« Les trans » de poche des infirmiers, utilisation et bénéfices

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Clemence Romuald, étudiante à l'IFSI de Nancy revient sur les "trans", ces petites notes que certains trouvent très utiles, rarement évoquées mais souvent utilisées. Cette étudiante infirmière y a consacré son travail de recherche.

Les trans de poche des infirmiers, utilisation et bénéfices

©DR
Clémence Romuald

« Tu ne prends pas de notes ? » Cela a été ma première confrontation avec ce que l’on appelle plus communément « la feuille » ou « les trans » ou ce que je nommerais les transmissions de poche à cause de son contenu et de son lieu de stockage,

Tout au long de ma formation les transmissions de poche m’ont permises de pallier les difficultés : peur d’oublier des soins, de faire des erreurs, durant mes stages. Étant une personne très ordonnée et minutieuse, organiser mes soins est pour moi une priorité.

En tant qu’étudiante, je me suis questionnée sur ce document qui semble «  illégal » ; les infirmiers ne savent pas si ces transmissions de poche sont soumises à une réglementation particulière.

Je les ai découvertes en stage, elles n’ont jamais été évoquées lors de ma formation infirmière.

Et pourtant, elles sont utilisées par de nombreux professionnels de soins en milieu hospitalier et semblent avoir de nombreux avantages à leurs yeux. Même par des infirmières italiennes lors de mon stage ERASMUS, par des professionnels canadiens ou belges que j’ai pu rencontrer

Cette dimension presque internationale m’a interpellée et c’est pour toutes ces raisons que les transmissions de poche est devenue l’objet de mon travail de recherche

 « Les trans » de poche

Quel que soit le support : une feuille de brouillon, liste ou tableau pré-imprimé sur ordinateur, une feuille blanche, chaque infirmier les utilise comme bon lui semble.

Elles sont remplies par chacun ou de façon collégiale, lors des transmissions de début de poste, conservées dans la poche des infirmiers, réactualisées tout au long de la journée et elles servent de support pour les transmissions de fin de poste.

Les infirmiers organisent le contenu de cette feuille comme ils souhaitent. Ils y mettent des couleurs, leurs propres abréviations ou du surligneur.

L’analyse de contenu de douze feuilles permet de relever les éléments le plus souvent retrouvés.

Elles contiennent :

  • Des informations administratives sur le patient : nom, prénom, âge, pathologie, antécédents…
  • Des informations relatives aux prescriptions médicales : réfection de pansement, paramètres, dosages, noms de médicaments, heures d’examens…
  • Des informations relatives à l’état du patient : fatigue, perte de poids, constipation, humeur, hyperthermie, douleur…
  • Des actions à réaliser ou déjà réalisées : faxer ordonnance, aller chercher résultats…

Elles regroupent des informations présentes dans le dossier de soin et sur la planification. Malgré la présence de ces outils, les transmissions de poches continuent à être utilisées. Les avantages semblent différents.

 Les avantages par rapport aux autres support

 Il y a un dossier de soins pour un patient, les transmissions de poche regroupent tous les patients afin de visualiser l’ensemble des soins à réaliser dans la journée.

La planification murale pour tous les patients existe, mais l’outil est statique, les transmissions de poche peuvent être transportées dans tout le service et notamment au pied du lit du patient.

Le dossier de soins est archivé alors que les transmissions de poches sont jetées.

L’infirmier peut y écrire des informations non présentes sur les supports de traçabilité comme « aller chercher bilan », les transmissions de poches servent également d’aide-mémoire.

 Les avantages vis-à-vis des infirmiers

Les transmissions de poche sont d’abord utilisées pour apporter des bénéfices aux infirmiers.

Le fait d’être accessible à tout moment, à n’importe quel endroit rassure l’infirmier et permet de diminuer le stress lié à l’oubli d’informations ou d’erreurs d’organisation.

Les transmissions de poche sont un outil qui aide à la mémorisation des informations transmises lors des transmissions de début de poste. En effet, l’écriture permet la mémorisation des informations transmises pendant les relèves.

Les infirmiers reçoivent un nombre important d’informations relatives à la prise en charge d’un patient : noms des patients, pathologies, antécédents, traitements, soins à réaliser, surveillances particulières… De plus, dans certains services, l’infirmier prend en charge dix à douze patients.

Un procédé mnémotechnique

Ces informations sont donc multipliées par le nombre de patients. Les transmissions orales durent environ vingt à trente minutes. Prendre des notes pendant les relèves, permet de pouvoir regarder, à tout moment de la journée, les informations transmises que l’infirmier n’a pas retenues. C’est un procédé mnémotechnique.

La feuille permet également de structurer les relèves infirmières afin qu’elles durent moins longtemps et qu’elles soient moins confuses. Cela a été démontré dans le texte scientifique intitulé Barriers and facilitators to nursing handhoff : recommandations for redesign[1].

La prise de note faciliterait la transmission d’information et pallierait les difficultés, interruptions et mauvaise organisation des transmissions orales qui gênent la mémorisation et la compréhension durant les relèves infirmières.

