Infirmiers en réa face au Covid : « On a fait tout ce qu’on a pu »

Les soignants, permanents ou en renfort, des services de réanimation des hôpitaux de plusieurs régions ont été mis à rude épreuve au plus fort de la crise du coronavirus, en mars et en avril. Plusieurs racontent ce qui les ont le plus marqués : les incertitudes liées à une maladie nouvelle, la saturation des services, la mobilisation de tous mais aussi les défaillances  en termes de protection des soignants et les situations humaines difficiles.

Infirmiers en réa face au Covid : « On a fait tout ce qu'on a pu »L'organisation, le travail et l'atmosphère ordinaires des services de réanimation ont été complètement bouleversés et sont encore loin d'être revenus « à la normale ».

Les IDE qui y exercent habituellement ou sont venus y travailler en renfort ont vécu une période très particulière.

Maxime, infirmier en réanimation dans un hôpital du Nord, se rappelle de « l'avant », la période qui a permis à son service d'anticiper l'arrivée des patients : « il y avait beaucoup d'interrogations car il s'agissait d'une prise en charge qu'on ne connaissait pas... ».

Il n'existait pas de protocole établi à l'avance ni validé pour faire face à la Covid-19. Et puis il y a eu « un gros afflux de patients, d'un seul coup », ajoute-t-il, qui ont rempli quasiment tous les lits (dont le nombre a doublé). Un afflux soudain mais aussi continu, c'est-à-dire très différent de ce qui peut se produire lors d'un gros accident ponctuel.

Et avec un élément très particulier : les patients étaient tous atteints de la même maladie... mais qui évoluait selon les personnes de manières parfois différentes. Et sans que la marche « à suivre » soit claire.

« J'ai été marqué par le fait que les patients se sont presque tous aggravés en même temps et ont dû être mis en décubitus ventral, raconte Maxime. Je me suis dit : "ce n'est pas possible !". » En plus de la fatigue physique, sa charge mentale a beaucoup augmenté, notamment au début, souligne-t-il : « je ruminais beaucoup sur ce qui se passait, je réfléchissais à ce qu'on faisait. On essayait de suivre les recommandations mais elles changeaient beaucoup, au début. »

Durant cette période, retient l'infirmier, « on a été beaux sur le plan humain et professionnel, hyperdynamiques. On a fait tout ce qu'on a pu. Je me sens fier de ce qui a été fait mais je sais aussi que ce n'est pas terminé. On a encore des patients Covid qui arrivent en réa... »

« On a été beaux »

Maxime estime aussi que la période a renforcé les liens entre les membres de l'équipe de réa et souligne la « cohésion » qui s'est tissée avec les membres des autres services venus en renfort.

Quentin, qui a travaillé en réa jusqu'en janvier, a été rappelé pour renforcer l'équipe d'un autre service de réanimation en Ile-de-France. « Très bien accueilli » dans une situation d'urgence, il a aussi été frappé par l'entraide et le soutien entre les soignants, « malgré la charge de travail colossale », et par leur implication auprès des patients.

Les différences habituelles entre membres des différentes professions se sont estompées voire effacées, selon Sandrine, venue renforcer une équipe de réa en Alsace. « Il y avait une très belle solidarité entre tous les membres de l'équipe, médecins, infirmiers, aides-soignants, témoigne-t-elle. Tout le monde faisait attention à tout le monde, de manière bienveillante. C'est peut-être ce qui nous a permis de fonctionner » dans des conditions de travail très difficiles.

Comme beaucoup d'infirmiers venus en renfort, Sophie, qui a travaillé pendant plus d'un mois en réa à Paris, reconnaît avoir été bien entourée par ses collègues plus expérimentés, mais elle a senti une différence de lien entre les membres de l'équipe permanente et les autres. Notamment au sujet des primes...

Sandrine cite aussi l'afflux massif de patients, le fait de savoir que tous ceux qui avaient besoin d'aller en réa ne le pouvaient pas, à un certain moment de l'épidémie. « La période la plus compliquée et intense », selon elle.

Parce que beaucoup de patients ont quitté le service une fois stabilisés pour être pris en charge ailleurs, elle n'a pas échangé avec ceux qui s'en sont sortis mais la cadre du service transmet à toute l'équipe, même aux renforts qui l'ont aujourd'hui quittée, des lettres de patients qui remercient les soignants, ce qui lui fait chaud au cœur.

Tout comme les attentions solidaires reçues de la part des gens ou des entreprises. Elle a aussi apprécié l'engagement des médecins de son service à tenir au courant toutes les familles, tous les jours, ce que les infirmiers n'avaient pas le temps de faire. En revanche, la solitude des patients, en particulier au moment où certains décédaient, a particulièrement touché ces infirmiers.

Dur à avaler

Certains IDE ont été mieux formés et accompagnés que d'autres pour faire face à la crise, par leurs collègues et leurs cadres.

Mais la plupart de ces soignants se rappellent de leurs interrogations face au caractère contradictoire des recommandations sur la protection individuelle au fil des jours.

Certains expriment même leur colère face à l'indisponibilité ou à la gestion de ces équipements à certains moments, ce qui a mis en jeu leur sécurité.

Ici, des masques ont été portés plus longtemps que recommandé, là des blouses jetables ont été lavées, des casaques fabriquées avec du plastique de sac poubelle... « Des mesures inimaginables, très éloignées de recommandations d'hygiène, qui dénotent un cruel manque de prise au sérieux et d'anticipation de la situation, estime l'une des personnes interviewées. Je n'aurais jamais cru que cela pouvait arriver. (…) Ne pas être protégée, c'est dur à avaler. »

Une de ces consoeurs renchérit. Cette crise « a changé ma vision du système de santé, confie-t-elle. J'ai été en colère à propos de la situation des soignants et je le suis encore car je crains que cela ne change pas. Ils sont toujours sur la corde et ont fait du mieux qu'ils pouvaient. Mais c'est dur de retrouver des médecins, des infirmières ou des aides-soignantes dans des lits de réa. Cela me motive encore plus pour agir. »

Géraldine Langlois

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