Les plaies tumorales sont liées à des tumeurs primitives ou des récidives. Nous n’aborderons pas ici les plaies consécutives aux traitements anticancéreux car elles ne sont pas des plaies tumorales à proprement parler.
Si les tumeurs primitives sont trop près de la peau, elles peuvent s’ulcérer. Elles peuvent être d’apparition récentes ou dater de plusieurs mois, voire de plusieurs années. Pour des raisons personnelles, le malade n’a pas voulu se prendre en charge et cette lésion a évolué. Nous les appelons aussi « tumeurs négligées ». Les métastases cutanées et/ou lymphatiques, que nous nommons communément des « nodules de perméations » sont le signe de récidive à distance, parfois plusieurs années après un cancer préexistant.
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Les différents aspects des plaies tumorales
Les plaies tumorales peuvent prendre des aspects extrêmement différents. Les plaies peuvent être planes ou en « galettes », jusqu’à prendre une extension très invalidante… Elles peuvent être cavitaires et/ou fistulisées, pouvant se creuser jusqu’à des plans profonds, en délabrant progressivement les tissus et/ou les os, les vaisseaux… Et en créant des plaies béantes, des fistules ou des hémorragies… Enfin, elles sont parfois en « chou-fleur », d’aspect bourgeonnant, irrégulières, nécrotiques ou/et fibrineuses. Toutes ces plaies évoluent avec le temps, il s’agira pour les soignants de les réévaluer constamment, de prendre le malade dans sa globalité de vie et de travailler en pluridisciplinarité pour apporter une prise en charge de qualité et un soin approprié.
Plaies tumorales : déroulé de la prise en charge
Lorsque le malade vient à l’hôpital pour sa prise en charge locale, le soignant va évaluer la situation clinique, l’interroger et servir de lien avec d’autres professionnels de santé (oncologue, diététicien, psychologue…).
Il va ensuite effectuer le soin de la plaie en discutant avec le malade et/ou sa famille et en notant toutes les caractéristiques, comme la taille et l’évolution : stabilité, augmentation ou régression des lésions, saignements, exsudats, odeur, douleur… Il fait ensuite un compte rendu qu’il partage avec le généraliste et l’équipe soignante de ville.
Il est très important de développer la communication entre les équipes hospitalières et celles de ville afin d’assurer une continuité des soins cohérents. Les contacts téléphoniques et les mails permettent de partager des photos sans à avoir à faire déplacer le malade, pour une prise en charge optimale.
Les progrès thérapeutiques augmentent l’espérance de vie. Mais ces plaies chroniques « impensables », « inimaginables » découragent les patients et les équipes, faisant naître un sentiment d’impuissance.
Dans ce contexte où nous ne sommes pas dans de la cicatrisation dirigée, l’unique objectif et de maîtriser les différents symptômes que représentent la plaie. Si, malgré les traitements, la maladie s’aggrave, le soin peut devenir « palliatif ».
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L’hygiène de la plaie tumorale et le risque infectieux
Avant toute décision de protocole de soin, il est nécessaire de laver la plaie à grande eau. Il faut d’abord ôter le pansement précédent délicatement en l’humidifiant, si besoin. Le lavage se fait au mieux sous la douche (afin de baisser le nombre des colonies cutanées présentes physiologiquement sur la peau) à l’eau et au savon ou, si la douche est impossible et si l’on ne peut pas faire autrement, avec du sérum physiologique ou de l’eau distillée. L’eau et le savon restent le moyen le plus simple de prévenir l’infection et apportent également confort et bien être au malade.
L’odeur et l’aspect rebutant peuvent donner l’impression qu’il s’agit de plaies infectées. En réalité, ces plaies sont souvent colonisées et non pas infectées. L’odeur est liée à la nécrose tumorale et, plus précisément, à la présence de bactéries anaérobies dans cette nécrose. La nécrose peut être retirée manuellement au scalpel, à la curette ou à l’aide d’un hydrojet après application d’un anesthésiant local, si besoin.
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L’évaluation de la surinfection est complexe, car la plaie est pratiquement toujours colonisée. La malade est souvent immunodéprimé par les traitements de chimiothérapie et, lors de la phase d’aplasie, le risque infectieux devient majeur. Mais la neutropénie provoquant l’absence de pus, les signes classiques de l’infection sont masqués. D’autres signes permettent de la rechercher comme la majoration de la douleur, l’apparition d’une très mauvaise odeur ou une rougeur périphérique anormale. Ces signes doivent alerter et motiver un éventuel prélèvement bactériologique et/ou le démarrage d’un traitement par antibiotiques par voie générale. Afin de limiter le risque de résistance aux antibiotiques, il est très important de bien poser l’indication.