Faciliter la continuité des soins

Cet outil facilite la continuité des soins entre les infirmiers et les différents professionnels de santé qui ne sont pas présents lors des relèves infirmières : les diététiciennes, les kinésithérapeutes, les orthophonistes, les ergothérapeutes, les anesthésistes, les équipes mobiles de soins, les psychologues, l’assistante sociale, et les bénévoles.

Avec cette feuille dans la poche, l’infirmier peut à tout moment répondre à leurs demandes sans devoir retourner chercher les informations dans les dossiers de soins.

Elle permet aussi d’éviter des trajets dans le service de soins car les informations importantes pour la prise en charge du patient sont à portée de main. A long terme, les transmissions de poche diminuent la fatigue physique liée aux trajets de la chambre des patients au bureau infirmier.

 Les avantages vis-à-vis des patients

Les avantages infirmiers ont une répercussion sur les soins administrés aux patients. La diminution du stress infirmier et le gain de temps sur l’organisation des soins ainsi qu’un accès rapide aux infirmations permet aux infirmiers d’être moins angoissés et plus disponibles pour les patients et donc de privilégier les soins relationnels ainsi que le contact avec le patient.

La présence d’informations relatives au patient sur les transmissions de poches permet de réaliser des soins individualisés. Cette feuille peut être utilisée pour noter les envies, souhaits, habitudes des patients afin qu’ils se sentent davantage écoutés. La prise en charge individualisée des patients est de meilleure qualité avec l’aide de cet outil.

 Les problèmes qu’elles pourraient engendrer

Risque d’erreurs médicamenteuses : les transmissions de poche utilisées actuellement engendrent des erreurs. En effet, les infirmiers y recopient des prescriptions médicales alors que cela est interdit (dosages et noms de médicaments).

Risque de perte du secret professionnel : comme leur utilisation n’est pas encadrée, des feuilles sortent du service avec l’identité et les pathologies des malades présents.

Lors de mes stages, des patients sont également venus me rapporter des exemplaires de ces feuilles qu’ils ont trouvés dans le couloir ou dans leur chambre. 

Législation

A travers mes recherches, et suite à un rendez-vous avec un juriste, j’ai pris conscience que les transmissions de poche ne violent pas le secret professionnel car en l’absence de notification dans la législation, la violation du secret professionnel est un acte intentionnel. Perdre la feuille dans le service n’est pas un acte intentionnel[2].

De plus, elles suivent la réglementation des notes personnelles médicales qui stipule qu’elles ne font pas partie du dossier de soins infirmier et que les patients n’y ont pas accès.

L’infirmier doit faire attention au contenu des transmissions de poche afin de protéger le secret professionnel au même titre que la protection du dossier de soins ou de la planification murale comme le stipule l’article suivant[3] :

 "L’infirmier ou l’infirmière […] doit veiller à la protection contre toute indiscrétion de ses fiches de soins […] quel que soit le moyen de stockage des données, il doit prendre toutes les mesures qui sont de son ressort pour en assurer la protection notamment au regard des règles du secret professionnel."

Les « trans » infirmières sont indispensables pour les infirmiers et engendrent de nombreux avantages ayant des répercussions sur l’organisation des soins. Elles semblent ne pas aller à l’encontre de la législation. Cependant elles sont « chassées » par la certification car actuellement leur utilisation n’est pas assez encadrée

 Une expérience au Luxembourg

J’ai l’opportunité d’être mis en contact avec le responsable d’un groupe pilote d’un Centre Hospitalier luxembourgeois  qui a décidé d’encadrer l’utilisation de ces transmissions de poche.

L’équipe de direction s’est rendue compte que tout le monde utilisait les transmissions de poche et que des erreurs de transcription d’informations ou des oublis étaient fréquents.

En 2013, un groupe d’infirmiers accompagné par un consultant a proposé de réfléchir à une feuille pré-imprimée, sous la forme d’un tableau pré-rempli au cours des transmissions, imprimées pour toutes les infirmières, archivées sur l’ordinateur. Chaque infirmier possède un exemplaire identique. Le professionnel peut également la compléter à la main tout au long de sa journée et la faire réajuster lors de la prochaine transmission.

Après un test de 3 mois, cette feuille a été réajustée, son guide d’utilisation qui rappelle son but, son mode d’utilisation et les responsabilités infirmières, son mode de destruction et d’archivage a été construit puis le document a été validé par la direction. Cet outil informatisé est accessible à tous les professionnels intervenants auprès des patients.

Ce travail de recherche m’a permis un réel questionnement sur cet outil encore « indésirable » mais qui tend à devenir légitime pour certains professionnels.

