A Hyères, avec des patients en état de conscience altérée

L’unité Napias de l’hôpital San Salvadour AP-HP, à Hyères (Var) accueille des patients en état végétatif persistant ou en état pauci-relationnel, tous ultra-dépendants. La prise en charge dans ce service de soins de suite et de réadaptation repose sur une équipe pluridisciplinaire engagée sur le plan relationnel, technique et éthique.

Cet article a été publié dans le n°44 d'ActuSoins Magazine (mars-avril-mai 2022). Il est à présent en accès libre. 

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l’Unité Napias offre un cadre attractif pour les soignants et du calme pour les familles et les patients

Chambres avec vue imprenable sur la mer, immenses terrasses, plage en contrebas : l’Unité Napias offre un cadre attractif pour les soignants et du calme pour les familles et les patients. © Christelle Calmettes.

 

Caroline* a trente ans. Sa vie a basculé alors qu’elle n’était encore qu’une enfant, après une fausse route entrainant une obstruction totale des voies aériennes, puis une anoxie cérébrale.

Depuis, la jeune femme a des troubles moteurs majeurs. Elle est aussi incapable de comprendre des consignes simples et de communiquer.

John* a cinquante ans. Il y a 33 ans, alors qu’il n’avait que 17 ans, il a été victime d’un grave accident de moto.

Son traumatisme crânien ne l’a pas laissé sans séquelles : avec un degré de réponse aux stimulations extrêmement altéré, il ne communique pas, et ne bouge spontanément aucun de ses membres.

le Dr Elisabeth Grimont-Rolland, médecin référent, Antoine Nahon, kinésithérapeute et Laurent Bourg, ergothérapeute, effectuent un examen clinique approfondi d’un patient de l’unité

Tous les vendredis, le Dr Elisabeth Grimont-Rolland, médecin référent, Antoine Nahon, kinésithérapeute et Laurent Bourg, ergothérapeute, effectuent un examen clinique approfondi d’un patient de l’unité, dans le cadre d’un bilan de médecine physique et de réadaptation (bilan MPR). Tous les patients sont vus au moins une fois par an. © Christelle Calmettes.

Caroline et John ont en commun d’être hospitalisés depuis de longues années à l’hôpital San Salvadour, et, depuis son ouverture il y a trois ans, dans le bâtiment Napias, qui compte vingt-deux lits réservés aux patients adultes en état végétatif persistant (EVP) ou en état pauci-relationnel (EPR).

« Certains patients sont ici depuis quinze ou vingt ans. Ils arrivent en général après un épisode aigu en réanimation ou en médecine, suite à une lésion cérébrale liée, le plus souvent, à un accident de la voie publique ou à un ou plusieurs AVC. Les prises en charge sont extrêmement lourdes », explique Virginie Pascal, cadre de santé de l’unité.

De façon plus exceptionnelle, ces souffrances cérébrales peuvent être liées à une maladie génétique ou aux conséquences d’un trouble artériel ou d’un choc septique.

Des patients lourds, qui ne communiquent pas

Caroline a une scoliose, conséquence indirecte de son accident de vie

Caroline a une scoliose, conséquence indirecte de son accident de vie. A l’âge de 15 ans, alors que sa cage thoracique était suffisamment développée, elle a pu bénéficier d’une arthrodèse du rachis, chirurgie qui consiste à le redresser. Ici avec des tiges Lukegavelstone. © Christelle Calmettes

Ici, chaque jour, trois infirmières (deux le matin, une l’après-midi), quatre aides-soignants, un kinésithérapeute, un ergothérapeute, et une psychomotricienne, s’affairent aux soins.

Côté infirmier, « les prises en charge sont plurielles et les soins variés », estime Karine Mounier, IDE, qui exerce depuis 23 ans à San Salvadour.

