Prescriptions orales : indésirables mais pourtant bien réelles

La prescription orale est un sujet sensible dans la profession et pour cause : sa mise en application est, sauf urgence, une pratique interdite. Pourtant, elle semble toujours courante. 

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« L’anesthésiste responsable était introuvable. Un autre passait dans les parages. Je lui ai demandé ce que je pouvais faire pour soulager une petite fille opérée d’une ostéosynthèse de l’avant-bras gauche qui hurlait de douleur. Il m’a répondu : 25 mg de kétamine dans un pochon. J’ai demandé une prescription écrite. Il a refusé, faute de temps. Il a dit que je pouvais mettre l’antalgique même s’il était prescrit oralement. J’ai fini par le faire. J’avoue que je n’étais pas sereine. J’ai ensuite averti l’anesthésiste responsable de ce qui s’était passé. Ce dernier a fini par me le noter », se souvient Marie*, infirmière dans un service de SSPI.

Malgré les mises en garde en formation initiale et continue, malgré le décret de compétence précis sur la question, malgré l’exigence réglementaire du code de la santé publique (art  R. 4311-7), malgré les  cellules de gestion des risques présentes dans les établissements, les infirmiers, dans certains services, semblent toujours contraints d’accepter des prescriptions orales. Ils doivent même parfois, se démener pour qu’ensuite, la situation soit régularisée.

« J’ai choisi de confronter chaque médecin à chaque prescription orale en lui faisant noter par écrit, quitte à le poursuivre dans les couloirs pour obtenir satisfaction », explique Sophie*, infirmière en réanimation, qui, face à des situations de prescriptions orales récurrentes, a décidé de prendre le problème à bras le corps.

La formation médicale en question

Au-delà de la charge importante de travail des médecins et des soignants et des conséquences en matière de communication, la source du problème pourrait se situer dans la formation initiale des médecins. Insuffisante sur la thématique des prescriptions aux infirmiers pour certains. « On apprend sur le tas. Les textes de lois régissant la prescription nous sont brièvement expliqués », se souvient Damien*, un interne en médecine en dernier semestre. « Lorsque j’étais interne en gériatrie, on faisait des prescriptions orales tous les jours. Et puis, on finissait par réécrire derrière, tous les jours ».

« Cet enseignement fait partie du programme officiel des ECN qui ont lieu à la fin de la sixième année des études », nuance Arnaud Gouget, médecin généraliste et maître de conférence associé en médecine générale à la faculté de médecine de Dijon. « On peut le retrouver dans l’Unité d’enseignement 10, sur le bon usage du médicament et des thérapeutiques médicamenteuses ». A l’item 323, relatif au cadre réglementaire de la prescription thérapeutique et les recommandations pour le bon usage, il est aussi écrit qu’il faut savoir « distinguer les différents cadres de prescription ».

« Lorsqu’ils sont externes, les étudiants ne se projettent pas forcément dans leur pratique future. C’est pourquoi, par la suite, le maître de stage hospitalier ou ambulatoire a toute son importance dans l’accompagnement des internes, avec la mise en application ou la correction éventuelle des pratiques », ajoute Arnaud Gouget, qui souligne aussi l’importance de l’UE 1 : « Apprentissage de l’exercice médical et de la coopération interprofessionnelle. » Selon lui, « quel que soit le métier de soignant, on se doit d’accompagner les étudiants dans la mise en pratique des apprentissages ».

Il y aurait d’ailleurs, de son point de vue, une évolution positive sur les prescriptions orales dans les dernières décennies. « Quand j’étais interne, les infirmières recopiaient nos prescriptions », se souvient-il. Un acte qui serait devenu marginal de nos jours.

Retard dans la prise en charge

Certes, il faut courir après l’interne ou le médecin. Certes, il faut encore parfois se battre pour obtenir une prescription valable et répondant aux exigences réglementaires. Il n’empêche que le problème majeur, quand l’infirmier obtient enfin ce qu’il demande, est en lien avec les conséquences que ces prescriptions ont sur la prise en charge des patients.

