Le questionnement d’un soignant face à une plaie, quelle que soit son étiologie, est de s’interroger sur le choix de l’antiseptique à utiliser. Question légitime face à la crainte de l’infection. Cependant le soignant d’aujourd’hui ne devrait-il pas se demander si l’antisepsie est justifiée dans la prise en charge des plaies ?
En effet, une étude récente (1), multicentrique, menée en milieu de soins sur l’usage et la connaissance des antiseptiques, montre que le respect des règles d’utilisation est peu rassurant. Une utilisation plus raisonnée devrait permettre de limiter les résistances bactériennes et d’optimiser les prises en charge.
L’antiseptique, créé au 18ème siècle, est un médicament aujourd’hui très utilisé mais banalisé dans nos pratiques. Bien qu’utilisé incontestablement dans l’asepsie de la peau saine avant un geste chirurgical, son application dans le traitement des plaies semble être plus restrictive.
Revue de la littérature
Une analyse de la littérature montre de nombreuses controverses. Aucune certitude sur l’utilité des antiseptiques n’est mise en avant dans la prise en charge des plaies (ni sur leur inutilité …).
On retrouve de nombreuses mises en garde quant à leur utilisation sur leur effet caustique et leur toxicité cellulaire (2).
A l’image des antibiotiques, la résistance (3) aux antiseptiques existe. La pression de sélection induite par les antiseptiques est avérée. Il est donc indispensable de respecter les conditions d’utilisation et leurs indications.
Il n’existe pas “d’antiseptogramme” mais un tableau du spectre d’activité des antiseptiques est établi. On peut ainsi mener une action ciblée sur une catégorie de germes, champignons, virus… et ainsi s’apercevoir que certains antiseptiques sont peu efficaces sur notre cible. D’ailleurs certains produits sont considérés à tort comme des antiseptiques (colorants, eau oxygénée..)
La sensibilisation aux antiseptiques a été mise en évidence dans de nombreux articles (4). Cependant on note que dans la pratique courante, l’utilisation de produits antagonistes, les dilutions obligatoires (la Bétadine® dermique se dilue dans le soin des plaies,…), les temps de pose (5 à 10 minutes parfois), les délais de conservation ou encore la nécessité d’enlever sang ou éléments organiques avant application ne sont que peu souvent respectés.
Ce qui pose un réel problème est l’interaction entre les antiseptiques d’usage courant et les dispositifs de couverture d’une plaie. En effet certains antiseptiques, après séchage complet, gardent pendant un temps donné une action sur l’écosystème bactérien (effet rémanent). D’ailleurs sur les notices d’utilisation, on remarque que le recouvrement de certains antiseptiques par un pansement est déconseillé (Biseptine, Hibitane, Dakin, dalibour). Ces mises en garde sur la causticité des produits soulèvent les problématiques suivantes :
– Devons-nous rincer certains antiseptiques avant l’application d’un pansement secondaire ?
– L’effet rémanent d’un antiseptique empêche-t-il la couverture d’une plaie par un pansement secondaire ?
Les antiseptiques sont des médicaments puissants. Ils ont pour la plupart un effet cytotoxique sur les kératinocytes et les fibroblastes indispensables au processus de cicatrisation. Il est donc impératif de cibler leur utilisation pour ne pas entraver le renouvellement cellulaire.
Quelles sont les recommandations actuelles?
En pratique on trouve de nombreuses contradictions sur ce sujet. Il n’y a pas de consensus internationaux quant à l’utilisation des antiseptiques. Toutefois des documents de référence ont été établis par l’E.W.M.A (European Wound Management Association) sur la prise en charge des plaies infectées (5) et les critères de diagnostic.
Plaies chirurgicales : Il n’existe pas de recommandations éditées.
Une plaie suturée est-elle encore une plaie ? Si elle ne présente pas de risques d’infection, d’écoulement ou de saignement, l’antisepsie est-elle indispensable ?
Des études (6) ont montré que l’étanchéité suffisait pour empêcher la pénétration des germes dans la cicatrisation de première intention. En 1964 : Thomeret.G écrivait un article dans la Presse Médicale : suppression totale des pansements post-opératoires !
Le C.L.I.N du Sud-Ouest a établi sur ces postulats une classification des plaies post-opératoires. En fonction du niveau de risques, l’utilisation des antiseptiques a été protocolisée. Cette réflexion est une base intéressante de réflexion quant à la systématisation fréquente de l’utilisation des antiseptiques.
Plaie à faible risque infectieux (plaies suturées, agrafes, cœlioscopie…) : pas d’antiseptiques.
