À Limoges, soigner les « addicts » aux jeux

À Limoges, soigner les « addicts » aux jeux

Avec plusieurs unités spécialisées, le pôle universitaire d'addictologie en Limousin, rattaché au Centre Hospitalier Esquirol de Limoges, prend en charge les dépendances et les sevrages en proposant des admissions de courte, moyenne et longue durée. En 2013, ce pôle a complété son offre de soins en ouvrant un centre entièrement dédié aux addictions comportementales portant sur les jeux vidéo, les jeux de hasard et d’argent. Article paru dans le n°35 d'ActuSoins Magazine (décembre 2019).
le docteur Bureau-Yiniesta spécialisé en addictologie distribue des prospectus et documents pour sensibiliser ses patients aux dépendances liées aux jeux
© Nicolas Gaillard. La prévention est l’une des missions clefs du CERJep. Ici, le docteur Bureau-Yiniesta spécialisé en addictologie distribue des prospectus et documents pour sensibiliser ses patients aux dépendances liées aux jeux.

Les couloirs sont relativement calmes ce jour-là.

Quelques soignants déambulent d’un pas tranquille dans le bâtiment Sully Prudhomme.

Le sol est impeccable, les murs sont blancs et les néons émettent une lumière froide, presque hivernale.

Ici ou là, des œuvres aux couleurs flamboyantes viennent pimenter les lieux. Face à l’entrée, quatre tableaux rouges se dressent dans toute leur verticalité, comme s’ils venaient saluer les visiteurs.

C’est l’une des particularités du pôle d’addictologie, les œuvres d’art produites par les patients sont exposées aux yeux de tous : des dessins, des tableaux, des sculptures.

Il est 16h00. Alors qu’un calme presque parfait règne dans les lieux, au loin, un tambour se réveille : « boum ! boum ! ».

On entend ensuite un tam-tam, une batterie, puis des cris. Les instruments s’imposent de toute leur force au sein de l’unité Camille Pissarro.

Le pôle d'addictologie du Limousin possède un atelier d'art ouvert à tous ses patients.
© Nicolas Gaillard. Le pôle d’addictologie du Limousin possède un atelier d’art ouvert à tous ses patients. Plusieurs fois par semaine, les patients sont invités à produire des sculptures, des dessins, des tableaux ou des ouvrages d’art. Cette vache en terre cuite a été réalisée par l’une des patientes et sera bientôt offerte à l’un des psychiatres de l’établissement en guise de cadeau.

On s’approche de la porte d’où émerge ce raffut pour le moins étonnant : « bienvenue à vous ! Prenez place, nous allons faire de la musique aujourd’hui », lance Christophe Delage, art-thérapeute au sein du CH Esquirol de Limoges depuis une dizaine d’années.

Assis sur son cajón – une caisse de résonnance en bois -, Christophe est vêtu d’un jean bleu et d’une paire de crocs blancs. Avec son tee-shirt de rockeur noir et ses mains prêtes à frapper l’instrument, c’est le maître des lieux, l’animateur de la séance.

Tous les patients sont disposés en cercle, assis dans des fauteuils gris aux allures confortables.

Ici, les patients présentent des addictions importantes : alcool, cannabis, médicaments, opiacés, etc. Pour certains, c’est leur premier séjour. Pour d’autres, c’est presque devenu une habitude.

Musique, sport et art-thérapie

Certaines oeuvres d'art réalisées par les patients sont exposées dans les couloirs.
© Nicolas Gaillard. Certaines oeuvres d’art réalisées par les patients sont exposées dans les couloirs. Objectif : changer et améliorer le regard parfois très sombre que les patients portent souvent sur eux-mêmes.

« Carinne, tu débutes un rythme. Chacun à votre tour, vous allez vous greffer sur le rythme de Carinne. C’est parti ! », lance Christophe.

Dans un coin, un médecin scrute la séance. Regard perçant, jambes croisées, il tente de cerner l’évolution de ses patients, de sonder leur moral.

La musique, l’art, les groupes de paroles, la relaxation sont autant de remèdes pour faciliter le sevrage et tenter de soigner ces addictions.

