L’anesthésie loco-régionale (ALR) consiste en une interruption médicamenteuse temporaire et réversible de la conduction nerveuse dans un territoire corporel identifié (médullaire ou périphérique), permettant une analgésie efficace tout en préservant l’état de conscience du patient.
Plus spécifiquement, la rachianesthésie (RachiA) permet d’éviter une anesthésie générale (AG), tandis que l’anesthésie péridurale (APD) permet l’analgésie au cours du travail obstétrical et peut être associée à une AG afin d’optimiser l’analgésie per et postopératoire suite à une lourde intervention chirurgicale.
Rappel sur les anesthésiques locaux
Au contact des nerfs, les anesthésiques locaux (AL) sont des substances capables de bloquer de façon réversible et temporaire la conduction de l’influx nerveux. Ils agissent comme une coupure de courant, empêchant les messages douloureux d’être acheminés vers le système nerveux central (bloc sensitif) et le muscle de se contracter complètement (bloc moteur).
Après injection de l’AL, les effets sont les suivants :
- bloc sympathique : une vasodilatation périphérique avec un risque d’hypotension artérielle ;
- bloc moteur : une abolition de la conduction motrice responsable d’une paralysie transitoire ;
- bloc sensitif : une inhibition des fibres sensitives (qui conduisent la douleur, le toucher), responsable de l’anesthésie.
Il peut exister une dissociation de la sensibilité : la sensation douloureuse est abolie mais les perceptions tactiles peuvent subsister.
La rachianesthésie
C’est une anesthésie rachidienne obtenue par injection directe d’AL dans le sac dural, l’AL étant en contact direct avec les racines rachidiennes puis la moelle épinière. Ceci explique la rapidité d’installation (5 à 10 min) et l’intensité du bloc (bloc moteur complet).
Indications et contre-indications
Elle est indiquée pour un geste chirurgical du bas du corps (orthopédie, gynécologie, césarienne, chirurgie digestive sous ombilicale, urologie sous ombilicale…) et dure 1h30 à 2 heures.
Les contre-indications sont nombreuses. La première est le refus ou l’absence de coopération du patient. Suivent les troubles de l’hémostase ou un traitement anticoagulant en cours, un état de choc septique ou hypovolémique, une infection localisée au point de ponction, une allergie vraie aux AL, une malformation rachidienne invalidante ou une ostéosynthèse lombaire, une affection neurologique évolutive (sclérose en plaque…) ou des séquelles neurologiques, une insuffisance cardiaque, un rétrécissement aortique…
Technique de réalisation
Le patient est monitoré, perfusé et installé en position assise ou en décubitus latéral, suivant les habitudes du médecin anesthésiste (MAR), le dos arrondi afin d’ouvrir les espaces inter-épineux.
L’aiguille utilisée est une aiguille fine « pointe crayon » 25G permettant d’écarter les fibres de la dure mère et de minimiser les céphalées post-ponction dues à la fuite de liquide céphalo-rachidien (LCR).
Après une aseptie rigoureuse, le port de calot, de masque et de gants stériles, la ponction est effectuée en dessous de L2 (afin d’éviter tout contact de l’aiguille avec la moelle épinière qui se termine en L2), le point de repère étant une ligne horizontale passant entre les crêtes iliaques. Une fois passé le ligament jaune, le mandrin est retiré et un reflux de LCR surgit, témoin de la bonne position de l’aiguille. L’AL peut ensuite être injecté lentement (schéma 1) en aspirant du LCR avant et au cours de l’injection.
Si un reflux de sang apparait, l’aiguille sera retirée et une autre ponction sera tentée.
Si des paresthésies, c’est-à-dire des douleurs à type de décharge électrique irradiant dans la cuisse ou le membre inférieur, apparaissent, il est nécessaire de modifier la position de l’aiguille ou de changer d’espace.
Effets indésirables
Ils sont de deux types : immédiats et retardés.
Quelques minutes après l’injection d’AL, une hypotension artérielle, due au bloc sympathique, peut survenir, nécessitant un remplissage vasculaire et des bolus d’Ephédrine®. Une bradycardie témoignant d’un malaise vagal est aussi possible, nécessitant un remplissage vasculaire et une injection d’Atropine®.
Les effets retardés sont variés, de la rétention urinaire aux céphalées intenses par fuite de LCR au niveau du point de ponction ou par lacération des fibres dures mériennes par le biseau de l’aiguille.
Complications
Tout d’abord, la technique peut échouer ou une rachianesthésie totale peut survenir. Si le niveau de la rachiA monte trop haut, entrainant un arrêt respiratoire, cela nécessite une intubation orotrachéale avec ventilation, un remplissage vasculaire et des amines vasopressives (Noradrénaline…). De fortes céphalées témoin d’une brèche de la dure mère, nécessitent parfois un Blood patch qui soulage immédiatement le patient : 10 à 30 ml de sang du patient sont injectés dans l’espace péridural formant un caillot colmatant la brèche.
Des complications infectieuses de type méningite ou nerveuses (déficits sensitivo-moteurs) ou un hématome compressif restent exceptionnels.
Surveillance
Au retour de la salle de soins post-interventionnelle (SSPI), la surveillance consiste à évaluer les constantes hémodynamiques et respiratoire : fréquence cardiaque (FC), tension artérielle (TA), fréquence respiratoire (FR), saturation en O2 (Sat), la levée complète du bloc moteur (score de Bromage) et sensitif (test au froid) et surtout la reprise de la miction spontanée (risque de spasme du méat urinaire). Le premier lever s’effectue toujours en présence d’un infirmier afin de minimiser le risque de chute ou de prévenir le risque d’hypotension artérielle.