« La prescription orale entraînait un retard dans la prise en charge du patient car j’exhortais les infirmières de n’appliquer cette dernière qu’une fois écrite», témoigne une cadre de santé dans un service de neurologie, qui a finalement trouvé une solution pour améliorer la situation dans son service.

« Avec le chef de service, nous avons réfléchi afin de réagir. Après avoir mis en avant un réel problème de communication entre infirmière et médecin dû à l’absence d’échange commun formalisé.  On a donc mis en place deux temps de transmissions médecin-infirmière par jour, à 11H et 17H. Depuis, le problème ne se pose plus», explique-t-elle.

Vers un glissement de tâches inévitable

Quant à Valérie Sugg, psychologue et auteure de L’hôpital sans tabou ni trompette**, cette perte de temps, que représente la course des infirmières pour obtenir les prescriptions, la questionne à un autre niveau. « Comment en est-on arrivé là ? Que se passe-t-il pour que les médecins ne fassent plus les prescriptions dans les temps ? »

Et d’y répondre : « Notre système de soins est arrivé dans une impasse. Il ne s'est pas adapté, depuis trente ans, à l'évolution de notre société, au vieillissement de la population, à la dégradation de l'offre de soins face à l'augmentation de la demande. Du coup, il y a un manque criant de personnel et par conséquent de temps pour faire les choses. On en arrive à des glissements de tâches ».

 Il y a donc urgence à réinjecter des moyens humains. Car nous ne devons surtout pas perdre de vue le lien nécessaire et indispensable dans le soin : être au chevet du patient. L’écouter, lui parler. Et pour cela, il faut du temps et du personnel ».

Flavie Peribois

*le prénom a été modifié

**L’hôpital sans tabou ni trompette! Soignés et soignants en souffrance, de Valérie Sugg, éd Kawa, 2017. 

Le mot du juriste

Vincent Lautard, infirmier et juriste en droit de la santé, a, dans son mémoire datant de 2012, intitulé : « Glissement de compétences entre infirmiers et médecins : une insécurité juridique permanente » mis en avant que : « S'agissant des soins du rôle prescrit sous prescription orale : 50 % des infirmiers déclarent effectuer un soin du rôle prescrit plusieurs fois par semaine avec une prescription dite orale, donc sans prescription écrite ».

L’étude avait été réalisée auprès de 108 infirmiers.

Il tient à rappeler, que, concernant la prescription orale, le Code de déontologie infirmier et le Code de la santé publique sont clairs : cette dernière n’est recevable que dans le cadre de l'urgence. Autrement, la prescription doit être écrite, qualitative, quantitative, datée et signée par le prescripteur. (Articles R4312-42, R4311-7 et R4311-9 du CSP).

Il tient aussi à souligner que, suite à une prescription orale dans le cadre de l'urgence, le médecin se doit, après avoir prodigué les soins, de rédiger une prescription écrite et une synthèse dans le dossier-patient reprenant les actes effectués. L’infirmier se doit également de faire une transcription dans le dossier-patient.

Quant au Code de déontologie, l’article  R 4312-42 précise que: « Si l’infirmier a un doute sur la prescription,  il la vérifie auprès de son auteur ou, en cas d'impossibilité de vérification et de risques manifestes et imminents  pour la santé du patient, il adopte, en vertu de ses compétences propres, l'attitude qui permet de préserver aux mieux la santé du patient, et ne fait prendre à ce dernier aucun risque injustifié. »

A noter enfin, que l’HAS aborde aussi le sujet dans son guide : « Outil de sécurisation et d’auto-évaluation de l’administration des médicaments ». Ce dernier rassemble les bonnes pratiques concernant le circuit du médicament dans les établissements de santé.

F.P

 

La jurisprudence pour les infirmiers

En 2003, la première chambre correctionnelle de la Cour d'appel de Pau a dû statuer sur une affaire portant sur le décès d'un patient sur le trajet de retour entre son domicile et les urgences d'un hôpital.  Un infirmier a vu sa responsabilité engagée pénalement.