Plaie à risque infectieux modéré (fixateur externe, drain, lame..) : antiseptiques pendant 48 Heures puis 2 fois/semaine.
Plaie à haut risque infectieux (Plaies chirurgicales avec multiples portes d’entrée, plaies infectées…) : antiseptiques tous les jours puis selon l’évaluation clinique.
Plaies aiguës : Il n’existe pas de documents de référence.
Sur une plaie aiguë d’apparition nouvelle, les bactéries sont présentes et se développent très rapidement. Leur cinétique de multiplication est estimée à un doublement du nombre de germes toutes les 18 minutes. L’utilisation d’antiseptique peut-être recommandée. Cependant on ne trouve pas de données évoquant la supériorité des antiseptiques au nettoyage simple à l’eau et au savon ou solution saline.
Plaies chroniques : Il existe deux documents de référence édités par l’E.W.M.A
L’utilisation des antiseptiques dans le soin des plaies chroniques n’est pas recommandée en première intention. En effet, les experts recommandent d’utiliser l’antiseptique uniquement devant la preuve clinique d’infection. Le nettoyage à l’eau/savon ou avec une solution saline est préconisé. La plaie chronique peut très bien être douchée.
On remarque que les plaies chroniques sont colonisées et qu’elles présentent dans 60% des cas la présence de biofilm. L’action de lavage à l’eau et le débridement des plaies permettront de réduire la charge bactérienne et souvent éviter l’infection de la plaie.
L’ensemble de ces données nous indique qu’il faut utiliser, de facon très restrictive, l’utilisation d’antiseptiques dans le soin des plaies.
Leur utilisation doit être ciblée et dans le respect des préconisations d’utilisation. Ils sont indiqués dans le traitement des plaies infectées jusqu’à disparition des signes cliniques. Une évaluation régulière du patient est donc nécessaire.
Un degré élevé de suspicion clinique d’infection de la plaie sera particulièrement appliqué chez les patients à risque (Diabète, troubles auto-immuns, hypoxie, mauvaise perfusion tissulaire, immunodépression…)
Même si nous n’utilisons que tardivement la molécule antiseptique, des gestes élémentaires d’hygiène, de débridement des plaies et de respect de la cicatrisation en milieu humide contrôlé sont nécessaires pour maintenir un écosystème propice au processus de cicatrisation.
Alternatives aux antiseptiques dans le traitement des plaies ?
Ces “nouveaux” produits peuvent intervenir dans nos actes de nettoyage, d’hygiène et de prévention. Certains sont également actifs sur la réduction des débrits cellulaires (fibrine, tissus morts) ou dans la gestion de l’infection.
Solutions de nettoyage des plaies
– L’Irriclens® (Hartmann) avec un jet pressurisé doux permettant un effet mécanique sur le nettoyage.
– Le Prontosan® solution (Bbraun) antiseptique fortement dilué (PHMB). Le laboratoire indique une action sur le biofim sans toxicité cellulaire.
– L’Octenilin® solution (Schülke), contient de l’octinidine fortement diluée et sans rinçage. Le laboratoire indique une action sur le biofilm.
Action sur la fibrine et les débris tissulaires :
– Le Protonsan® et l’Octenilin® existent en forme gel. Les laboratoires indiquent que les tensio-actifs présents dans leurs hydrogels permettent de lever la fibrine par une hydratation augmentée.
– Les laboratoires nous informent que L’Aquacel® extra(Convatec), l’Urgoclean® (Urgo), l’Algostéril® (Brothier) et autres alginates ont une action sur la détersion et le captage de bactéries.
– L’hydroclean Active® (Hartmann), pansement irrigo-absorbant permettant de nettoyer une plaie avec du Ringer et de réabsorber ce liquide contant les débrits tissulaires. Le laboratoire nous informe que ce dispositif peut-être indiqué dans le traitement des plaies infectées.
– La larvothérapie comme méthode de détersion en respectant les tissus sains.
Traitement des plaies infectées
– La T.P.N ( thérapie par pression négative) est indiquée dans le soin des plaies infectées grâce à l’irrigation associée à l’aspiration. On peut instiller du sérum physiologique. Certaines équipes intègrent du PHMB ou des solutés de Ringer.
– Les pansements à l’argent. Depuis le déremboursement de cette classe thérapeutique, on ne trouve sur le marché que peu de dispositifs. La gamme du laboratoire Urgo reste remboursée uniquement dans la prise en charge des ulcères infectés pour une durée de 4 semaines ainsi que Flammazine® (Sinclaire Pharma) et Ialuset +® (Genévrier) pour la gestion des brûlures. Certains laboratoires ont retiré du marché leur produit mais on trouve encore notamment de l’Aquacel Argent® (Convatec)
– Les pansements au PHMB du laboratoire Covidien
– L’utilisation du Miel de Thym pour ces propriétés antiseptiques naturelles.
