Masque de réalité virtuelle devant les yeux, vous n’êtes plus à Seclin à quelques kilomètres au nord du Bassin minier, mais dans un port, au bord de l’eau. Vous vous concentrez sur votre respiration et sur certaines parties de votre corps. Puis vous plongez, à bord d’un petit vaisseau.
Dans l’eau, vous entendez la nappe sonore de la mer, accompagnée de notes planantes. En flottant près des fonds marins, vous croisez des poissons, des dauphins et une baleine, que vous allez suivre. Le rythme lent de sa nage et une douce voix vous entraînent dans un état de conscience modifié, très loin de l’angoisse et de l’appréhension liées aux gestes médicaux et à la douleur…
Pendant ce temps, IDE, IADE et médecins s’occupent de vous.
Ces images et ces sons proviennent d’un masque et d’un casque de réalité virtuelle que plusieurs hôpitaux ont adoptés. Ils sont proposés aux patients qui fréquentent les blocs opératoires, le service de chirurgie ambulatoire ou d’autres services d’hospitalisation.
« Nous avons constaté que les voiturettes mises en place pour détourner l’attention et réduire l’anxiété des enfants qui partent au bloc fonctionnaient très bien, observe Bernard Collet, cadre de santé du pôle médico-chirurgical. Mais il n’existait rien pour les ados ou les adultes. Ma collègue de chirurgie ambulatoire et moi, qui sommes très orientés sur l’hypnose, commencions à réfléchir à ce que nous pouvions mettre en place quand le Dr Constans a pris ses fonctions au bloc et nous a proposé de nous pencher sur les masques de réalité virtuelle. »
Benjamin Constans, anesthésiste réanimateur (et un peu « geek », selon lui), avait en effet utilisé ces casques en maternité, avec « d’excellents résultats ». « On a trouvé ça génial », poursuit Bernard Collet.
Suivre la baleine
En janvier 2019, la direction du groupe hospitalier Seclin-Carvin (GHSC) a donné son feu vert aux promoteurs du projet.
A charge pour eux de trouver un financement pour couvrir l’achat des appareils (casques et smartphones). Les deux cadres de santé ont créé une association, « Les encadrés du GHSC », dans le but de faciliter le déploiement et accompagner les projets novateurs développés pour les patients ou pour le personnel et, en premier lieu, ce projet-là.
Grâce à une subvention d’une banque (3 700€), l’association a acheté fin 2019 quatre masques. La direction de l’hôpital, quant à elle, a financé les licences du programme, proposé par une société belge (1 700€). Deux masques sont affectés aux blocs et deux autres sont à la disposition des autres services.
Ils ressemblent à tous les appareils de réalité virtuelle : un épais « bandeau » (de très grosses lunettes ou de courtes jumelles) doté d’un smartphone et de l’application ad hoc, puis on branche un casque audio. En amont de l’utilisation du masque, « je décris oralement le matériel au patient car le masque peut être impressionnant, raconte Guillaume Compernolle, IADE à l’hôpital de Seclin. Quand il a accepté de le porter, je lui explique comment régler le volume du son et la netteté de l’image. »
Les soignants rassurent aussi le patient : on ne lui fera pas faire n’importe quoi sous hypnose. Ils mettent aussi en place un code pour que la personne « masquée » puisse indiquer un problème et que le masque ne soit pas retiré brusquement, ce qui pourrait rendre brutale la sortie de l’état de conscience modifié.
« Puis je prépositionne le masque, poursuit l’IADE, je fais quelques réglages et je lance le programme. » Un petit voyant permet au soignant de vérifier que tout fonctionne. Une séquence peut durer de quelques minutes – le temps « d’entrer » dans la séance- à plus d’une heure, souligne le Dr Constans.
Rassurer, apaiser
Une formation d’une heure en e-learning et le compagnonnage des collègues permet rapidement aux professionnels de savoir s’en servir. Considérée comme un outil supplémentaire à la disposition des soignants, la réalité virtuelle associée à l’hypnose « est devenue de pratique courante », observe l’anesthésiste.
Les IADE et les IBODE, notamment, s’en sont facilement emparé, après avoir constaté, en le testant, son effet relaxant. Les autres soignants s’y mettent aussi, progressivement.
Le dispositif n’est pas soumis à une prescription : les professionnels de santé peuvent le proposer aussi souvent qu’ils l’estiment pertinent. « Le plus souvent possible, quand on détecte une anxiété sous-jacente ou une appréhension », précise Guillaume Compernolle.
Lors d’un soin potentiellement douloureux comme certains pansements, la pose de PAC ou le retrait d’un redon, lors d’une biopsie sous anesthésie locale, d’une intervention chirurgicale sous rachis anesthésie, etc… Les IADE par exemple, proposent le masque avant la pose d’une voie veineuse, la réalisation d’une péridurale, d’une anesthésie loco-régionale ou d’une rachis-anesthésie…
La grande majorité des patients sont partants, indique le cadre de santé. « On aurait pu penser qu’on aurait des échecs chez les personnes d’un âge avancé mais, au contraire, ils adhèrent complètement. » En presque un an d’utilisation, seuls deux patients ont refusé l’expérience, selon lui : une personne avec un problème de vision et une autre qui l’estimait inutile.
Intervention sans image ni son
A la différence des masques de réalité virtuelle ordinaires qui permettent juste d’évoluer dans des environnements dépaysants, ceux dont l’hôpital s’est doté associent ce type d’expérience visuelle – un voyage sous l’eau ou, pour les patients que cet environnement pourrait angoisser, en forêt – à une « narration » proche de l’hypnose.
Le Dr Constans apprécie cette association entre la réalité virtuelle et l’hypnose conversationnelle. Le dispositif ne remplace pas l’hypnose qui nécessite une formation relativement longue. Mais « c’est un moyen assez facile de mettre en place quelque chose qui s’apparente à l’hypnose, mais sans la dimension humaine de l’hypnose », observe Guillaume Compernolle, séduit par le dispositif.
En fin de session, la baleine remonte très progressivement vers la surface de l’eau. Le patient reprend peu à peu conscience de la réalité et de son environnement et retrouve son état de conscience ordinaire.
« C’est déjà fini ? », demandent certains patients surpris, raconte Bernard Collet. « Tous sont satisfaits » de l’expérience, poursuit-t-il. « Ils sont moins tendus, moins stressés », ajoute Guillaume Compernolle. « Certains sont complètement relâchés, leur rythme cardiaque et leur tension diminuent », souligne Anne-Sophie Maes, IADE. D’autres s’endorment…
« Quand cela fonctionne bien, précise son collègue, on utilise moins de thérapeutiques (ou des drogues moins fortes, NDLR). Surtout, l’utilisation de ce masque fait une différence sur le vécu de l’intervention. Le patient n’a pas en tête les images du bloc, il n’a pas entendu les bruits dans le bloc. » Il vit au final une expérience radicalement différente et en ressort avec un niveau d’anxiété plus bas. Autre bénéfice, selon Bernard Collet : une session d’hypnose conversationnelle a un effet rémanent.
Si vous avez mal, pendant 24 ou 48 heures après la séance, repensez à la baleine…
Géraldine Langlois
Cet article a été publié dans le n°39 d’ActuSoins Magazine (décembre – janvier – février 2021)
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