En 2019, ActuSoins se penche sur la question et vous propose une série d’articles sur les indus afin de comprendre les démarches des Cpam et leurs agissements.
[ Volet 1 ] Témoignages d’ infirmières libérales, dont la vie a « basculé » après un « contrôle » des caisses.
« Le contrôle de la Cpam sur mon activité est liée à celle de ma collègue qui avait, d’après notre caisse, un chiffre d’affaires supérieur à la moyenne du département, explique Nathalie*, infirmière libérale (idel) installée dans l’Yonne depuis août 2015 en zone intermédiaire et rurale, et collaboratrice depuis septembre 2016. Comme la Cpam a décidé de la contrôler, elle m’a contrôlée également. » En avril 2017, elles reçoivent un appel du délégué de l’assurance maladie qui souhaite les rencontrer. « Elle nous a apporté en main propre, un ″paquet″ d’indus avec 150 000 euros réclamés à ma collègue et 30 000 euros pour moi, se souvient-elle. On nous a informées qu’il s’agissait principalement de constats d’anomalies, qu’il ne fallait pas s’inquiéter. Nous avions quinze jours pour répondre. » Comme pour de nombreux infirmiers libéraux, c’est généralement la facturation des AIS qui coince. Nathalie décide, avec sa collègue, de monter leur dossier ensemble.
Un stress permanent
« Nous avons dû faire un courrier justificatif pour chaque patient, ressortir les ordonnances pour prouver notre travail, explique-t-elle. Il fallait répondre au cas par cas. » Elles se rendent ensuite à un rendez-vous avec la Cpam au cours duquel les représentants leur expliquent leur façon d’interpréter la nomenclature. « Le gros problème, c’est que les ordonnances des médecins ne correspondent pas à la cotation de notre nomenclature, souligne Nathalie. Souvent, ils inscrivent “toilette” alors que ce n’est pas remboursable par la sécurité sociale. Ils doivent écrire “séances de soins infirmiers“. »
Et d’ajouter : « Ce que nous n’avons pas compris, c’est que nous avons toujours fait des ententes préalables pour les AIS sans obtenir de retour de la Cpam, ce qui vaut pour acceptation. Mais pour notre caisse, que nous restions cinq, dix, trente ou quarante-cinq minutes, nous devons toujours coter 1AIS3 car pour elle, le temps se cumule entre nos patients. » Après la réunion, les deux infirmières libérales sont dans l’attente d’une décision. « J’ai reçu en juillet 2017 une notification d’indus confirmant les 30 000 euros réclamés, sans pénalité, fait savoir Nathalie. J’ai presque été soulagée car on nous avait prévenu que l’absence de notification peut vouloir dire que la Cpam décide d’intenter une action au pénal, de saisir l’Ordre des infirmiers ou encore d’entreprendre un déconventionnement. »
Sa collègue a d’ailleurs reçu une notification d’action au pénal. Nathalie décide alors de saisir la Commission de recours à l’amiable (CRA). Sans réponse, ce qui vaut pour rejet, elle saisit le Tribunal des affaires de la sécurité sociale (TASS)(1) en décembre 2017. « Depuis, je sais simplement que mon dossier est au pôle social du Tribunal de grande instance. J’attends d’être convoquée. » Au départ, elle a très mal vécue la situation, « j’en suis même venue à douter de ma collègue, reconnaît-elle. Depuis, cela va mieux mais il m’est difficile de me lever tous les matins pour faire mon travail en sachant que la Cpam peut nous attaquer pour une histoire de papiers. D’ailleurs aujourd’hui, lorsque je facture, je me demande toujours si dans deux ans, on ne va pas me réclamer de l’argent. »
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Divorce, perte de la maison
De son côté, Julie, en procédure depuis 2015, a tout perdu dans cette histoire. « Pour mon installation pour devenir infirmière libérale, je suis partie de rien, explique-t-elle. J’ai commencé avec une patiente par jour et le bouche-à-oreille a fonctionné. » Son cabinet se développe et lorsque Julie doit organiser son congé maternité, un conflit éclate avec sa remplaçante « qui ne voulait ni donner des jours de travail, ni les augmenter ». « Nous avons fait une rupture de contrat et quinze jours plus tard, j’ai eu un contrôle de la sécurité sociale pour fraude », indique l’infirmière libérale, qui reconnaît que rien ne prouve que cela vienne de sa remplaçante.