0 = Absence de bloc moteur (flexion complète des hanches, des genoux et des pieds),
1 = Incapacité de surélever les jambes étendues (tout juste capable de bouger les genoux et les pieds),
2 = Incapacité de fléchir les genoux (capable uniquement de bouger les pieds),
3 = Incapacité de fléchir les chevilles (incapable de bouger les hanches, les genoux et les pieds).
L’anesthésie péridurale
Elle se définit par le blocage des fibres sensitives et motrices en introduisant un AL au contact des racines de la moelle épinière dans l’espace péridural. Le temps d’installation est plus long, de 20 à 30 minutes. C’est un acte plus technique que la RachiA avec la mise en place d’un cathéter permettant d’effectuer des réinjections ou de brancher une pompe PCEA (Patient Controlled Epidural Analgesia) avec un débit variable.
Indications et contre-indications
Elle peut être posée au niveau lombaire, pour une analgésie obstétricale ou dans le cas de chirurgie abdominale lourde, ou dorsal, en cas de chirurgie thoracique ou oesophagienne, ou encore cervical. L’objectif est d’obtenir une analgésie, une protection neuro-végétative et un relâchement musculaire pendant plusieurs heures, par exemple pour une analgésie obstétricale, ou sur plusieurs jours, en cas de chirurgie lourde.
Les contre-indications sont identiques à celles de la RachiA auxquelles se rajoute un taux de plaquettes inférieur à 75 000/mm3.
Anesthésie péridurale : Technique de réalisation
L’installation est identique à la réalisation de la RachiA. L’aiguille utilisée est une aiguille de Tuohy avec mandrin et cathéter péridural.
Après une aseptie rigoureuse et un habillage chirurgical, la ponction est réalisée en L3-L4 ou L4-L5. Le MAR progresse lentement avec la technique du mandrin liquide afin de repérer l’espace péridural. L’espace péridural est un espace où règne une pression négative, ce qui explique le phénomène d’aspiration à l’injection et la perte de résistance. Dès la perte de resistance, il faut arrêter la progression de l’aiguille afin ne pas franchir la dure mère et vérifier l’absence de reflux de LCR et de sang (schéma 2). Après un test d’aspiration, une dose test avec un AL adrénaliné est injectée afin d’éliminer un passage vasculaire, puis le cathéter est introduit. Un pansement large permet de fixer le dispositif et d’éviter le retrait accidentel du cathéter.
Si un reflux de sang apparait, l’aiguille sera retirée et une autre ponction sera tentée. Si des paresthésies apparaissent, il est nécessaire de modifier la position de l’aiguille ou de changer d’espace.
Pour l’entretien de l’analgésie, un test d’aspiration est effectué avant chaque réinjection afin vérifier la bonne position du cathéter et l’absence de reflux sanguin.
Effets indésirables
Les effets immédiats sont identiques à la RachiA. De plus, même si elle reste exceptionnelle, une rachianesthésie totale peut survenir brutalement, en cas d’injection accidentelle, partielle ou totale d’AL, dans le sac dural. Cela nécessitera les manœuvres de réanimation décrites ci-dessus.
Les effets retardés sont variés : asymétrie (position latérale du cathéter), insuffisance d’analgésie, brèche de la dure-mère avec céphalées intenses (par fuite de LCR), sans oublier un hématome péridural, une compression médullaire ou un déficit neurologique.
Anesthésie péridurale : Complications
Tout d’abord, la technique peut échouer. La brêche duremèrienne est la complication la plus fréquente. Elle est due à l’effraction de la dure-mère par l’aiguille de Tuohy au moment de la ponction. Du LCR coule par l’aiguille entrainant des céphalées intenses invalidantes, parfois accompagnées d’un syndrôme méningé sans fièvre ( raideur de nuque, photophobie, vomissements ). Le traitement est le blood-patch décrit ci-dessus.
Un hématome péridural et/ou une compression médullaire, liés à des troubles de la coagulation, sont des accidents graves qui restent exceptionnels.
Il existe aussi des complications liées au cathéter comme une perforation secondaire de la dure-mère par l’extrémité du cathéter, une rupture ou un déplacement secondaire du cathéter.
Des troubles neurologiques (sensitifs, moteurs) dus à une lésion directe de la moelle ou des racines de la queue de cheval peuvent survenir et s’estompent généralement en quelques jours. Enfin le risque infectieux n’est pas à négliger, particulièrement si le cathéter est maintenu plusieurs jours.
Anesthésie péridurale : Surveillance
La surveillance en service de chirurgie concerne les patients ayant subi une lourde intervention chirurgicale et bénéficiant d’une analgésie péridurale durant les 48-72èmes heures post-opératoires. La surveillance consiste à évaluer la conscience, les constantes hémodynamiques et respiratoires, la température, le niveau d’analgésie (EVA), le bloc sensitif (test au froid) et le bloc moteur (score de Bromage), les nausées/vomissements, la diurèse, ainsi que les complications liées au cathéter (branchement de la pompe, pansement…). Le premier lever ne sera possible qu’après le retrait du cathéter, la disparition complète du bloc moteur et sensitif et des constantes hémodynamiques correctes.
A retenir
A visionner
Video rachianesthésie
https://youtu.be/emxenAsdbhA
Video anesthésie péridurale
https://youtu.be/EnIiMYrhk_4
Laurence PIQUARD
Infirmière Anesthésiste
Cet article est paru dans le n°32 d’ActuSoins Magazine (décembre 2019)
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