La VAE infirmière n’existe pas, mais…

Pour accéder au diplôme infirmier, trois ans d’études sont nécessaires : pas de mécanisme type VAE pour abréger le cursus. Mais il existe quelques aménagements mineurs pour certains étudiants… Et pour les spécialités, la question se pose différemment.

La question a été posée récemment sur un groupe Facebook infirmier : en tant qu’aide-soignant, est-il possible d’accéder à la profession d’infirmier par le mécanisme de la Validation des acquis de l’expérience (VAE) ?

Les réponses n’ont pas tardé à fuser, un brin sarcastiques : non, le métier d’infirmier est spécifique, et quel que soit le nombre des années passées à exercer comme aide-soignant, celui-ci ne peut ouvrir la voie à ce mécanisme qui permet d’obtenir tout ou partie d’un diplôme en justifiant de compétences acquises au travail.

Reste que dans la réalité, les choses sont un peu plus compliquées que sur les réseaux sociaux… la question mérite en effet d’être posée.

Mais commençons par le commencement. « La VAE infirmière n’existe pas, cela reviendrait à accepter l’exercice illégal de la profession », tranche Sylvain Boussemaere, coordonnateur général des soins au Centre hospitalier intercommunal des Vallées de l’Ariège, qui a longtemps œuvré dans le secteur de la formation infirmière.

Le raisonnement est en effet imparable : la VAE suppose que l’on puisse justifier d’une expérience antérieure dans l’activité que permet le diplôme visé, ce qui est impossible dans le cadre d’une profession réglementée comme la profession infirmière. Permettre à un aide-soignant de se prévaloir de ses années d’exercice à l’hôpital pour valider, disons, la première année du cursus infirmier, reviendrait à admettre qu’il a effectué des tâches infirmières sans en avoir le droit.

C’est pourquoi les seuls aménagements possibles concernent la dispense de certains enseignements, notamment durant la première année. « Chaque année, nous avons un petit quota d’aides-soignants ou d’auxiliaires de puériculture qui demandent cet aménagement, explique Linda, cadre formatrice dans un Ifsi de région parisienne. Ils doivent faire tout un dossier pour l’obtenir, notamment avec des attestations de leurs employeurs, et nous avons une commission qui se réunit chaque année au mois d’octobre pour les examiner. »

Mais on ne peut pas vraiment dire que les dispenses soient massives. « En général, ils obtiennent deux ou trois unités sur les 59 que comprend la formation, ce qui représente une heure ou deux par semaine, détaille la formatrice. Ce sont surtout des enseignements dispensés au premier semestre, où l’on apprend les fondamentaux des soins de confort et d’hygiène. Et bien sûr, tous les étudiants doivent valider toute la formation pratique. »

Une VAE Ibode à la force du poignet

Mais la question de la VAE infirmière est loin de se limiter au cas de la dispense de quelques cours pour les aides-soignants issus de promotions professionnelles.

Elle existe par exemple depuis quelques années pour la spécialité Ibode. « La VAE Ibode existe depuis l’arrêté d’avril 2017 pour les IDE qui ont un an d’expérience au bloc », explique Marie-Sophie Niay, présidente de l’Association des enseignants des écoles d’infirmiers de bloc opératoire (AEEIBO).

La démarche se fait en deux temps, poursuit-elle. Il y a d’abord un dossier administratif à soumettre, principalement pour prouver que la situation du candidat correspond aux critères. « Puis le candidat doit présenter une situation clinique pour chacune des neuf compétences du référentiel, en expliquant pourquoi il pense les avoir acquises », ajoute l’Ibode qui précise qu’à ce jour, l’une de ces compétences (la n°6) n’est pas accessible à la VAE, et qu’il faut toujours « aller la chercher en institut de formation ».

Et il ne faudrait pas croire que le parcours de la VAE Ibode est un chemin pavé de roses. « Au niveau de la charge de travail, c’est très lourd, et ce d’autant plus que c’est un travail individuel, qu’il faut faire après son travail quotidien, estime Marie-Sophie Niay. J’admire beaucoup les professionnels qui font ce parcours, cela n’a rien d’un diplôme au rabais et j’estime qu’il y en a trop peu, il faudrait qu’on leur facilite la tâche en leur donnant plus de temps pour écrire leur projet. »

La présidente de l’AEEIBO précise que les candidats à la VAE peuvent être aidés dans la préparation de leur dossier par les instituts de formation, mais que les établissements ne sont « malheureusement pas enclins à libérer les professionnels pour cela ».

La VAE IPA fait débat

Autre exemple : des passerelles sont possibles pour raccourcir la formation des IPA. Bien que le mécanisme soit remis en cause par certains représentants de la professions (voir encadré), les étudiants de cette filière peuvent demander à leur université d’être dispensés de certaines Unités d’enseignement (UE), voire de toute la première année.

