicatrisation dirigée | |
---|---|
Notre formation "Plaies aiguës et chroniques : vers une cicatrisation dirigée" en e-learning a été spécialement développée pour vous permettre de prendre en charge tous les types de plaies, aiguës ou chroniques, effectuer un choix logique de pansements et mettre en place une cicatrisation dirigée. En savoir plus |
Plongez dans le quotidien de soignants tels que vous et renforcez votre expertise en cicatrisation avec Chroniques de Plaies ! | |
---|---|
Parce que derrière chaque plaie, il y a un patient, et derrière chaque patient il y a une histoire : plongez dans le quotidien des soignants avec Chroniques de Plaies ! Tous les témoignages de soignants ICI ! |
Soyez le premier à laisser un commentaire !