– Les pansements Sorbact® à base d’une molécule antibactérienne : diacylcarbamoyle (INRESA). Le laboratoire indique une action sur le biofilm.
Laurent Klein, infirmier libéral – D.U. Plaies et Cicatrisation
Créateur de l’application iPansement
Références :
(1) Usage des antiseptiques en milieu de soin. Etude multicentrique concernant les connaissances et les pratiques du personnel paramédical. JAMELEDDINE.M ; SOUILAH. H ;BEN TILI.M ;BEN GHANEM.A ; GZARA. A; T ELHIG. L. http://buff.ly/1cY3Hel
(2) a)Tatnall FM, Leigh IM, Gibson JR.Skin Pharmacol. 1990;3(3):157-63: toxicité sur cultures de kératinocytes et fibroblastes. b)Wilson JR, Mills JG, Prather ID, Dimitrijevich SD. Adv Skin Wound Care. 2005 Sep;18(7):373-8.Indice de toxicité indice des nettoyant des plaies sur les fibroblastes et kératinocytes in vitro
(3) Transcriptomic and biochemical analyses identify a family of chlorhexidine efflux proteins. Hassan KA, Jackson SM, Penesyan A, Patching SG, (…)Proc Natl Acad Sci U S A. 2013 Nov 25.
(4) Allergie de contact aux antiseptiques : 75 cas analysés par le réseau Revidal de dermato-allergovigilance. Doi : AD-12-2005-132-12-0151-9638-101019-200517311 A. Barbaud [1],M. Vigan [2],
(5) L’indentification des critères d’infection d’une plaie http://buff.ly/18cJ94l et L’infection des plaies en pratique clinique http://buff.ly/18cJfsA
(6)(Heifetz, 1952, Lindsay 1964, Carrico, 1984, Schwemmle, 1995…
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Merci pour l’article …. Très instructif
Article très intéressant. En effet, combien de fois sommes nous confrontés à des plaies qui ne cicatrise pas et se complique. Devant une plaie qui pose problème impose le questionnement sur le bon protocole de soins à adapter ….
Le plus dur va être le changement de la pratique soignante, les habitudes ont la peau dure ….
dans mon service pas de désinfection , sérum phy pour les plaie suturées et eau et savon sur les escarres et sur les plaies chroniques , mais désinfection pour tout acte invasif ;pas de plaies infectées avec ce processus , en 15 ans de service je n’ai jamais vu réellement de plaie infectées , les plus gros problèmes d’infection que l’on rencontre , sont des infections profondes dues à des germes introduits pendant l’intervention et dans ce cas la désinfection externe n’est d’aucune utilité ; seule l’antibiothérapie per os ou autres est efficace . La désinfection détruit la flore commensale utile à la cicatrisation , elle est nocive pour les cellules de la reconstruction . Il faut arrêter de voir le pus comme un ennemi , c’est la preuve que les bactéries d la flore résidente fait son travail , c’est un processus naturel ,c’est le seul processus avec les asticots à savoir faire la différence entre le tissus vivant et le tissus mort . pour les pansements nous utilisons de la vaseline et du tulle gras sur des plaies simples ; et pour les plaies chroniques selon les exsudats soit hydrocoloïde et gel amorphe sur les plaies sèches ou alginate et hydrocellulaire sur les plaies exsudatives . Le principe c’est maintien d’un milieu humide. Mr Charles pour les plaies ouvertes une désinfection avant suture est nécessaire pour ne pas enfermer les germes .
Merci ca fait du bien des reactualisations qd on est en libéral. Maintenant reste aux praticiens de bien prescrire.
ben non les escarres, jamais d’antiseptique dans le principe
Antisepsie sur plaie infecté ou a haut risque le reste eau et savon c’est pas dur
instructif l’article mais ..j’appreciais recevoir la brochure papier !!pourquoi je ne l’ai plus ?
Tres interressant, mais qu’en est-il des plaies ouvertes qui arrivent aux urgences, parce que l’article ne parle que des plaies en suite de traitements (plaie suturée, fixateur externe….)
Personnellement je comprends pas en quoi une plaie sous sutures n a pas de gend risque infectieux?
Les antiseptiques, c pas automatique. =D
ce n’est pas du Laluset mais du Ialuset 😉
Merci de l info
Article super intéressant…