« Ici, nos patients présentent pour la plupart des signes de comorbidité. Leur addiction n’est souvent que la manifestation d’un trouble plus profond comme la bipolarité, la dépression, la schizophrénie ou d’autres maladies plus rares », souligne Christophe. C’est le cas de Carinne justement.

Âgée de 45 ans, silhouette fine, voix rocailleuse et mains fragiles, elle a été admise à l’unité d’hospitalisation au début du mois d’octobre. « Je suis ici dans le cadre d’un sevrage alcoolique. J’ai eu pas mal de problèmes dans ma vie, j’ai eu un cancer, je me suis séparée de mon conjoint, j’ai fait une dépression. C’est très compliqué l’alcoolisme, le regard des autres est très dur, confie-t-elle. La musique m’aide beaucoup. Cela permet de nous défouler, de créer des liens avec les autres patients. C’est important dans le cadre d’un sevrage ».

À ce jour, le pôle d’addictologie possède une soixantaine de lits disséminés entre toutes les unités. La durée d’hospitalisation peut être comprise entre une et douze semaines, selon le profil des patients et leurs pathologies.

En plus des ateliers d’art ou des ateliers musicaux, les patients peuvent faire du sport dans un gymnase ainsi que des activités ludiques comme le baby-foot ou la pétanque.

Les soignants animent aussi des ateliers cognitifs, des ateliers de promotion de la santé ou des groupes de parole. Inauguré en 2017, ce nouveau bâtiment offre 3300 m2 avec une volonté architecturale d’être le plus ouvert possible sur l’extérieur. Car comme le rappel Christophe, le but, « c’est de sortir d’ici ».

D’après l’Observatoire des drogues et des toxicomanies, en 2019, cinq millions de français consomment quotidiennement de l’alcool, treize millions fument quotidiennement du tabac et 900 000 consomment quotidiennement du cannabis.

Si les chiffres sont moins importants s’agissant des drogues dures, ils sont néanmoins plusieurs centaines de milliers à consommer régulièrement de l’héroïne, du crack ou de la cocaïne.

Jeux d’argent, jeux de hasard et jeux vidéo : un centre spécialisé

Christophe Delage est l'art-thérapeute chargé d'animer les ateliers musicaux.
© Nicolas Gaillard. Christophe Delage est l’art-thérapeute chargé d’animer les ateliers musicaux. Avec sa caisse de résonance, il rythme les séances et dicte les exercices que les patients doivent accomplir.

Si les unités historiques d’addictologie se destinent aux patients qui présentent des addictions pathologiques aux substances et produits en tous genres, de plus en plus d’addictions liées aux jeux vidéo, aux jeux d’argent et de hasard ont émergé ces dernières années.

En 2013, une nouvelle antenne du pôle d’addictologie du CH Esquirol a ouvert ses portes dans le centre-ville de Limoges. Situé dans un bâtiment indépendant aux couleurs bleutées, le Centre expert régional du jeu pathologique en Limousin (CERJeP) abrite une équipe pluridisciplinaire formée à l’approche du jeu excessif et du jeu pathologique.

Une structure spécialisée encore rare en France : il en existe seulement cinq sur le territoire national.

Ici, cinq professionnels de santé travaillent quotidiennement : un infirmier, une conseillère en économie sociale et familiale, une psychologue, un médecin généraliste spécialisé en addictologie ainsi qu’une secrétaire médicale. « C’est très important pour nous d’avoir une équipe pluridisciplinaire. Cela nous permet de suivre les patients à plusieurs et de croiser nos regards selon nos compétences et nos expertises », explique Céline Larrart, conseillère en économie sociale et solidaire qui a rejoint le centre en 2015.

Avec un impact moindre sur la santé, ces addictions encore méconnues n’en sont pas moins vicieuses. « Les difficultés financières ou les situations de conflits familiaux sont l’une des principales raisons qui poussent les patients à venir nous voir, explique Pascal Nequier, infirmier au sein du CERJeP. Parfois, le couple est en danger, prêt à éclater », souligne-t-il.

Les missions du centre sont claires : évaluer l’addiction des patients, assurer leur suivi, attribuer les traitements et faire de la prévention auprès du public.