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Plaies tumorales : saignements et risque hémorragique
L’angiogenèse propre à la plaie cancéreuse rend le risque hémorragique très élevé. Les saignements peuvent être contrôlés lors des soins. Le retrait d’un pansement adhérent sera moins traumatique s’il est humidifié auparavant. De même, l’utilisation d’une interface directement sur le lit de la plaie rendra le retrait du pansement atraumatique. Si les saignements sont spontanés pendant le soin, il est préférable d’utiliser des pansements hémostatiques (alginate) voir des hémostatiques purs. En cas de saignements répétés, des contrôles hématologiques (NFS) doivent être pratiqués afin de pouvoir corriger, si besoin, la formule sanguine par une prescription de fer ou une éventuelle transfusion. Si les saignements deviennent réguliers et/ou abondants, l’application d’adrénaline lors du soin est à envisager. Enfin dans des cas extrêmes, en concertation avec l’équipe médicale, une radiothérapie à visée hémostatique, si elle est possible, peut faire tarir le saignement. L’embolisation reste aussi une bonne alternative.
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Plaies tumorales : la gestion des exsudats
Dans les plaies carcinologiques, les exsudats peuvent être particulièrement abondants. Il conviendra d’adapter le montage du pansement en fonction de ceux-ci. De nombreux pansements absorbants existent actuellement. L’idéal est une réfection du soin par 24 heures ou, dans certains cas, si nécessaire, deux fois par jour ou plus, le point principal étant le confort du malade. Le bon état de la peau périlésionnelle est à surveiller. Parfois, il est peut-être judicieux, si la taille de la plaie et si la peau périlésionnelle le supporte, d’utiliser une poche de recueil sur la plaie (type poche de stomie) afin de diminuer le nombre de réfections du pansement. Ces écoulements abondants peuvent exposer à des pertes hydro-électrolytiques et protéino-énergétiques. Il convient donc de s’assurer d’une bonne hydratation et d’un bon apport calorique et protéinique. Des prélèvements sanguins pourront être envisagés pour s’assurer du bon état clinique du malade et de la nécessité de prescriptions complémentaires.
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Plaies tumorales : les odeurs
Les malades et les soignants se plaignent souvent le l’existence d’odeurs nauséabondes. Véritable handicap physique et social, elles doivent être traitées dès leurs apparitions. Le charbon, s’il est maintenu à distance du lit de la plaie, donc au sec, est un bon filtre à odeur.
Il adsorbe efficacement beaucoup de gaz volatils. Sur une plaie malodorante, il peut parfois être utile d’utiliser plusieurs plaques de charbon pour augmenter l’efficacité de l’adsorption. Parfois quelques plaques à distance du site de la plaie sont utiles.
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Plaies tumorales : Le risque de douleur et la souffrance
La douleur physique peut être traitée de différentes manières. Il faut évaluer la douleur et anticiper les actes douloureux comme la réfection du pansement ou la détersion de la plaie. Elle peut être traitée par des antalgiques de paliers 1, 2 ou 3. En plus du traitement de base, il peut être nécessaire d’augmenter les antalgiques, selon les paliers de l’OMS, pour les soins.
Il ne faut pas oublier les antalgiques locaux qui, s’ils ne suffisent pas à eux seuls, peuvent être d’une grande aide ponctuelle. Les techniques non-médicamenteuses comme l’hypnose et l’écoute active peuvent apporter une aide parfois suffisante. Le MEOPA (mélange équimolaire d’oxygène et protoxyde d’azote) anxiolytique et analgésique est dispensé lors des soins de courte durée. L’anesthésie générale reste une option de dernier recours. Indépendamment de la douleur de la plaie tumorale, l’évaluation de la souffrance psychologique, liée à la présence de la lésion, visible et invalidante, doit être reconnue et prise en charge par un personnel ainsi que par une équipe pluridisciplinaire (psychologue, psychiatre…) formée à l’écoute.
Plaies tumorales : en pratique ou comment faire le soin…
Première étape : ôter délicatement le pansement en place et le regarder, pour juger de l’exsudat, de l’état hémorragique…
Le malade va ensuite prendre sa douche, seul ou accompagné, s’il a besoin d’être rassuré, l’idéal étant qu’il ait suffisamment confiance en lui pour réaliser ce soin seul au quotidien, s’il le souhaite. Cela peut permettre de l’autonomiser, d’être moins dépendant du personnel soignant et de lui donner l’impression de moins médicaliser cet acte, afin qu’il ait, pour un temps, un sentiment de liberté face à la lourdeur médicale imposée par le suivi de son cancer. Le rythme sera à voir en fonction de chacun.
