La colère d’une infirmière libérale

[Régulièrement, ActuSoins donne la parole aux professionnels infirmiers qui font l'actualité. Nous publions aujourd'hui la lettre ouverte que Céline, infirmière libérale, a adressée au président de la République et au ministre de la santé.]

Je m’appelle Céline, j’ai 32 ans, habite dans le rhône et vous écris aujourd’hui afin de vous  faire partager la colère d’une infirmière libérale, ma colère.

La colère d'une infirmière libéraleAvant même de vous parler de mon mécontentement, je tiens à me présenter. Je me suis installée en tant qu'infirmière libérale il y a 10 ans, libérale depuis environ 5 ans. J’ai choisi de faire cette profession lorsque j’étais au lycée, engagée, motivée, proche de l’homme et de sa vulnérabilité quand la maladie le frappe.

Pour cela il faut savoir que de bons bulletins de notes ne suffisent pas. C’est un don de soi ! Don de soi qui explique que nous sommes une des catégories professionnelles qui se défend le moins et qui subi le plus.

Comme je vous l’explique précédemment j’aime mon métier malgré tout,  c’est pourquoi j’espère que vous accorderez une attention particulière à ma plainte, qui est mûrement réfléchie au fur et à mesure des expériences et des années, et qui arrive à un moment où je m’essouffle de tant d’aberration, d’ignorance de notre travail accompli.

Je connais très bien les conditions déplorables du travail en milieu hospitalier mais aujourd’hui je parle des conditions en libéral. En voici un bref résumé :

- Administratif fastidieux, lourd et à priori pas indispensable. Alors pourquoi nous en demander autant.
- Des horaires importants, avec une large amplitude de ces derniers. Commençant nos tournées en moyenne vers 6h, et finissant ces dernières vers 21h.
- Impossibilité de partir en vacances si nous ne trouvons pas d'infirmière remplaçante (les médecins et les kinés ferment boutique eux !)
- Que faire quand nous sommes nous même confrontés à la maladie ou à la grossesse ?
- Sacrifice de nos familles, de nos enfants en bas âges, de nos grossesses etc….

Alors oui je l’ai choisi, mais plus pour longtemps, je suis épuisée et je n’ai que 32 ans ! Non épuisée physiquement mais moralement ! Je n’accepte plus de continuer dans ces conditions. Car on pourrait se dire que nous sommes honnêtement rémunérés pour ce travail et bien je ne trouve pas.

Savez vous que pour une toilette de plus d’une demi heure avec effort physique important, lever du patient, installation au fauteuil (et dans toilette j inclus nettoyage des selles et urines du patient), gestion du traitement et du dossier de soin nous sommes payés brut 18.20 déplacement compris.

Ce qui donne en net environ 9 euros. Ne pas oublier que si cette même personne a une prise de sang à réaliser ainsi qu’un petit pansement tout est compris dans le prix.

Savez vous que lorsque nous allons chez une personne à qui nous faisons un pansement une injection ainsi qu’une prise de sang, le premier acte est payé à 100% , le deuxième à 50% et le troisième ainsi que ceux qui suivent sont gratuits.

Savez vous que lorsque nous prenons en charge des personnes en soins palliatifs, c’est un véritable engagement de nous même. Nous restons certes professionnels mais il n empêche qu’une partie de nous même est à chaque fois touchée.

Nous sommes des humains avec un ressenti, des sentiments. Nous ne comptons pas nos heures, sommes disponibles 24h/24, dormons avec le téléphone dans l’attente de l’angoissante sonnerie annonciatrice soit d’une libération pour le malade, soit de la dramatique nouvelle du décès.

Nous ressortons la nuit pour accompagner ces familles pour qui nous faisons un peu partie de la leur.  Alors quand après ce que je vous décris les caisses de sécurité sociale ainsi que les services d’HAD plafonnent nos soins à 20 AMI par passage quand nous en pratiquons parfois 50 voir plus ! Est-ce bien raisonnable ? Monnayer le confort, les soins et la mort d’une personne.

Savez vous aussi que la nouvelle tendance est d’inciter les gens à réaliser eux même leurs soins. Toujours dans un souci d’économie ! Injections, pansements, perfusions sur pompe (Exemple du subcuvia pour un de mes patients de 78 ans à qui on a demandé à sa femme de les lui faire).

Cela ne montre t’il pas une dévalorisation de notre profession ? Les infirmiers ne sont donc pas indispensables puisque tout le monde peut faire ce que l’on a mis 3 ans à apprendre.