Son quotidien ? « Les bilans sanguins, les ECBU, les HGT, la tournée de surveillance des trachéotomies et des canules, la vérification des saturations, la distribution et l’administration – par gastrostomie le plus souvent – des traitements, les pansements, l’évaluation de la douleur, la pose de patchs ou de perfusions antalgiques… ». Mais ce qui caractérise le plus la singularité et l’intérêt de l’exercice soignant, de son point de vue, est… le relationnel. « Les patients ne communiquent pas ou très peu. Quand c’est le cas, la communication n’est pas verbale. Il faut les comprendre, savoir interpréter les signes. Nous avons toutes acquis cette expertise : nous avons une impression fine, un regard différent. On connaît tellement bien nos patients, que l’on sait interpréter la joie, la peine – sur les patients en état pauci-relationnel, ndlr –, quand pour toute personne extérieure, ces émotions paraissent indécelables ».

Certains patients, bien que totalement dépendants, peuvent encore s’alimenter par voie orale

Certains patients, bien que totalement dépendants, peuvent encore s’alimenter par voie orale. Cette mère vient nourrir deux fois par semaine son fils victime d’un accident de la voie publique il y a 30 ans. © Christelle Calmettes.

Même son de cloche côté aide-soignant.  « On a choisi ce service car on peut apporter énormément aux patients et parce qu’il y a un suivi au long cours. On s’attache. La prise en charge par le toucher est très intéressante, très différente des autres services », explique Sabrina Sanchez, aide-soignante.

Le matin, avec sa collègue Julia Montisci – les aides-soignants travaillent tous en binôme – Sabrina fait la tournée des levés et des douches. « C’est la particularité et la grande qualité du service : nos patients sont douchés tous les jours, même s’ils sont recouchés ensuite. On leur met du déodorant tous les jours et on assure un shampoing tous les deux jours », fait-elle savoir, fièrement.

Les toilettes au lit ? « Il n’en est pas question, sauf si nous avons une contre-indication médicale à la douche », insiste-t-elle. Puis, il y a les changes – en moyenne toutes les 2h30 -, la prévention des escarres, les changements de position, l’aide aux repas pour les cinq patients qui peuvent s’alimenter par voie orale.

« C’est très chargé, on a un peu l’impression de travailler à la chaîne. On aimerait être plus nombreuses car on est attachés à la qualité. C’est le gros point négatif », ajoute Sabrina.

Lire, sur ActuSoins.com : 
La famille d’un patient majeur peut-elle s’opposer à une décision médicale ? (2018)

Rééducation et traitements

Antoine Nahon mobilise sa main, pour réduire les raideurs et les spasticités

Après avoir évalué l’amplitude articulaire du poignet gauche de Caroline qui est « capoté » avec un pouce aductum (vers l’intérieur), Antoine Nahon mobilise sa main, pour réduire les raideurs et les spasticités. Le reste de la rééducation a pour objectif de contrôler l’aggravation des déformations musculo-squelettiques du rachis et des membres. © Christelle Calmettes.

Il y a aussi la rééducation, qui occupe une place majeure dans les journées des patients. Antoine Nahon, kinésithérapeute passe quotidiennement à Napias car ils présentent tous des troubles orthopédiques (abductions des membres), articulaires (subluxations) et/ou osseux… « 99% d’entre eux n’ont pas de motricité, ont des déformations de membres et du tronc et ne sont pas assez spastiques, il est important de les mobiliser pour éviter les complications et garantir leur confort », explique-t-il.

Au-delà des troubles orthopédiques, c’est l’état neurologique qui peut être rééduqué.

Car, si l’objectif n’est pas la récupération totale des patients– impossible en l’état actuel de la médecine -, mais bien l’amélioration sensible de leurs fonctions neuro-motrices.

« Chez les personnes en état végétatif, il faut comprendre qu’il n’y a plus aucune fonction cognitive. Seules leurs fonctions végétatives fonctionnent : la respiration, le rythme cardiaque… Elles peuvent parfois percevoir des sons ou des images mais ne peuvent pas les intellectualiser. La rééducation neurologique, assurée par le kinésithérapeute, mais aussi par les soignants lorsqu’ils leur parlent et les stimulent, les orthophonistes... permet, parfois, d’obtenir des petites récupérations car on favorise la plasticité cérébrale. Pour le kinésithérapeute, par exemple, elle consiste à faire retravailler les muscles, qui vont renvoyer un signal au système nerveux central, à la moelle épinière et au cerveau. Même si c’est rare, on peut voir un état végétatif évoluer vers un état pauci-relationnel », explique le Dr Anne Catala, médecin responsable de l’unité.