C’est ainsi que Thomas Zurecki, infirmier en soins de support et soins palliatifs à l’Institut Curie de Paris, se trouve actuellement en deuxième année du cursus IPA – mention oncologie – à l’université Paris-Est-Créteil après avoir validé la première par VAE. Et celui-ci est loin de considérer qu’il bénéficie d’une faveur que lui ferait le système.

Il voit plutôt ce processus comme « la reconnaissance de glissements de tâches qui existent depuis longtemps, mais qui n’étaient pas valorisés ». Avant même d’avoir entamé ses études d’IPA,  sa pratique lui avait en effet selon lui donné « beaucoup d’autonomie » : « on fait des entretiens seuls avec les patients, on a un œil sur les prescriptions, on revient sur l’annonce le diagnostic, le pronostic », énumère-t-il. Thomas Zurecki était aussi titulaire de deux diplômes universitaires dans les domaines de la prise en charge de la douleur et des soins palliatifs.

Le Seine-et-Marnais ajoute que le processus de VAE n’a rien d’une promenade de santé. « En plus de l’étude par la commission pédagogique de mon dossier, de ma lettre de motivation et de mon CV, j’ai dû passer un oral », se souvient-il, ajoutant qu’il a également dû effectuer « trois semaines de remise à niveau sur les grands thèmes jugés indispensables : la législation, la sémiologie, la gestion des risques, etc. ».

Et s’il se dit confiant dans le fait que la VAE ne dégrade pas le niveau de qualité de la formation, il émet cependant un point de vigilance. « Je pense que s’il peut y avoir un point faible en validant la première année de cette manière, c’est la sémiologie, indique-t-il. Il faut bien comprendre le fonctionnement de base de l’organisme, et donc je déconseillerais cela à des personnes qui n’auraient pas d’acquis assez solides sur ce point, ou qui ne sont pas dans une équipe soutenante qui serait à même, tout au long de l’année, de leur apprendre à examiner un patient, à ausculter. »

Alors, ce qui est possible pour la spécialité Ibode ou pour la pratique avancée doit-il être rendu accessible au diplôme IDE ? Face à la pénurie infirmière, des propositions ont été faites pour faciliter (pour l’instant à titre expérimental) certaines VAE et autres passerelles.

Mais celles-ci sont accueillies avec prudence dans la profession. « On peut envisager des VAE partielles, sur des champs partagés, notamment sur les soins de base, le nursing, estime Sylvain Boussemaere. Mais il faut faire attention à ne pas aller trop vite, car ces champs partagés représentent finalement peu de choses. »

Même prudence du côté de Linda. « C’est toujours intéressant de valoriser l’expérience, les étudiants issus de promotions professionnelles ont un bagage que les autres ne peuvent pas avoir, estime-t-elle. Mais il faut savoir où l’on met le curseur. »

Adrien Renaud

Trois questions à Julie Devictor

Julie Devictor préside le Conseil national professionnel des IPA (CNP-IPA), et elle a de sérieuses réserves à l’encontre de la VAE pour les IPA.

En quoi la VAE pour les IPA vous pose-t-elle problème ?

Le principe de validation d’UE est universel dans les universités, et nous ne le remettons pas en question, car le diplôme d’IPA est un diplôme universitaire.

Mais c’est aussi un diplôme professionnalisant : nous pouvons entendre que des UE théoriques soient validées, mais nous ne comprenons pas comment on peut valider de manière globale toute une première année, qui comprend aussi des unités cliniques.

Je voudrais qu’on m’explique comment on peut valider ces unités cliniques dans un métier qui, par définition, n’est pas exercé par le candidat. Certains peuvent avoir une expertise ciblée, par exemple dans la prise en charge de la douleur, mais justement, la pratique avancée, c’est un regard plus large que l’expertise clinique ciblée.

Quels risques la VAE fait-elle, selon vous, peser sur la profession ?

Pour pallier des problématiques démographiques, on sacrifie la qualité de la formation. C’est tout à fait contradictoire avec les efforts que nous faisons pour avoir davantage de responsabilités pour les IPA, pour l’accès direct, etc. On voit d’ailleurs bien que, par exemple dans le cas de la médecine générale, la tendance est à l’augmentation du temps de formation plutôt qu’à sa réduction.

Y a-t-il selon vous des risques pour les professionnels eux-mêmes ?

Il se trouve que j’ai moi-même j’ai bénéficié de la VAE, parce que je suis titulaire d’un master de sciences cliniques infirmières.

J’ai accepté, parce que cela me permettait d’aller plus vite, je ne me rendais pas compte. Mais le résultat, c’est que je ne suis pas au niveau de ceux qui ont bénéficié des deux années de formation.

Propos recueillis par AR

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