C’est une patiente qui la prévient qu’une inspectrice effectue des contrôles. « Je me suis même retrouvé nez à nez avec elle chez l’une de mes patientes, m’obligeant à sortir en attendant qu’elle finisse son contrôle. » Et d’ajouter : « Tous mes patients ont été chamboulés, l’un d’eux l’a même mise dehors. » Outre les patients, « elle a interrogé ma nouvelle collaboratrice et ma remplaçante qui m’a diffamée, indique l’infirmière. Elle m’a aussi interrogée pendant 2h30 alors que j’étais à cinq mois de grossesse. Il n’y avait qu’elle et moi, elle prenait des notes, mais elle pouvait bien noter ce qu’elle veut. »
Ce que la Cpam lui reproche ? Une fois de plus, la facturation des AIS. « Selon ma Cpam, à chaque fois que j’ai facturé 2 AIS3, j’aurais dû coter 1 AIS3. Or, je ne vois pas comment mettre moins de trente minutes avec tout ce que je fais chez mes patients. J’ai d’ailleurs des cahiers chez mes patients qui prouvent mes déplacements et mes actes. » Elle reçoit les conclusions de cette réunion en septembre, mois de son accouchement. « Je me suis assise en pleurs. La Cpam me réclamait 132 000 euros et 60 000 euros de pénalités à rembourser en deux mois. J’ai trouvé un avocat, j’avais un rendez-vous le 10 septembre, mais j’ai accouché le 9 septembre, trois semaines avant la date du terme, probablement à cause du stress. J’ai donc reporté mon rendez-vous avec l’avocat de 15 jours, mais je n’ai pas profité de ma grossesse, ni de mon bébé, on m’a tout volé. »
Julie est passée en commission des pénalités au siège de la Cpam, accompagnée de son avocat, et avec cinq autres infirmières libérales. Ses pénalités sont descendues à 20 000 euros, « les 132 000 euros d’indus devraient aussi être revus à la baisse puisque les pénalités sont généralement calculées en proportion », suppose-t-elle. En février 2016, elle dépose son dossier au TASS, l’audience a lieu en mars 2018 et elle reçoit le compte-rendu en juin. « Le jugement est ininterprétable d’après mon avocat, indique Julie. Nous avons donc décidé de faire appel. »
La procédure, toujours en cours, a fragilisé Julie. Elle a été hospitalisée en psychiatrie pendant trois mois et est toujours suivi par une psychiatre une fois par semaine. « J’ai longtemps tenu puis j’ai fait un burn out, raconte-t-elle. Mon mari ne m’a pas soutenue, nous avons donc divorcé, et j’ai dû vendre ma maison pour payer les frais d’avocat. » Aujourd’hui, elle vit dans un logement social avec ses enfants et n’est pas sûre de pouvoir, ni vouloir, retourner travailler en libéral, même si elle aime toujours autant son métier. « D’autant plus que le jugement en appel n’aura pas lieu avant 2020, il m’est donc difficile de reprendre en ne sachant pas à quelle sauce je vais être mangée. » Et de conclure : « Je préfèrerais un poste en horaire de jour pour garder mon confort de vie avec ma famille qui est désormais ma priorité ou passer le concours d’infirmière scolaire. »
Un temps de travail non contrôlable
L’histoire de Patrick, infirmier libéral installé dans l’Hérault est un peu plus ancienne. Sa rencontre avec les indus de la Cpam commence il y a une dizaine d’années. « Quelques temps avant, j’avais eu un contrôle médical à la suite d’une dénonciation d’un patient, qui pensait que j’avais recours à une aide-soignante pour faire les soins, alors qu’il s’agissait de ma collaboratrice, raconte-t-il. J’ai quand même eu un contrôle de la Cpam qui est allée plus loin… »
Là aussi, ce sont les AIS qui posent problème. « La Cpam m’a réclamé des indus pour deux patients, alors que j’avais fait une demande d’entente à laquelle elle n’avait pas répondu, explique Patrick. Le tribunal l’a donc débouté. » Mais l’histoire ne s’arrête pas là : la Cpam assigne également l’infirmier devant le Conseil de l’Ordre des infirmiers tout juste créé. Mais c’est la chambre disciplinaire du Conseil de l’Ordre des médecins qui doit statuer. « Mon avocat a défendu mon dossier en expliquant que comme la profession était désormais dotée d’un Ordre, le Conseil des médecins n’était pas habilité. On n’a pas été entendu et j’ai été condamné à six mois de suspension car selon l’Ordre des médecins, je ne pouvais pas justifier un certain nombre d’AIS. » En appel, l’infirmier a été condamné à un mois de suspension.
