Prévenir les troubles de la reproduction

Au CHU de Bordeaux, le Centre Artémis propose des consultations d’évaluation et de prévention aux troubles de la reproduction (infertilité, malformations congénitales, fausses couches spontanées…). Une première en France. Article paru dans le n°34 d'ActuSoins Magazine (septembre 2019). 

Sylvie Mauvoisin, infirmière santé au travail-environnement du centre Artémis reçoit un couple pour un long questionnaire

Sylvie Mauvoisin, infirmière santé au travail-environnement du centre Artémis reçoit un couple pour un long questionnaire. © Alexandra Luthereau.

Amalia arbore un joli ventre gonflé. Dans quelques semaines, elle donnera naissance à son deuxième enfant.

Une malformation rénale et un retard de croissance ont déjà été diagnostiqués à l’échographie.

En ce mois de juillet caniculaire, elle a rendez-vous, avec son mari Joachim, au centre de prévention des troubles de la reproduction Artémis (Aquitaine reproduction enfance maternité et impact en santé environnement).

Lancé en 2016 sous l’impulsion de l’ARS Aquitaine, dans le cadre de sa stratégie régionale de prévention et promotion de la santé environnementale autour de la petite enfance, le centre Artémis est précurseur sur le sujet. C’est en effet le premier centre du genre dont la prise en charge est intégrée dans un parcours de soins hospitaliers.

Cette démarche innovante a demandé tout un travail en amont.

« Il a fallu prendre le temps de construire le circuit de prise en charge du patient intégré à la prise en charge clinique, définir les critères d’admission, nouer des partenariats avec les institutionnels, explique Raphaëlle Teysseire, ingénieure santé-environnement du Centre Artémis. C’est vraiment une particularité de ce centre que la prévention soit structurée à ce point ». L’initiative a, depuis, inspiré d’autres CHU à Marseille, Rennes, Créteil, Paris… 

Infertilités, diabète gestationnel, malformations congénitales…

Comme Amalia et Joachim, environ 850 couples sont venus au Centre en trois ans pour des problèmes d’infertilité inexpliquée ou bien liés à une anomalie (du spermogramme, endometriose, insuffisance ovarienne débutante…).

La prise en charge concerne également les parents confrontés à des pathologies de type fausses couches à répétition, diabète gestationnel, retard de croissance intra utérin important… ou les malformations congénitales chez l’enfant.

« Notre rôle est de compléter la prise en charge médicale par une prise en charge environnementale que les cliniciens n’ont pas le temps de faire », précise Sylvie Mauvoisin, l’infirmière santé au travail-environnement du centre. Soit les médecins orientent les patients vers Artémis ou bien Sylvie Mauvoisin va à la rencontre de ces derniers directement dans les services.

Concrètement, le travail de l’équipe pluridisciplinaire (ingénieure santé-environnement, infirmière, médecin du travail, toxicologue…) consiste à identifier les substances chimiques auxquelles les patients sont exposés puis à faire de la prévention.

Ici, les couples ne repartent pas avec une feuille de soins et des traitements médicamenteux pour soigner leur trouble mais avec des conseils pour limiter leur exposition à des polluants.

« Cette consultation a pour ambition de se projeter dans l’avenir et de favoriser les meilleures conditions possibles pour une grossesse future et la santé de l’enfant à naître. Il ne s’agit pas de leur dire que telle anomalie est liée à telle exposition », souligne l’infirmière formée en santé environnementale à l’ARS Aquitaine et diplômée d’un diplôme universitaire (DU) en santé au travail. « D’ailleurs, on ne peut pas affirmer que tel facteur est la cause de telle pathologie, ajoute le Dr Fleur Delva, médecin de santé publique. Cela est tellement complexe à déterminer du fait de l’intervention d’autres facteurs comportementaux, génétiques, etc. » 

1200 facteurs de risques

Le Dr Fleur Delva, médecin de santé publique et coordinatrice d'Artémis

Le Dr Fleur Delva, médecin de santé publique et coordinatrice d'Artémis. © Alexandra Luthereau.

Au centre Artémis, le Dr Fleur Delva vient d’expliquer au couple la démarche du centre et de recueillir leurs antécédents.