Le CERJeP s’adresse aussi aux professionnels de santé qui souhaitent améliorer leur compréhension de ces addictions. Depuis son ouverture en 2013, le centre a reçu environ 500 patients avec environ 80 nouveaux venus chaque année. « Chaque patient est vu par l’ensemble de l’équipe. Pour déterminer le profil du patient, on utilise des tests et des grilles validés scientifiquement afin de caractériser la dépendance », explique le Dr Coralie Bureau-Yniesta, médecin généraliste spécialisé en addictologie.

Ces addictions ne se traitent pas en quelques semaines, souvent, le patient est suivi de longues années. « Et si l’évaluation est pluridisciplinaire, l’orientation et le suivi sont personnalisés selon le désir et les motivations du patient », complète Liza Mirabel, psychologue arrivée au CERJeP en 2019.

S’agissant du profil des patients, « ils sont très variés. Pour les jeux vidéo, ce sont bien souvent les parents qui viennent nous voir car ils sont très inquiets pour leurs enfants ou leurs adolescents. S’agissant des jeux d’argent ou des jeux de hasard, nous avons tous les types de profil, le phénomène d’addiction est présent dans tous les cercles sociaux », souligne Cécile Larrart.

« La grande difficulté est de créer un lien de confiance entre nous et les patients. Si le lien de confiance n’existe pas, il n’est pas possible de les accompagner efficacement », conclut Pascal Nequier.

Des addictions encore mal connues

Une cadre de santé reçoit les patients et les proches. Les visites sont autorisées au sein des unités d'hospitalisation mais elles sont encadrées.
© Nicolas Gaillard. Une cadre de santé reçoit les patients et les proches. Les visites sont autorisées au sein des unités d’hospitalisation mais elles sont encadrées.

Du côté des jeux de hasard et d’argent, les statistiques et les données chiffrées sont rares.

En 2017, les dépenses de jeu des français s’élevaient à 10,5 milliards d’euros, soit une dépense nette de 200 euros par an et par habitant en âge d’être majeur.

Parmi tous ces joueurs, environ 2,7 % auraient une attitude pathologique avec une pratique excessive du jeu.    

S’agissant des jeux vidéo, le phénomène est encore trop récent pour avoir des données fiables. Il a fallu attendre juin 2018 pour que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) inclut les troubles du jeu vidéo – le gaming disorder – dans sa classification internationale des maladies.

En France, la seule enquête française disponible est celle du Programme d’étude sur les liens et l’impact des écrans sur l’adolescent scolarisé (PELLEAS) réalisée en 2013 qui révèle qu’un élève sur huit a un usage problématique des jeux vidéo.

« Les addictions au jeu vidéo sont un phénomène nouveau. Il y a tout un travail à faire pour les comprendre et proposer des suivis efficaces. Les programmes évoluent aussi au niveau des études de médecine. Il y a deux jours entièrement consacrés aux addictions comportementales, ce qui n’était pas encore le cas, il y a cinq ans », se souvient Coralie.

« Quelle que soit la nature de l’addiction, elle présente toujours deux grandes caractéristiques : une perte de contrôle sur la consommation et le sentiment de répondre à un problème ou de soulager des tensions intérieures », précise Liza.

L’environnement joue également un rôle fondamental avec différents facteurs qui peuvent pousser le sujet à la consommation tel qu’un environnement délétère, humiliant ou négatif.

La pression sociale ou le harcèlement peuvent aussi jouer un rôle important, qui plus est dans un environnement où les jeunes sont de plus en plus exposés sur internet.

C’est un fait : les avancées technologiques font naître de nouvelles addictions. La multiplication des réseaux sociaux – Facebook, Twitter, Instagram, Snapchat – pousse les usagers – et notamment les jeunes – à consulter leur écran de manière excessive.

Cette surconsommation peut créer une forte dépendance liée aux échanges électroniques. Comme le rappelle Coralie Bureau-Yniesta, « les parents doivent veiller aux pratiques de leurs enfants en imposant des règles claires. Bien entendu, s’il est interdit d’utiliser son téléphone à table, ce doit être valable pour les parents comme pour les enfants. Il faut être cohérent ».

Martin des Brest

Cet article est paru dans le n°35 d’ActuSoins Magazine (décembre 2019)

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