Qu’ils soient en rémission d’un cancer ou atteints depuis de longues années par une maladie chronique (diabète, insuffisance rénale, MICI…), les patients experts ont tous un point commun : ils connaissent mieux que quiconque le parcours semé d’embûches d’un malade au long cours. Ils connaissent également le vécu, les difficultés sociales, les « à cotés » de leur pathologie.
Alors, qui de mieux qu’un patient pour conseiller ou éduquer ses pairs ? Il ne s’agit pas de remplacer le médecin, l’assistante sociale, l’infirmier ou la diététicienne, mais bien de compléter et d’optimiser les savoirs expérientiels. « Les patients ne sont pas experts d’une maladie, mais de l’expérience qu’ils vivent d’une maladie. C’est cela qui est intéressant », analyse Jean-Marie Revilllot, docteur en sciences de l’éducation et formateur chargé d’un enseignement sur les patients experts au Grieps.
Alors, à quoi contribuent les patients experts exactement ? Et qui sont-ils ? « Les patients experts peuvent animer ou construire des programmes d’éducation thérapeutique, par exemple. Ils peuvent aussi monter une équipe de patients partenaires, devenir référent d’une équipe soignante, convaincre les établissements de mettre en place des actions en faveur des malades. Ils peuvent aussi être là pour témoigner et apporter leur soutien et conseils aux autres malades, tout simplement. Les applications sont multiples », explique Catherine Tourette-Turgis, professeur en sciences de l’éducation et fondatrice de l’Université des patients, à Paris (faculté de médecine Sorbonne Université).
Une question de complémentarité
En France, actuellement, ces patients se trouvent le plus souvent dans des programmes d’animation d’ateliers d’éducation thérapeutique (ETP). Même si concrètement cet exercice relève encore de pratiques marginales et innovantes, certains d’entre eux co-construisent des programmes avec les professionnels de santé. C’est le cas de Céline Cardoso Fortes, patiente experte au centre de nutrition parentérale de Montpellier (voir encadré).
« Il s’agit maintenant de considérer le patient comme un véritable partenaire de l’équipe de soins », explique Catherine Tourette-Turgis. Un patient complémentaire des savoirs scientifiques, un patient aidant et expérimenté donc.
Certains patients ou anciens patients peuvent aussi trouver d’autres voies au sein d’un établissement de santé. Anciennement atteinte par un cancer, Salma Fantar a décidé de changer de métier. Auparavant doctorante dans la démarche qualité du secteur du tourisme, elle a suivi, après sa rémission, un Diplôme Universitaire en mission d’accompagnement parcours patient en cancérologie à l’Université des patients (Sorbonne Université). Cela faisait sens. À présent, elle exerce en qualité de coordinatrice du parcours des patients étrangers au sein de la cellule internationale de l’institut Curie. « Je voulais que mon expérience de la maladie serve à quelque chose. J’ai essayé de joindre mes compétences liées à mon cursus antérieur à mon empathie et à ma résilience de patiente », explique-t-elle.
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Des enjeux sanitaires, politiques…
« Il y a une réelle volonté politique pour nous faire avancer vers cette voie. La culture est en train de changer », estime Jean-Marie Revillot, qui n’hésite pas à citer le Canada ou les Etats-Unis en exemples. Exit la vision paternaliste du corps médical donc. Exit aussi le sentiment que seuls les professionnels de santé peuvent résoudre les problèmes. La participation du patient dans la construction de son parcours devient chose commune.
« On dit que le patient doit être acteur. Cette démarche est très positive pour les soignants aussi, mais il faut que ces derniers soient ouverts sur l’extérieur, le partenariat et l’écoute », estime Catherine Lacroix, infirmière au centre de nutrition parentérale de Montpellier qui fait intervenir des patients dans le cadre d’ateliers ETP.
Mais pour une réussite optimale du dispositif, la formation est incontournable. Celle des patients tout d’abord. Plusieurs enseignements en France leur sont ouverts : formations initiales de 40 heures en ETP (requise pour animer des ateliers d’ETP), certificats universitaires, diplômes universitaires ou même masters. Pour les soignants, des formations au partenariat sont également proposées et sont fortement recommandées lorsqu’il y a collaboration (DU et masters, voir le dossier paru dans le n°26 d’ActuSoins). Souvent mixtes (destinées aux soignants et aux patients), elles permettent d’appréhender la relation soignant-soigné sous l’angle du partenariat.
