Pratique infirmière à Mayotte : sollicitée au-delà des compétences

Pratique infirmière à Mayotte : sollicitée au-delà des compétences

Devenu Département d’outre-mer en 2011, Mayotte est un territoire où les infirmier.e.s  jouent un rôle prépondérant dans l’offre de soins face à un réel problème de démographie médicale. Patrick Chamboredon, Président de l’Ordre national des infirmiers, y a fait étape au début de mois de mai, accueilli par Alain Duval, vice-président du Conseil Régional Océan Indien de l’Ordre des infirmiers.
Patrick Chamboredon, président de l’ONI, rencontre les infirmiers libéraux de Mayotte. © DR

Mayotte, une île magnifique, aux trésors sous-marins extraordinaires, où règnent la douceur de vivre mais aussi une pauvreté extrême. Sur laquelle pèse le poids de l ’immigration clandestine venue des Comores. Si Mayotte est le département le plus pauvre de France, son PIB est cependant plus de dix fois supérieur à celui de l’Union des Comores (chiffres 2015) : forcément, à quelques heures de kwassa-kwassa, l’exil est tentant.

Ainsi, à la maternité de Mayotte, promue plus grande maternité de France avec 9 760 nouveau-nés recensés en 2017, 69% des accouchées sont de nationalité étrangère, en majorité comorienne.

Infirmier.e.s : un turn over important

Patrick Chamboredon (à droite) et Alain Duval (à gauche) et un infirmier de l’hôpital de Mayotte. © DR

Mayotte souffre d’une démographie médicale particulièrement basse (94 médecins pour 100 000 habitants vs 437 en France entière et 368 à La Réunion), une tendance qui s’aggrave puisque l’ARS Océan Indien note une baisse de 3,6% des effectifs entre 2017 et 2018. Quasiment la moitié des médecins, très majoritairement salariés (85% pour les généralistes, 95% pour les spécialistes), ont plus de 55 ans.

Si cette hémorragie dans les effectifs des professions de santé est régulièrement évoquée, on parle peu des difficultés rencontrées par les infirmier.e.s à Mayotte, qui représentent plus de 90% des effectifs paramédicaux, avec un fort taux de turn-over. « Mayotte dispose d’un IFSI mais, une fois diplômés, les infirmiers mahorais ont tendance à quitter le territoire pour aller travailler en métropole et trouver un meilleur niveau de vie. Quant aux infirmier.e.s venus de métropole, ils ne restent que quelques années », précise Alain Duval, lui-même infirmier libéral à La Réunion, mais fréquemment amené à se déplacer à Mayotte en sa qualité de président de l’URPS OI infirmiers.

Une pratique libérale au-delà des compétences

A Mayotte, les chiffres de la profession sont loin d’être pléthoriques : 409 infirmier.e.s pour 100 000 habitants, contre 1026 en métropole et 863 à La Réunion (chiffres 2017, ARS OI). « Au quotidien, les 185 infirmier.e.s libéraux jouent un rôle majeur auprès des patients, qui dépasse souvent les compétences infirmières en amont comme en aval, explique Alain Duval. Il leur faut parfois traduire des documents, renseigner sur le trajet de la prise en charge sociale mais aussi remplacer de fait l’offre médicale insuffisante. »

Selon le vice-président du Conseil régional de l’Ordre, cela va du renouvellement d’ordonnance en accord avec le pharmacien en attendant la prescription médicale qui viendra régulariser la procédure : « Parfois, il leur faut délivrer des actes de décès quand aucun médecin n’est disponible, en attendant là encore la régularisation ».

A mots couverts est aussi évoquée une certaine incitation des pouvoirs publics à répertorier les patients en situation irrégulière, ce que la profession se refuse de faire.

Insécurité, dialectes, manque à gagner…

Dans toutes leurs missions, les infirmier.e.s libéraux ou salariés itinérants doivent faire face à l’augmentation de l’insécurité. Une dizaine d’agressions inquiétantes ont en effet été recensées en 2018. « La préfecture est souvent sollicitée, mais malgré ça, les libéraux, notamment les femmes, travaillent dans la peur d’une agression, au risque de devoir restreindre l’accès au soin dès la tombée de la nuit », souligne Alain Duval.

Autre tension et non des moindres, la situation sanitaire des personnes en situation irrégulière, population à la santé précaire et aux dialectes variés, ce qui ne facilite pas la tâche des soignants. Lesquels travaillent souvent à perte, les clandestins ne bénéficiant pas de prise en charge. « A peine 52% des habitants ont un accès à la sécurité sociale, pas de CMU, pas d’AME, les mutuelles sont peu développées et le développement de la Carte Vitale n’est pas optimum encore », souligne notre interlocuteur.

Requalification et revalorisation

A Mayotte, les infirmier.e.s attendent beaucoup des politiques de santé publique, notamment en matière de télémédecine pour pallier l’offre médicale insuffisante et de reconnaissance de leur contribution essentielle sur un territoire fortement impacté par les pathologies chroniques. « Nous attendons de pouvoir aller plus loin dans l’accès aux soins et notamment en faisant évoluer la profession par la prévention. Pour cela l’avancée sur la requalification des compétences est très attendue, peut-être encore plus à Mayotte qu’ailleurs », conclut Alain Duval.

En ce sens, la pratique avancée, pratiquée de fait hors clous à Mayotte, permettrait une avancée certaine, mais aucune candidature n’a été enregistrée pour intégrer la formation en raison de l’éloignement du territoire, constat identique d’ailleurs à La Réunion.

L’étape mahoraise du président du Conseil de l’Ordre national des infirmiers, en amont de la Consultation nationale prévue à La Réunion, est perçue à Mayotte comme un signe fort d’une volonté de faire prendre en compte la spécificité de la pratique infirmière à Mayotte. L’Ordre propose… mais l’Etat dispose.

Mireille Legait

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