Bien sûr, un regard infirmier régulier sera nécessaire pour optimiser cette prise en charge souvent chronique. A cet effet, il est utile de donner au patient toutes les coordonnées de l’équipe infirmière ainsi que les différentes adresses mail où il peut les joindre. Il ne faut pas hésiter, si la plaie s’aggrave ou se modifie, à faire reprendre les soins rapidement par une infirmière. Une fois la plaie propre, il faut ensuite noter les changements, puis ôter, si besoin, les nécroses, les croûtes et la fibrine (à l’aide de scalpel, curette ou hydrojet), en prenant soin de ne pas faire saigner, le but étant d’améliorer le confort et de prévenir le risque d’infection. Pour prendre soin de la peau périlésionnelle, parfois un simple émollient suffit pour adoucir les tiraillements et isoler la peau des éventuels exsudats. L’utilisation d’un isolant périlésionnel peut, si besoin, être utilisé. Il laisse un film étanche sur la peau et existe en spray.
Le nouveau pansement
Si le lit de la plaie est à vif mais peu ou pas exsudatif, il a besoin d’être recouvert pour éviter les frottements. Nous pouvons proposer une interface avec quelques compresses ou une « fausse interface » (uniquement en silicone) ou un hydrocellulaire très fin. Le pansement pourra être gardé en place plusieurs jours.
Ces pansements évitent la formation de croûtes, sont atraumatiques au retrait et très confortables.
Si la plaie est légèrement plus exsudative, nous recouvrirons l’interface de plus de compresses ou d’un hydrocellulaire un peu plus épais, donc plus absorbant. Le principe consiste à changer le pansement à bon escient, à saturation, mais pas trop souvent. Tous les deux jours est un bon rythme.
Si la plaie est plus exsudative, il est possible d’ajouter sur l’interface ou à la place de l’interface des pansements plus absorbants comme des fibres de CMC (carboxyméthylcellulose) ou un alginate (pansement à base d’algues). L’objectif est toujours de garder le pansement au moins 24 heures en place et sans fuite.
Suivant l’exsudat, il est possible d’utiliser plusieurs épaisseurs de plaques de fibres de CMC ou d’alginate. Dans le cas d’exsudats majeurs, l’utilisation de pansement américain peut être utile en plus. A savoir que l’alginate a un effet hémostatique et piège les bactéries dans sa trame. Son utilisation est donc très intéressante sur les plaies cancéreuses. Le pansement en fibres de CMC se transforme en gel cohésif et est donc atraumatique au retrait, apport également non négligeable sur ces plaies.
Les plaies cavitaires doivent être comblées afin d’éviter ou de ralentir la formation de fibrine à l’intérieur. Si la cavité est peu exsudative, il est recommandé d’humidifier l’alginate avec du sérum physiologique.
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En cas d’odeur nauséabonde, plusieurs plaques de charbon peuvent être utilisées, mais toujours au sec.
Notons que tous les dispositifs médicaux actuels sont le résultat d’une technologique de pointe et, de ce fait, sont extrêmement coûteux. Il est de notre responsabilité de soignant de faire attention à ne pas les gaspiller, ni les utiliser de façon inappropriée. Si un pansement reste propre pendant plusieurs jours, il ne sera pas utile de le changer systématiquement.
Il n’y a donc pas de protocoles miracles et le montage du pansement devra être réfléchi, si possible, par une équipe formée à ces soins très particuliers et ne devra pas être changé de façon inopportune, sans avoir été testé plusieurs jours de suite. Il est aussi primordial de noter méticuleusement tous changements dans un dossier de suivi.
La fixation
La peau périlésionnelle peut être indurée et/ou inflammatoire, elle peut être sèche et/ou lésée par les traitements reçus (chimiothérapie, radiothérapie) mais aussi fragilisée par l’évolution de la plaie. L’utilisation d’adhésifs en fixation du pansement peut provoquer des lésions qui mettront du temps à cicatriser. Ils sont donc à proscrire dans la majorité des cas. Actuellement, il existe des filets tubulaires, extensibles et de différentes tailles permettant de faire tenir le pansement. En jouant sur les découpes, nous fabriquons des « maillots » sans manches, souples, confortables et lavables. Si nous devons utiliser un adhésif, il faut le choisir en papier ou mieux (mais moins bien remboursé) en silicone.
Conclusion
Grâce aux progrès thérapeutiques et à l’augmentation de l’espérance de vie, les plaies tumorales sont amenées à perdurer plus longtemps. Elles deviennent ainsi des plaies chroniques parfois pendant des années et découragent malades et soignants. Il faut alors aider les patients à vivre avec ces plaies.
Bien au-delà du soin technique, le moment de la réfection du pansement reste pour le patient et son infirmière un moment privilégié. Le patient peut montrer l’« immontrable », partager ce qu’il cache à son entourage et verbaliser ce qu’il vit et ressent. L’infirmière reste à l’écoute, faisant preuve d’empathie. Elle réalisera son soin en préservant le confort et la qualité de vie de chaque patient et ne manifestera jamais son sentiment d’impuissance.
Corinne Petot
Infirmière stomathérapeute à l’Institut Curie
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Cet article est paru dans ActuSoins Magazine
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