Par ailleurs, les patients peuvent aider les gouvernements dans l’édiction des lois. Ils participent aux concertations publiques et contribuent au lobbying des nouveaux besoins. Les réseaux de patients se constituent en associations, bien connues pour prendre part au débat en santé (AIDES, Renaloo, Act-Up, Association des paralysés de France…).
… et économiques
Cette participation représente également un enjeu économique important. L’augmentation significative de la prévalence des maladies chroniques montre que les besoins changent. « La France compte 17 millions de malades chroniques. Parmi ces malades, 30 % sont en stabilisation ou en rémission et ils ont envie de faire quelque chose de leur expérience de la maladie et des soins. Il y a un no man’s land énorme. D’un côté, on manque de médecins et on essaye de trouver des solutions pour pallier les déserts médicaux. De l’autre, il y a des patients qui connaissent leur maladie et qui sont prêts à accompagner des malades et des familles », souligne Catherine Tourette Turgis.
Pourtant, le modèle n’est pas encore réellement défini. Si la plupart du temps, à l’instar des autres pays comme le Canada, les établissements optent pour des patients volontaires et bénévoles, Catherine Tourette-Turgis souhaiterait professionnaliser et donc salarier ces nouveaux acteurs du système. C’est assez marginal, mais cela se fait déjà. « Certains patients ont été embauchés par l’Institut Curie à Paris. L’AP-HP est en train d’y penser. Une fois que les institutions découvrent l’intérêt d’une telle expertise, elles en redemandent ! Le problème actuel n’est pas la résistance à l’émergence de ces nouvelles professions, mais bien leur méconnaissance de tout ce qui est possible », analyse Catherine Tourette-Turgis.
De la démocratie sanitaire au patient expert
« Pour l’instant, le secteur français reste assez hermétique à la révolution que suppose la prise en compte de la perspective patient », expliquait en Juillet dernier, Amah Kouevi, cofondateur et ancien directeur de la communication de l’Agence nationale d’évaluation de la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap), lors d’une conférence organisée par l’Institut Expérience Patient (voir encadré).
Il faut dire que culturellement, avec des langages et des codes différents, il n’est pas dans les habitudes de collaborer avec les patients. Pourtant le concept n’est pas si nouveau.
Car la « démocratie sanitaire », c’est-à-dire la démarche qui vise à associer les différents acteurs du système de santé à l’élaboration et la mise en œuvre de politique de santé (y compris les patients donc) a été identifiée par la loi du 4 mars 2002, dite « Loi Kouchner », il y a 16 ans déjà. Depuis, le cheminement s’est fait progressivement. Du patient « sentinelle », on est passé au patient « aidant », puis « partenaire » et « expert ».
Dans l’avenir, le patient deviendra de plus en plus acteur de son parcours santé. Il faudra s’adapter.
Malika Surbled
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Parole de patient
Céline Cardoso Fortes est atteinte d’un syndrome du grêle court depuis 30 ans. Depuis 2009, elle travaille avec les équipes soignantes du Centre Expert en nutrition parentérale de Montpellier et collabore également avec l’équipe pédagogique en ETP. Elle a mis en place un programme d’auto-soins en nutrition parentérale, qui est déployé auprès des autres patients.
« Tout a commencé en 2009, alors que je connaissais un épisode compliqué dans ma maladie. J’étais dénutrie, carencée, et j’ai dû avoir recours à la nutrition parentérale pour aller mieux, on m’a donc posé une chambre implantable. J’ai demandé au médecin si je pouvais faire moi-même mes perfusions pour être la plus autonome possible dans la gestion de mes soins. Une infirmière m’a formée et j’ai formalisé systématiquement toutes les informations que je recueillais en les retranscrivant dans un document. Je voulais apprendre vite et ne rien oublier. Spontanément, j’ai partagé mes fiches de notes avec l’équipe soignante. J’avais créé, au fur et a mesure de mon apprentissage, un programme d’auto-soins à la nutrition parentérale à partir des savoirs scientifiques des soignants mais avec mes mots et ma vision de patiente .