Et 3 ans qui finalement servent à quelque chose ! quand une personne à qui le médecin a dit d’enlever ses points seule nous appelle en urgence puisqu’ elle les a coupés avec des ciseaux, au ras de la peau, ne sachant pas qu’ il y a en fait une méthode bien précise qui permet de ne pas laisser une partie du fil dans la peau ; dans ce cas nous arrivons chez ces personnes qui bien sûr n’ont pas d’ordonnance, on fait ce que l’on peut et au final quel moyen avons nous pour nous faire payer ? Aucun, mis à part faire payer le patient qui ne sera pas remboursé ! (chose que je ne fais jamais)

Je pourrais vous donner encore plein d’exemples ! Il y en a tous les jours hélas. Il n’y a qu'à pour cela consulter les forums d’infirmiers libéraux !

Je voulais vous peindre grossièrement le tableau afin que vous puissiez mieux comprendre l’objet de ma colère. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Il y a 15 jours je me rends chez une jeune patiente m’appelant pour des pansements de plaie suite à une césarienne. En arrivant chez elle, elle me donne une ordonnance pour réaliser mes soins. Vu la taille de la cicatrice ce pansement cote 2 ami soit 8.60 déplacement compris. En retirant le pansement je constate que 2 points ont lâché, ainsi qu’un écoulement de sang et de caillot.

J’ai comprimé la plaie pour en extraire un hématome sous forme de caillot pendant environ 45 min. Je lui explique qu’il est préférable de ne pas recoudre la plaie afin que dans les jours à venir l hématome continue à s’évacuer. J’appelle le médecin de garde (samedi), qui me dit qu’il passera la voir dans l’après-midi.

Vers 15h elle reçoit un appel de celui-ci, qui lui dit, de passer au cabinet. Il décolle juste le pansement que j’avais mis, mais à moitié, il regarde vite et dit  «  Je suis désolé je ne peux rien y faire allez aux urgences ».

Malgré son absence de réelle consultation ma patiente paiera 49,50 euros. Elle se rend aux urgences suite à cette visite, le médecin lui répond : " je ne peux rien faire ce week end, revenez lundi on vous recoudra". Je ne lui fais pas part de mon étonnement de recoudre, après tout le médecin c’est pas moi !

Le lundi elle retourne donc aux urgences, la plaie coule toujours et l’interne s’apprête à recoudre. Une sage femme passe par hasard et constate qu’il n’y a pas lieu de recoudre sinon l’hématome ne s’évacuant pas, recréera le même problème quelques jours plus tard.

Donc au final combien cette personne aura couté à la sécurité sociale ? Et moi qui au final ai réalisé tout le boulot j’ai couté combien ? Alors que je sois mal payée certes, mais payer un médecin 49,50 euros pour rien est ce normal ? Je vous le demande est-ce normal ?

Ce même médecin, reçoit le lendemain une autre de mes patientes, sous chimiothérapie. Fragile donc. Celle-ci ressent les symptômes d’une infection urinaire ainsi qu’une grosse gêne dans la bouche. Elle se rend chez lui, ne le connaissant pas, lui explique un peu son historique médical ainsi que ses traitements actuels.

Ce médecin lui dit clairement que ca ne l'intéresse pas, il veut savoir pourquoi elle est là. Il lui fait une ordonnance pour une analyse d’urine demandée par ma patiente. Elle lui parle de sa gêne dans la bouche, il lui répond : » pour cela vous n’ aurez qu'à voir votre médecin demain ! ».

Le tarif étant le même que la veille elle paie 49,50 euros, plus 23 euros le lendemain pour voir un médecin qui lui, regardera sa bouche. 15 jours plus tard ma patiente a toujours ses difficultés, liées à une aphtose ainsi qu’à de l’herpes.

Voilà mes deux exemples concrets, causes de toutes mes colères. Alors quand hier j’entends que les médecins vont percevoir une prime afin de leur permettre de réaliser du travail de qualité de qui nous moquons nous ?

N’oubliez pas que si certains médecins font du bon travail c’est parce que dans l’ombre les infirmières veillent ! On alerte, insiste, secoue parfois les médecins, et faisons beaucoup de chose à leur place ! Nous aussi sommes informatisés, et notre prime s’élève à 400 euros par an et non 9000 euros.

Incitez plutôt les spécialistes dont les consultations dépassent très régulièrement  les 100 euros à s’équiper d’un lecteur de carte vitale ! Pour nous les feuilles de soins deviennent payantes si on dépasse un certain quota, j’imagine que pour eux non !

Si vous voulez réellement faire des économies adressez vous aux bonnes personnes ! aux cancérologues par exemple qui font passer un scanner le mercredi et vous revoient pour interprétation le jeudi ! (2 vsl) etc….et j’en passe !

Essayez de rester cohérents, certes de reconnaitre qu’il faut valoriser certaines professions, mais faites le de façon honnête en observant bien tous les acteurs de santé.

Je vous le redis, je vous remercie de l’importance que vous accorderez à ma colère qui n’est en fait que le reflet d’une colère partagées par beaucoup d’infirmiers.

Céline Bordes

Pour aller plus loin :

Cette lettre est disponible assortie d'une pétition en ligne sur ce site

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