Philosophie : un autre regard sur le soin

Des soignants s’ouvrent à la philosophie, d’autres retournent sur les bancs de la fac, un établissement embauche une philosophe,… Ainsi, des initiatives diverses tendent à amener la philosophie au coeur de lunivers du soin, au bénéfice des professionnels. Entre soutien au quotidien, enrichissement culturel et valorisation des expériences,… des soignants expliquent leurs motivations.

J'ai trouvé dans la philosophie ce qui fait tenir ensemble mon vécu personnel et professionnel.

« Jusquau lycée, la philosophie, cela mavait plutôt effrayée, résume Catherine Lamouroux, infirmière en pneumologie à la Pitié Salpêtrière (AP-HP, Paris). Cela semblait inaccessible. Mais jai entendu Cynthia Fleury à la radio et je comprenais ce quelle disait. Cela ma intéressée et je me suis accrochée. » Comme elle, de nombreux soignants commencent à sintéresser à cette discipline, notamment depuis le développement des espaces éthiques.

A Paris, la chaire coopérative de philosophie créée par Cynthia Fleury suscite un réel engouement. Elle offre des enseignements gratuits et accessibles à tous, également retransmis en video sur un site web, sur des problématiques présentes dans la pratique quotidienne des soignants. Ainsi, un cours magistral intitulé cette année « Soin, laïcité et religion », un séminaire sur les travaux de l’école d’éthique de la Salpêtrière, un autre nommé « Soin et compassion », une séance mensuelle avec un penseur ainsi que « Les dialogues de la chaire », permettent d’évoquer la chronicité de la douleur, la fin de vie, les questions deuthanasie ou de soins palliatifs, la relation de soin, le lien avec le patient et sa famille, etc.

Des motivations diverses

Julie Henry, philosophe et intervenante au centre de lutte contre le cancer Léon Bérard (Lyon), dans le cadre de l'émission "Les chemins de la philosophie" sur France Culture. © Marianne Chassort

Lauditoire des cours dispensés est vaste : professionnels hospitaliers, étudiants, gestionnaires dEhpad, proches, anciens patients ou représentants associatifs. Les motivations sont également diverses. Certains disent ny rechercher quun enrichissement intellectuel personnel : « cest mon plaisir, je me sens vraiment bien quand je quitte cet endroit car je me suis donné deux heures pour moi, pour apprendre des choses », explique Bénédicte Kakou, IDE en éducation thérapeutique auprès denfants diabétiques à Paris.

Les soignants viennent aussi chercher le regard dun professionnel non soignant sur leur univers. « Ici, jentends que des gens ont réfléchi sur ce que je vis, observe Bénédicte Kakou. Ils confirment ce que je connais et vis dans mon travail mais le formulent tellement mieux que moi. »

Dautres sont à la recherche dune forme de soutien. « Cela me conforte dans la relation de soin que j’établis avec les patients car, en développant au maximum l’écoute et lempathie, je me sens parfois en décalage avec mes collègues plus dans la technique », résume Françoise Lamy, infirmière libérale à Grigny (Essonne).

« Un temps de partage »

Pour dautres encore, lenseignement vient soulager un malaise. « En entendant que dautres ont réfléchi à ces situations que nous vivons, nous nous rendons compte que devant ces questions de douleur, de maladie et de mort, nous ne sommes pas seuls », explique Joëlle Barrat, retraitée et ancienne cadre de santé et infirmière anesthésiste à Retel (Ardennes).« Les cours apportent alors un temps de partage intéressant et une réflexion qui peuvent aider dans un travail de résilience. »

Josiane Mouton, assistante sociale retraitée à Clermont-Ferrand, qui sest inscrite en faculté de philosophie au moment où elle a quitté son poste, trouve dans cette discipline le complément de sens qui lui a longtemps manqué : « jobserve les équipes qui sont de plus en plus en vrac et qui payent dune certaine manière le déficit de pensée à lhôpital par des souffrances au travail ou des conflits dans les équipes. Jai trouvé dans la philosophie ce qui fait tenir ensemble mon vécu personnel et professionnel. »

Retourner sur les bancs de la fac ?

Des soignants poussent lintérêt plus loin et sengagent dans un cursus universitaire diplômant. A limage de Laure Marmilloud, infirmière en équipe mobile de soins palliatifs à lhôpital Les Charmettes (Croix-Rouge Française, Lyon). « Jai travaillé assez rapidement en soins palliatifs, deux ans après mon DE car je ressentais le besoin de trouver des outils pour élaborer ce que je vivais là, résume-t-elle. Je suis retournée à la fac où jai découvert un autre monde, en décalage avec lexpérience clinique. » Sen sont suivies quatre années dinvestissement intense jusqu’à obtenir un master - qui donne lieu à publication. 