Sylvie Mauvoisin prend le relais pour un long entretien, réalisé à partir d’un questionnaire créé par l’ingénieure en santé environnementale. Cette dernière a identifié 1200 facteurs de risques pour la reproduction en étudiant la littérature scientifique.

 
Pendant un heure et demie, Amalia et Joachim répondent à de nombreuses questions très précises liées à leur activité professionnelle, leur habitation, leurs habitudes domestiques et personnelles. Quels produits d’entretiens ménagers utilisent-ils pour laver les vitres ? Possèdent-ils un détecteur de monoxyde de carbone sur leur chaudière ? Leur maison se situe-t-elle à proximité d’un champ ? Aèrent-ils leur logement tous les jours ?... 

« Aucune question n’est anodine, souligne l’infirmière. Derrière, il y a une source de pollution possible. En fonction des réponses, nous allons creuser et demander un maximum de détails ».


L’entretien ne se limite pas à poser des questions. Il se veut un véritable échange sur les bons gestes à adopter et ceux à abandonner. « L’entretien fait partie intégrante de l’action de prévention », insiste le Dr Fleur Delva.

Mais pas question d’être dans le jugement ou d’interdire quoi que ce soit, insiste l’équipe. « Nous évitons les messages anxiogènes, affirmant que tout est dangereux au même niveau. L’exposition à un gel douche contenant des composants suspectés d’avoir un impact négatif sur la santé n’équivaut pas à la consommation de tabac ou une exposition au plomb, dont la science a démontré les méfaits », rappelle Raphaëlle Teysseire.

Au couple qui a des projets de petits travaux dans leur maison, Sylvie Mauvoisin conseille de choisir des peintures avec la mention A, pour ce qui est des composés organiques volatils (COV). Et de coucher bébé dans son lit neuf, au moins deux mois après qu’il ait été monté et aéré. Surtout, elle recommande à Joachim l’arrêt du tabac. Elle prend le temps de lui expliquer les accompagnements dont il peut bénéficier.  

Changements de comportements

Tous ces conseils, le couple les retrouvera dans le compte-rendu rédigé par l’infirmière et l’ingénieure santé environnementale. Le centre Artémis, rattaché à la consultation pathologie professionnelle environnementale, tient également à l’envoyer aux médecins du travail des patients. « L’idée est de les sensibiliser sur la santé-environnement et d’inciter les patients à les consulter pour leur faire part de leur projet de procréation ». Puisque ce sont les médecins du travail qui pourront, si besoin, aménager les postes à risque.

D’après le bilan réalisé après les trois premières années d’activité du centre, « les patients sont majoritairement satisfaits de la prise en charge », souligne Fleur Delva. Mieux, 62 % des personnes qui ont répondu à l’enquête ont déclaré que la consultation leur avait donné envie de changer de comportement.

« Ces personnes ont plutôt évoqué le “souhait” car le changement de comportement est un processus compliqué. Il faut des connaissances, ce à quoi nous contribuons. Mais cela ne suffit pas. Il y a plusieurs leviers à lever pour opérer un changement », insiste le médecin qui rappelle que les personnes n’en ont pas toujours la possibilité, en particulièrement dans l’environnement de travail. Cela dit, certains patients ont réduit leur utilisation de certains produits ou se protègent mieux. « Il y en a même un qui pris une décision extrême : déménager ! », s’étonne l’ingénieure en santé environnementale. 

Alexandra Luthereau

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Métiers à risques  

Souvent, c’est dans le milieu professionnel que les expositions à risques sont les plus importantes. Les infirmières et aides-soignants sont notamment particulièrement exposées. Contraintes biomécaniques, produits de désinfection, manipulation de médicaments ou de produits de chimiothérapie sont des exemples d’expositions pouvant participer à l’augmentation du risque de troubles de la reproduction. [Lire aussi, sur ActuSoins.com : Infirmière enceinte : quels risques professionnels ?]

 

Actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article est paru dans le n°34 d'ActuSoins Magazine (septembre-octobre-novembre 2019)

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[1] les prénoms des patients ont été modifiés

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