Le patient s'était présenté aux urgences après avoir été pris d'un malaise, l'infirmier a lui-même posé un diagnostic rapide et délivré deux médicaments après prescriptions téléphoniques. Il a laissé repartir le patient, alors même qu'il n'aurait pas dû ni poser un diagnostic, ni donner suite à une prescription téléphonique.

Il aurait dû attendre que le médecin se déplace. Cette décision de l'infirmier était en lien avec un dysfonctionnement important de l'organisation des urgences et des gardes des médecins, aucun anesthésiste n'était présent aux urgences, accaparés par les interventions aux blocs opératoires.

L'infirmier a donc été condamné à des sanctions financières et à une peine de 6 mois de prison avec sursis pour homicide involontaire dû à des dépassements de compétences. La polyclinique à été condamnée également pour homicide involontaire du fait du dysfonctionnement grave de son service des urgences.

Avec Vincent Lautard (juriste en droit de la santé)

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Réactions

30 réponses pour “Prescriptions orales : indésirables mais pourtant bien réelles”

  1. Anonyme dit :

    Une galère et un combat au quotidien …..

  2. Anonyme dit :

    J’ai toujours refusé les prescriptions orales !! Je me « jetais  » avec les médecins mais j’avais toujours les prescriptions écrites !!

  3. Anonyme dit :

    C’est pareil en liberal

  4. Anonyme dit :

    Au Québec la solution trouvée est beaucoup plus respectueuse de notre formation et de notre discernement en tant que professionnel. Les prescriptions orales et téléphoniques sont acceptées. L’infirmière va retranscrire la prescriptions dans les ordonnances en indiquant nom du médecin et type d’ordonnance (vernale/téléphonique). A nous de faire preuve de discernement sur la logique et le bien-fondé de la prescription, notre formation (je suis infirmière française) nous donne toutes les clés pour cela. Le médecin la contresigne plus tard afin de la valider définitivement.
    Bon ok j’avoue il est rare que les médecins la contresigne réellement. Et l’autre réalité est qu’ici c’est nous avons le droit de faire un examen clinique complet ( auscultations, palpations, …)

  5. Anonyme dit :

    Angéla RX Anne Sophie Creantor

  6. Anonyme dit :

    Les bureaucrates qui montent ses lois n’ont pas du souvent mettre les pieds en service notamment aux urgences.

  7. Anonyme dit :

    Des fois pas le choix

  8. Anonyme dit :

    Marre de faire leur taf et de leur dire faut prescrire. Purée ils connaissent leur boulot donc si en plus de notre taf on doit surveiller le taf des médecins ben non suis pas d’accord.

  9. Anonyme dit :

    On devrait demander aux Labo pharmaceutiques de LEUR payer DES supers stylos avec des mines très très longues AH ah

  10. Anonyme dit :

    Des gardes au restaurant ou au Golf payées par les institutions ET ON DOIT LEUR PAYER LEUR abonnement téléphonique aussi ? mais NON c’est pour une QUESTION d’écologie Mais oui bien sûr!!!

  11. Anonyme dit :

    On a qua refuser on est pas des enfants ! Faut porter ses *insérer gonades suivant le sexe*.
    Arrêter la victimisation et se sortir les doigts.

    • Anonyme dit :

      résister, je suis d’accord, mais en Ehpad, les médecins ne se déplacent pas pour les modifications de préviscan…. dans ce cas la si je résiste, je fais quoi….je continue à donner la dose prescrite qui est alors inadéquate!!! Je suis preneuse de solutions

    • Anonyme dit :

      Claudine Torok Vogel fiche événement indésirable. Transmissin stipulant que le médecin refuse de se déplacer et appel à la cadre de garde.

  12. Anonyme dit :

    Les idec et les cadres ? A eux de nous aider aussi non? Reunionite kan tu nous tient …

  13. Anonyme dit :

    Dans mon service on a résisté, refusé de donner médocs sans prescriptions! Depuis on a eu gain de cause!

  14. Anonyme dit :

    En maison de retraite c’est monnaie courante… les medecins sont debordés..
    Pour les INR n’en parlont pas…

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