« Les mots nous aident à penser lagir et donc à agir, résume celle qui dédie désormais 20 % de son temps à la formation. Au quotidien, la philosophie maide à mettre a distance laffect, à lui donner du relief. Cela maide à parler, à nommer les choses, qui prennent sens autrement. » Et linfirmière de rapporter comment, au travers de simples  discussions informelles avec des équipes, elle peut accompagner ses collègues dans une réflexion semblable.

Une philosophe en soutien au sein de l’établissement

Au Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard (Lyon), la direction a décidé daller plus loin puisquune philosophe a précisément été engagée, à plein temps pour travailler avec les soignants. « Il sagit de réfléchir ensemble sur des situations vécues, ce que cela leur apprend de leur métier, et ce quils doivent mettre en œuvre pour composer avec le réel qui nest pas l'idéal du soin dont ils ont pu rêver », résume Julie Henry.

La philosophe participe à un staff hebdomadaire avec l’équipe mobile en soins palliatifs qui réunit infirmiers et aides-soignants, à un groupe de réflexion thématique mensuel (« dont les participants sont dailleurs en train de rédiger un article scientifique ») et peut intervenir de manière plus ponctuelle si une équipe la sollicite autour dune situation particulière. Une intervention originale, dabord engagée sur deux ans, décrété par un directeur qui a lambition de porter la recherche en éthique et en philosophe au même niveau que la recherche biomédicale.

Chaires de philosophie, soignants diplômés, développement des enseignements et interventions auprès des professionnels, font ainsi émerger un mouvement de fond qui pourrait venir enrichir la pratique de tous. « Cest un foisonnement et il est temps à présent que la philosophie et les sciences sociales entrent plus avant dans lhôpital, conclut Céline Lefève, maître de conférence à Paris Diderot et responsable du programme « La personne en médecine ». Dune part pour recueillir les besoins actuels des professionnels, et dautre part pour leur transmettre les résultats de notre réflexion. »

Sandra Mignot

Actusoins magazine pour infirmier infirmière hospitalière et libéraleCet article est initialement paru dans le n°24 (mars 2017) d' .

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Christophe Pacific, cadre supérieur de santé et titulaire d'un doctorat en philosophie

 

« Remplacer philosophie par éthique, cela fait moins peur »

Cadre supérieur au centre hospitalier dAlbi, Christophe Pacific est aussi titulaire dun doctorat en philosophie.


Comment avez-vous
été sensibilisé à la philosophie ?

Lexpérience humanitaire a bouleversé mon questionnement sur le sens du soin, puis jai découvert la philosophie lors dun DIU d’éthique de la santé. Me rapprocher de luniversité est alors devenu une évidence. Après une VAE en philosophie, je me suis engagé dans un cursus complet, jusquau doctorat à l’école d’éthique de la Salpétrière, tout en travaillant à temps plein, en parallèle de mes fonctions de cadre.

Avez-vous pu valoriser cette formation ?

Jai dabord mis en place, en interne une formation à l’éthique des soins et créé un petit espace éthique qui a longtemps vivoté. Je participais également aux enseignements du DU d’éthique. Et progressivement, parce que ceux qui étaient formés là sont restés dans lenvironnement sanitaire local, le comité a grossi, réunissant des professionnels du public et du privé et devenant un véritable levier de lespace éthique régional. Nous avons mis en place un travail sur des textes, des séances ciné-éthique, des conférences en lien avec dautres comités régionaux, etc. Le tout au sein dun espace pas réservé aux médecins, mais aussi très fréquenté par les soignants.

Comment encourager ceux qui nosent pas approcher cette discipline ?

Le souci est de faire vivre un comité d’éthique ou de développer lidée dun soignant dans ce domaine. L’écueil réside souvent dans lappropriation de l’éthique par les médecins, alors que cela nous concerne tous. Il faut une synergie entre différentes personnes, services, établissements, pour que ça fonctionne. Et puis, si lon remplace le terme de philosophie par celui d’éthique, cela fait moins peur. Alors on a tendance à ajouter à l’éthique, la déontologie, le juridique, la réglementation, pour faire accepter un projet dans un établissement de santé. Mais le coeur de l’éthique pour moi cest la philosophie.

Propos recueillis par S.M.

Consensus/Dissensus - Principe du conflit nécessaire, Christophe Pacific, Ouverture Philosophique, LHarmattan, Paris 2011, 206 p.

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Réactions

3 réponses pour “Philosophie : un autre regard sur le soin”

  1. Anne Rambois dit :

    C’est sûr Dame philosophie peut aider ! Mais elle ne peut pas tout ! Au moins prendre conscience : Quand les conditions de travail deviennent , à un moment donné vraiment intenables pour soi, même si d’autres y parviennent, on n’est pas dans une compétition, on a des résistances différentes ! c’est bien la philo, mais des remplaçantes des inf. en vacances, c’est bien aussi !

  2. Pwi-Pwi Cilla dit :

    Virginie Catherinaud 🙂

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