Nous avons ensuite, ensemble, construit un programme complet, validé par l’ARS, transposable à d’autres patients. Depuis, l’Institut du cancer de Montpellier ICM me fait intervenir sur les formations destinées aux professionnels. J’interviens également dans des congrès où j’apporte mon regard de patiente et j’anime des formations ETP en duo avec les soignants. C’est comme cela que d’un partenariat d’apprentissage, je suis passée à un partenariat de collaboration ».
Entretien avec Gérard Raymond, président de la Fédération française des Diabétiques : « il faut convaincre et rassurer les soignants ».
Alors que les patients experts représentent une voie prometteuse en France, de nombreux freins semblent entraver leur chemin. Comment l’expliquez-vous ?
Déjà, il y a le blocage par le système de santé dans un premier temps, car l’éducation thérapeutique n’est pas suffisamment développée, ni mise en avant. Pour les diabétiques, il faut savoir que seuls 3% des patients sont ou ont été inscrits dans un programme d’ETP ! De plus, l’offre se fait principalement à l’hôpital. Il n’y a presque rien en ville. Le patient expert et l’accompagnement par les pairs pourraient avoir un rôle majeur dans la multiplication de ces programmes d’ETP. Pour cela, le système doit clairement définir leur place, leur rôle et leur participation. Il devrait aussi favoriser la structuration des organisations pluri-professionnelles avec les associations de patients pour, entre autres, promouvoir les patients experts.
Ensuite, il y a les sociétés savantes et le corporatisme. Depuis 2009, année de la parution de la loi HPST en faveur du développement des programmes d’éducation thérapeutique, les professionnels et les réseaux de santé ont tendance à s’accaparer ces programmes, en nous laissant très peu de place. Aujourd’hui, nombreux sont encore les soignants à considérer que les patients ne peuvent pas participer. Mais heureusement, les mentalités commencent à évoluer.
Quels sont les leviers pour favoriser le déploiement plus large des patients experts ?
L’enjeu est certes politique, mais il faut aussi convaincre et rassurer les soignants. L’accompagnement de pairs dans le cadre de programme d’éducation thérapeutique est un moyen de renforcer la notion de confiance entre les patients et les soignants. Il est prouvé qu’il permet aussi d’obtenir de meilleurs résultats que lorsque l’on s’en passe, notamment en termes d’observance et de participation active du patient. Cet apport par les pairs peut aussi permettre de réduire les complications liées à certaines pathologies. D’un point de vue économique, il y a tout à gagner aussi. On peut réduire les coûts d’hospitalisation et le professionnel de santé pourrait retrouver le sens de sa profession. À la fédération française des diabétiques, nous développons la notion de patients experts depuis plus de dix ans. On a mis en place des formations en nous référant aux recommandations officielles de la Haute Autorité de Santé.
Vous êtes pour la complémentarité des savoirs donc ?
On peut faire beaucoup de choses ensemble, dans une volonté de co-construction et de complémentarité en effet. Tout le monde peut être gagnant. Mais pour cela, il faut accepter de mieux communiquer pour que la confiance entre les différents acteurs du système de santé – dont les patients – se restaure.
Zoom sur l’Institut français de l’expérience patient
L’institut de l’expérience patient est une organisation à but non lucratif, qui, à l’instar du Beryl Institute aux Etats-Unis, a pour objectif d’aider les établissements à s’appuyer sur le vécu des patients pour améliorer leur fonctionnement et leur fonctionnement et leur qualité de service.
« L’expérience patient est un concept avec lequel les professionnels de santé ne sont pas encore familiers. Il suscite pourtant un grand intérêt et le plus souvent une adhésion de principe en ce qu’il reflète la préoccupation partagée par tous de préserver la dimension humaine du soin et le désir d’un service rendu optimal devant toute autre considération ». www.experiencepatient.fr
Ce dossier est paru dans le numéro 28 d’ActuSoins Magazine (mars 2018)
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