Directives anticipées : les infirmiers ont un rôle à jouer

Créées par la loi Léonetti de 2005, les directives anticipées restent un outil mal connu du grand public… mais aussi des infirmiers qui manquent bien souvent d’information sur le sujet. Ils peuvent pourtant jouer un rôle crucial en accompagnant les décisions de leurs patients. Article paru dans le n°34 d'ActuSoins Magazine (septembre 2019).

© Cyrienne Clerc

13 % : c’est le pourcentage de Français âgés de 50 ans et plus qui, d’après un sondage BVA réalisé en mai 2019, a déjà rédigé ses directives anticipées.

Un chiffre qui grimpe à 21 % si l’on considère les personnes âgées de 75 ans et plus mais qui reste relativement modeste au regard des enjeux de la fin de vie. D’où une question légitime : que peuvent faire les infirmiers pour aider à faire augmenter ces chiffres ?

« En réalité, on ne sait pas si le pourcentage de personnes ayant rédigé leurs directives anticipées est insuffisant, précise le Dr Véronique Fournier, présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), une institution chargée de promouvoir la politique publique en matière de fin de vie. Le dispositif existe, nous en faisons la promotion, mais si un patient ne se l’approprie pas, cela ne signifie pas qu’il a tort. »

Lire aussi, sur ActuSoins.com : Directives anticipées et personnes de confiance : quelles obligations pour les soignants ?

Il faut dire que le sujet est délicat. « Personne n’a envie d’anticiper sur sa propre mort », résume Véronique Fournier. Reste que de nombreuses personnes souhaitent parler de la fin de vie et n’y parviennent pas.

« Quand les patients évoquent le sujet avec leur famille, elle leur répond souvent "arrête de parler de ça", ou "tu n’en es pas encore là" », remarque Valérie Amouroux, cadre de santé et co-coordinatrice du collège des acteurs en soins infirmiers de la Société française des acteurs en soins palliatifs (SFAP). Et c’est là que les infirmiers entrent en jeu.

Au plus près du patient

Car ceux-ci sont, avec les aides-soignants, les professionnels que les patients voient le plus. « Avec les médecins, les discussions ont quelque chose de solennel, alors que l’infirmière peut davantage jouer un rôle de conseil, de réassurance », explique Valérie Amouroux. « Les infirmières sont au plus près du patient, confirme Véronique Fournier. Pour elles, il est plus facile d’aborder un patient en lui demandant s’il a déjà parlé de ce sujet à quelqu’un, en lui disant qu’il a des droits. »

Mais attention, il ne s’agit pas d’attaquer les choses frontalement en présentant le formulaire et en lui demandant à ce qu’il soit rempli pour le lendemain !

Le CNSPFV, qui a recueilli divers témoignages montrant que certains Ehpads imposent aux résidents d’avoir rédigé leurs directives anticipées avant d’être accueillis, s’inscrit en faux contre ce type de pratique. « L’entrée en Ehpad est déjà assez violente pour les gens, on n’a pas besoin de leur demander en plus d’écrire qu’ils ne veulent pas qu’on les transfère à l’hôpital en cas de pépin ! », s’insurge Véronique Fournier.

Amorcer la conversation

La patronne du CNSPFV reconnaît tout de même que la question des directives anticipées peut être cruciale pour les Ehpads. L’important est donc d’amorcer la conversation. « Nous essayons de faire en sorte que les infirmières puissent aller à la rencontre des résidents avec des outils », indique-t-elle.

Parmi ceux-ci, elle cite notamment un jeu de carte baptisé « À vos souhaits », adapté par l’association Jalmalv (pour « Jusqu’à la mort accompagner la vie ») et qui permet à la personne en fin de vie d’exprimer ses souhaits.

Valérie Amouroux, de son côté, insiste sur l’importance d’un dialogue continu avec la personne concernée. Car si les directives anticipées proprement dites doivent être écrites, « sur le terrain, nous sommes surtout dans la communication orale : ce qui est important, c’est que les directives aient été communiquées ».

D’où l’importance de la relation de confiance qui peut se nouer entre l’infirmier et le patient.