 Clémence Romuald (IFSI Lionnois  / CHU Nancy)

[1] FLANAGAN Mindy, EBRIGHT Patricia, WELSH Catherine. Barriers and facilitators to nursing handoffs: Recommendations for redesign. Nursing Outlook. Volume 58, n°3, p.148-154

[2] AGENCE NATIONALE DE L’EVALUATION ET DE LA QUALITE DES ETABLISSEMENTS EN SERVICE SOCIAUX ET MEDICO-SOCIAUX. Le cadre juridique du secret professionnel dans le cadre de la protection de l’enfance [en ligne] disponible sur http://www.anesm.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Cadre_juridique_15_01_11.pdf [consulté le 25 Juin 2014]

[3] Les transmissions [en ligne]. Disponible sur http://data.over-blog- kiwi.com/0/16/02/27/201306/ob_cb6c8c_les-transmissions-sept-2012-2015.ppt [consulté le 25 Juin 2014]

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Réactions

22 réponses pour “« Les trans » de poche des infirmiers, utilisation et bénéfices”

  1. marie33 dit :

    OK, il y a des fautes mais on s’en fout. Je suis cadre de santé et toutes les IDE même les AS ont des trans de poche! Dans mon service, nous avons une feuille pré-imprimée (juste un tableau avec les horaires) que chaque IDE remplit à sa prise de poste. Elle la réactualise en fonction des événements de la journée: c’est en quelque sorte sa feuille de route avec en plus ses annotations personnelles. Je ne vois pas comment, à moins d’une mémoire d’éléphant (et encore), on pourrait faire sans. Par contre, c’est vrai qu’il peut y avoir des erreurs de retranscription, et ça, c’est un risque. les IDE de mon service suite à une réflexion commune, n’écrivent plus les prescriptions mais marquent plutôt « traitement, injection…. » et là vont voir sur le dossier. Mais sans doute parce nous avons peu de prescriptions médicamenteuses. Par contre, j’exige que cette feuille soit détruite dans le broyeur à la fin de chaque faction. Ayant été IDE pendant 20 ans, j’ai toujours constaté l’existence de ses « trans de poche ».

  2. toutes les IDE ne son pas équipée PAL

  3. Mumu Lathus dit :

    je prends les trans sur papier ça me rassure mais j’essaie de m’en servir le moins possible pour faire travailler ma mémoire

  4. Anne Poupault dit :

    article et raisonnement intéressants! Dommage pour les fautes d’orthographe (réfection de pansement et intentionnel au lieu d’attentionnel)

  5. Étude originale mais pas mal de fautes typiques d’une jeune étudiante… Réflexion/réfection de pansement, acte attentionnel/intentionnel…
    Je serais curieuse de lire le questionnaire et les conclusions que vous en tirez…

  6. On a dans notre service une feuille de trans jouranlière , donnant ce que noua allons faire dans la journée , mais je le dis assez souvent , elle contient des choses liés aux secret professionnel et notre cadre refuse que l’on ait un broyeur , cette feuille est mise dans la poubelle noire !!!!!enfin comme c’est elle qui fait la loi !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

  7. Nadege Corbin dit :

    c’est sûr qu’un acte qui est « attentionnel » ( écrit 2 fois) ne peut être considéré comme un délit

  8. Je pense qu’on travaille tous avec nos notes, perso je les broient à la fin de mon poste car ça traîne partout sous tous les yeux !

  9. Annie Lemore dit :

    Très intéressant ce mémoire. Ca donne envie de le lire en entier.

  10. aaahh l’aspect législatif…
     » Elles semblent ne pas aller à l’encontre de la législation. Cependant elles sont « chassées » par la certification car actuellement leur utilisation n’est pas assez encadrée  » –> donc les autorités compétentes (déjà là il y a un oxymore) vont venir nous dire comment bien prendre nos notes ! sérieux ?
    prendre des notes, c’est humain, c’est utile, comme dit dans ce travail, chacun note ce qui l’intéresse lui, les reste sera mémorisé.
    J’attends vivement un groupe de travail HAS ou un mémoire cadre ou école de santé publique sur la gestion des notes de poche !

  11. Jamais sans ma feuille de trans!!!
    J’ai expérimenté la feuille de trans informatisée, commune à tout le personnel du service, que chacun annote à sa sauce la sienne et qui est mise à jour à chaque fin de poste par l’IDE (en 12h) et franchement je n’y voyait que des avantages. Le bémol, il n’y avait pas eu de réflexion profonde sur ce qu’on y met et une harmonisation du langage et des abréviations pour garantir un minimum de secret pro… Ça a peut être été fait par la suite.

  12. Kittycat Mel dit :

    travail très intéressant qui nous aurait été interdit à mon époque (très peu lointaine) car on aurait évoqué une étude de cadre de santé puisqu’elle concerne l’organisation du service et non le patient lui même. Attention jeune fille car il y a pas mal de fautes « réflexion des pansements »….

  13. Caroline Roux dit :

    Pertinence! Merci pour cette recherche.

  14. Moi j ai toujours bossé avec une feuille de trans dans mes poches..et il en était de meme pour mes collegues

  15. Celine Herard dit :

    Très bien cet article.

  16. très intéressant…. parfois les horaires de travail sont même organisés pour que les trans durent peu… la nuit, c’est 30 patients, ou plus… (gériatrie, c’est plus, par ex…)

  17. Mathieu Guyon dit :

    Une recherche très intéressante, en lien avec la pratique quotidienne.

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