Pourquoi avoir choisi d’adapter une publication internationale concernant les clefs de lectures d’articles scientifiques destinés aux infirmiers ?
Je suis président du comité scientifique et d’éducation au sein de l’Organisation européenne des infirmiers spécialistes (ESNO) et nous ressentons de plus en plus la demande, à l’échelle de la Commission européenne, de détenir des données probantes concernant la pratique infirmière, demande qui s’est accentuée depuis la crise sanitaire.
Les instances européennes expriment le besoin de disposer de productions venant directement du terrain afin de comprendre les revendications et le métier d’infirmier pour les traduire dans une stratégie politique.
En outre, les groupes nationaux représentatifs des infirmiers au sein de l’ESNO souhaitent davantage de partages autour des pratiques professionnelles entre les pays, afin de tirer vers le haut la qualité et la sécurité des soins.
Nous avons déjà produit des publications sur la fumée chirurgicale, sur les biosimilaires, sur les infections liées au sondage vésical. Cette fois-ci, nous nous sommes intéressés à ce guide de lecture d’un article scientifique.
En quoi partager ces clefs est-il intéressant pour les infirmiers ?
Au sein du CNP Iade, nous avons estimé que l’intérêt était réel car l’anglais reste une barrière pour la communauté francophone.
La deuxième difficulté rencontrée par les infirmiers à la lecture d’articles est de parvenir à comprendre la méthodologie mobilisée. Les infirmiers doivent s’interroger sur la façon dont le chercheur a construit les preuves et les évidences.
Nous avons donc décidé d’intervenir sur les deux plans en levant la barrière de la langue anglaise et en expliquant les points d’attention méthodologiques sur lesquels il faut être vigilants.
Au-delà de ce travail, la langue anglaise restera toujours un frein si les infirmiers ne l’apprennent pas. C’est d’ailleurs pour cette raison que son apprentissage est introduit dans les programmes de formation. Mais un important travail doit encore être mené à ce niveau. D’autant plus que pour faire reconnaître les sciences infirmières et l’expertise de la profession, il n’est plus possible de se contenter de publications dans les journaux professionnels.
Il faut aller plus loin en poussant vers la démarche scientifique et réflexive.
Comment porter une telle démarche ?
Cette réflexion doit être introduite dans le projet de réforme de la profession, portée actuellement par les tutelles. Il faut instaurer, pendant les études initiales en soins infirmiers, pour les spécialités et la pratique avancée, une culture de la recherche, ainsi que l’apprentissage de l’anglais pour ensuite partager les découvertes, l’expertise, à l’ensemble de la communauté, au risque de ne se limiter qu’au périmètre francophone.
Toutes ces étapes doivent être pensées : introduire une culture critique dès l’Ifsi et qui se traduit à terme, par l’amélioration des pratiques professionnelles.
Quels sont les principaux enseignements de ce guide ?
Le principal enseignement repose donc sur la nécessité de s’approprier une méthodologie. Et si l’on souhaite prendre l’initiative de produire un article scientifique, il faut savoir s’entourer, être accompagné par une équipe qui l’a déjà fait. Sinon, on prend le risque de ne pas adopter la bonne méthodologie et d’introduire des biais, donc des résultats irrecevables.
Les sciences infirmières sont toujours en construction et nous sommes encore très influencés par la recherche clinique médicale. Or, à l’échelle des infirmières, il faut s’interroger à la fois sur la clinique et sur le relationnel. La méthodologie est donc plus complexe car elle ne peut pas se limiter à du quantitatif.
Elle doit être acquise dès la lecture des articles, qui constitue le premier pas dans la construction d’un protocole de recherche. Les infirmiers doivent se questionner sur sa structure, la thématique, la démonstration, qui doit répondre à l’objectif de recherche présenté dans l’introduction. Ce sont des détails essentiels car parfois, entre le titre et le contenu, il n’y a pas de cohérence.
De nombreuses subtilités sont à maîtriser, et cela débute par savoir faire le tri entre les publications solides d’un point de vue scientifique et les autres. Ensuite seulement on peut s’intéresser au protocole de recherche.
Propos recueillis par Laure Martin
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