De l’importance d’être précis

Écrites ou non, les directives ne doivent pas se borner au refus de l’acharnement thérapeutique : elles doivent être spécifiques. « En parler avec une infirmière, cela permet d’être plus précis, de comprendre ce qu’on écrit », détaille Valérie Amouroux. « Parfois le patient dit "je ne veux pas de tuyau", mais en discutant, on se rend compte qu’il accepterait une sonde urinaire… »

Reste qu’en matière de formation, le personnel est plutôt démuni. « Si vous faites un sondage dans les hôpitaux, vous verrez que bien des soignants confondent la personne de confiance, qui est nommée pour parler à la place du patient, avec la personne à contacter en cas d’urgence », se désole Valérie Amouroux.

Cette dernière conseille donc vivement aux infirmiers qui voudraient s’informer de solliciter les équipes de soins palliatifs qu’elles côtoient. « Parfois, en une heure, on peut expliquer les bases », assure-t-elle.

Et elle rappelle que des institutions comme le CNSPFV ou la SFAP ont conçu des documents qui peuvent s’avérer utiles sur la question. Mais malheureusement, la mise à niveau des équipes sur ces questions dépend encore beaucoup des initiatives individuelles.

Adrien Renaud

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Cet article est paru dans le n°34 d'ActuSoins Magazine (septembre-octobre-novembre 2019)

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Les directives anticipées, c’est quoi au juste ?

Les directives anticipées sont définies dans le code de la Santé publique comme un document écrit qui permet à toute personne majeure d’exprimer ses volontés « en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l'arrêt ou du refus de traitement ou d'acte médicaux » si elle est « un jour hors d'état d'exprimer sa volonté ». Ce document s’impose au médecin, qui est obligé d’appliquer son contenu. Valables sans limite de durée, les directives anticipées peuvent toutefois être modifiées ou annulées à tout moment. Elles peuvent être rédigées sur papier libre, ou en utilisant un formulaire proposé par le ministère de la Santé.

 

Une appli pour les directives anticipées

Nathalie Carpentier est pharmacien hospitalier. Ella a co-fondé Life Concept, une entreprise qui a mis en ligne une application baptisée « Ma vie, mes souhaits », destinée à faciliter la rédaction et la mise à disposition des directives anticipées.

Qu’est-ce que « Ma vie, mes souhaits » ?

Ce que nous proposons provient d’un constat de terrain : les citoyens, mais aussi les soignants, manquent cruellement de connaissances et d’information au sujet des directives anticipées. C’est pourquoi nous pensons qu’il faut, d’une part, rendre intelligible l’information sur ces sujets compliqués et, d’autre part, rendre accessible le positionnement que nous prenons. Nous avons donc développé à cet effet une application résumant les informations nécessaires.

Quel est votre modèle économique ?

C’est l’entreprise Life Concept qui a financé l’application. Il y a une partie gratuite (fonctionnalités liée l’état civil, accès au site) et une partie payante (positionnement lié au don d’organe, aux directives anticipées, à la personne de confiance et aux obsèques). Nous avons pensé que le coût ne devait pas être un obstacle : l’application ne coûte que 10 euros.

N’avez-vous pas peur d’être concurrencés par le Dossier médical partagé (DMP) sur lequel on peut également stocker ses directives anticipées ?

Si le DMP était largement diffusé, ce serait parfait. Malheureusement, moi qui suis soignante depuis un certain nombre d’années, j’entends parler du DMP depuis longtemps et je l’attends encore.

Propos recueillis par A.R.

 

Sur le terrain, un sujet épineux

Pas toujours facile d’initier une conversation à propos de la fin de vie avec ses patients. Pascale Maury, infirmière coordinatrice (Idec) à l’Ehpad « La Pépinière » de Fleurance dans le Gers, en sait quelque chose. « C’est quelque chose qui se fait en plusieurs temps et que nous abordons conjointement », détaille-t-elle. En général, la discussion est amorcée par un binôme : psychologue-infirmière, ou psychologue-Idec, précise cette professionnelle. Reste à trouver le bon moment. « Je me sers généralement d’une situation rencontrée dans l’Ehpad, comme par exemple le décès ou l’hospitalisation d’un autre résident », raconte Pascale Maury.

Mais d’après son expérience, la partie n’est jamais gagnée d’avance : étant donnée l’augmentation de l’âge d’entrée en Ehpad, la moitié des résidents ont des troubles cognitifs qui les empêchent de définir leurs volontés. Et parmi ceux qui peuvent le faire, une grande partie refuse toute discussion à propos des directives anticipées. Ce constat n’est cependant pas une raison pour baisser bras : sans directives anticipées, en cas d’épisode aigu, « nous nous retrouvons à hospitaliser les gens dans le doute », constate-t-elle… ce qui n’a rien de satisfaisant.

 

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