Jessica Flatres, infirmière pose un aérosol sur la trachéotomie d’un patient encombré

Jessica Flatres, infirmière pose un aérosol sur la trachéotomie d’un patient encombré. Elle assurera ensuite des aspirations régulières. © Christelle Calmettes.

Les patients en état pauci-relationnel bénéficient de la même rééducation. L’objectif étant toujours de faire progresser leur état de conscience qui peut aller du simple regard (niveau 4 sur l’échelle WHIM**) à la possibilité d’explorer un magazine et de choisir un programme TV (niveau 62 sur l’échelle WHIM) ».

Cuisine, spectacles, sorties sur la plage, équithérapie…Des ateliers et activités sont aussi organisés, dans le but de favoriser la plasticité cérébrale et de donner un peu de joie à celles et ceux qui peuvent encore en ressentir. 

Quant aux traitements, il s’agit surtout de stabiliser, indique le Dr Catala. Antispastiques, anti-épileptiques, myorelaxants, anti-parkinsoniens et antalgiques constituent le pilulier type des patients du service.

Lire aussi, sur ActuSoins.com : 
Directives anticipées : les infirmiers ont un rôle à jouer (2020)

L’éthique en question

Karine Mounier, Infirmière, assure l’administration des traitements

16 patients de l’unité sont porteurs d’une gastrostomie. Ici, Karine Mounier, Infirmière, assure l’administration des traitements. © Christelle Calmettes.

Ici, les histoires de vie sont lourdes, et les patients, arrivés après un long parcours de soins, ne sont plus en mesure de décider de leur devenir.

« Le plus souvent, ils n’avaient pas rédigé de directives anticipées. En réanimation, les familles ont vécu pendant des jours et des jours dans la peur de la mort, et quand elles arrivent ici, elles sont soulagées car elles ont passé le cap de cette question-là », indique le Dr Catala.

 

Les orthèses horizontales, moulées sur mesure, se positionnent dans les lits, en chambre

Les orthèses horizontales, moulées sur mesure, se positionnent dans les lits, en chambre. Utilisées comme contention, elles sont destinées aux patients ayant des déformations orthopédiques majeures des quatre membres et du rachis. © Christelle Calmettes.

Et ensuite, quand l’état est enfin stabilisé, peut-on encore décider pour eux ? Alors que depuis quelques années, au travers de controverses dans l’actualité judiciaire, la société s’interroge régulièrement sur le maintien en vie de certaines de ces personnes, notamment celles en état végétatif persistant, pour le Dr Catala, la réponse est assez tranchée. 

« La loi est très claire : l’état végétatif persistant et l’état pauci-relationnel sont des états chroniques stables. Les patients ne sont pas considérés comme des patients en fin de vie. Nous sommes médecins, soignants, nous ne sommes pas là pour décider qui va vivre et qui va mourir », affirme-t-elle. 

En revanche, pas question de s’acharner pour autant. « Ce que l’on peut décider, en concertation et en accord avec la famille, c’est que sur un épisode grave aigu – cardiaque par exemple – on pose des limites dans les soins qui seront prodigués et qu’on ne réanime pas ».

Lire aussi, sur ActuSoins.com : 
« En cas d’accident grave et sans directives anticipées, vous êtes à la merci d’autrui » (2022)

Malika Surbled

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*Les prénoms des patients ont été modifiés

** WHIM (Wessex Head Injury Matrix) : Échelle évaluant 62 comportements, ordonnés selon une séquence de récupération déterminée chez des patients en phase d'éveil. La Whim évalue les capacités motrices, cognitives et les interactions sociales des patients.

Evelyne Gambert, Infirmière, occupe un poste transversal dédié sur 14 unités de l'hôpital

© C.Calmettes

Evelyne Gambert, Infirmière, occupe un poste transversal dédié sur 14 unités de l'hôpital.

En renfort des équipes en fixe, elle s'occupe notamment des prélèvements de bilans standards et des gazométries capillaires et artérielles.

Les patients en état végétatif ou pauci-relationnel sont en général "plus difficiles à piquer", explique-t-elle, "car ils ont une petite tension et des veines collabées". 

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