En 2008, Patrick fait l’objet d’un second contrôle avec 42 autres infirmiers libéraux assignés devant le tribunal correctionnel pour fraude. « C’était fois-ci, c’est notre temps de travail qui a été mis en cause car selon la Cpam, qui s’appuyait sur mes AIS, je faisais des journées de 26 heures. » Patrick a d’abord été condamné à une amende de 5000 euros, alors que la Cpam lui réclamait 340 000 euros. Il a fait appel, tout comme la Caisse. Sur les 42 infirmiers libéraux, Patrick est le seul à ne pas avoir été condamné car « d’après le tribunal, la Cpam ne pouvait pas juger, à la louche, du temps que l’on passait chez les patients », indique-t-il. Elle a fait appel mais a été déboutée en Cour de cassation. « On pense souvent aux contrôles de la Cpam dans le cadre de notre exercice, reconnaît Patrick. On se demande par quel bout elle va nous prendre. Elle veut tout contrôler. Le stress est permanent. Certains infirmiers libéraux sous-cotent même volontairement. »
Des soins pourtant justifiés
Martine*, infirmière libérale exerce en région PACA depuis onze ans et est en contentieux avec sa Cpam depuis mars 2018. « C’est lié à un signalement d’un patient, explique-t-elle. Mais il faut savoir que ce patient, que je suivais depuis sept ans, a développé une névrose obsessionnelle amoureuse sur moi et ma collègue. Il a eu des gestes déplacés. Nous avons donc décidé d’une cessation des soins avec lettre recommandée et lui avons donné une liste des cabinets environnants. Aux attouchements sexuels, se sont alors ajoutées des menaces de mort par téléphone. Nous avons effectué un dépôt de plainte à la gendarmerie. Et lui a effectué un signalement à la Cpam comme quoi nous ne venions pas faire les soins. »
Cette information est écrite sur la lettre d’indus envoyée par la Cpam qui réclame 20 000 euros à Martine et 15 000 euros à sa collègue. « On nous reproche des majorations de nuit alors que nous avons les ordonnances du médecin, l’application de la prime du dimanche ou de la Majoration de coordination infirmière (MCI) alors que c’est dans la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP), explique-t-elle. Nous pouvons tout justifier, c’est ça le pire. » Et d’ajouter : « La sécurité sociale tente car elle se dit que les infirmières libérales n’ont pas la possibilité de se défendre. Beaucoup ont peur et paient. »
Pas question pour Martine, en ayant réalisé les soins et en ayant les ordonnances en bonne et due forme, de ne pas se défendre. Elle a saisi la CRA qui a rejeté la demande et s’est donc orientée vers le TASS l’année dernière. Elle devrait passer devant le Tribunal de grande instance avec sa collègue cette année ou l’année prochaine.
Pourquoi un tel comportement des Cpam ? Sur quels textes fondent-elles leur décision ? Comment se défendre ? Ce sera l’objet du prochain article sur notre thématique des indus (à suivre sur ActuSoins.com)
Laure Martin
(1) Depuis le 1er janvier 2019, les TASS n’existent plus. Ce sont les tribunaux de grande instance qui sont compétents en matière de sécurité sociale.
*Le prénom a été modifié
Lire aussi sur ActuSoins :
Infirmiers libéraux et indus : les procédures menées par les CPAM (2e volet de la série “Indus”). Février 2019
Infirmiers libéraux et Indus : pourquoi un tel comportement des Cpam ? (3ème volet de la série “indus”). Mars 2019.
Fraudes, erreurs, ou acharnement? Les infirmiers libéraux face aux CPAM. Mars 2016.
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