Cet article a été publié dans le n°43 d’ActuSoins Magazine (décembre-janvier-février 2022). Il est à présent en accès libre.
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Jennifer Verbeke est infirmière libérale (Idel) à Paris.
Environ 80 % de sa patientèle est composée de personnes atteintes de troubles psychiatriques.
En janvier 2016, elle a monté un cabinet libéral en grande partie dédié à cette patientèle. « J’ai exercé pendant dix ans dans un service intrahospitalier en psychiatrie mais face au manque de moyen dédié, j’ai décidé de m’installer en libéral, explique-t-elle. J’avais identifié des problématiques concernant les sorties d’hospitalisation de patients ayant besoin de soins somatiques notamment. Et comme les idels sont souvent frileuses à l’idée d’intervenir chez des patients atteints de troubles mentaux, j’ai lancé mon projet. »
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Privilégier les soins en ville
Si pendant longtemps l’hospitalisation des patients atteints de troubles mentaux a été privilégiée, depuis une trentaine d’années, l’ouverture sur la ville est investie par les pouvoirs publics avec notamment la mise en place des centres médico-psychologiques (CMP), « dans l’idée que le patient est mieux chez lui qu’en intrahospitalier », rappelle François Poulain, président de l’Union régionale des professionnels de santé libéraux (URPS) Infirmiers Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) et idel, dont la patientèle est notamment composée de patients atteints de troubles psychiatriques.
« Pour une grande majorité d’entre eux, un retour à domicile est possible, de l’épisode dépressif léger jusqu’à la schizophrénie, souligne Loïc Rohr, chercheur en soins infirmiers, qui a exercé en établissement psychiatrique et en CMP. Ils doivent avant tout faire preuve d’une certaine autonomie. »
Néanmoins, malgré cet accent mis sur la ville, les patients se heurtent à un manque d’offres de prise en charge. Plusieurs raisons l’expliquent. Outre les CMP surbookés, « historiquement, les idels n’ont pas l’habitude de s’occuper de cette patientèle, d’autant plus que les maladies mentales ont été largement stigmatisées, regrette Jennifer Verbeke. On pense principalement aux délirants, aux psychotiques, aux patients agressifs mais beaucoup plus rarement à la personne âgée dépressive. » Or, le champ d’intervention inclut aussi l’addictologie, les névroses ou encore la dépression.
Manque de formation… et de temps
En parallèle, la formation des infirmiers n’est pas nécessairement adaptée. « Les soins en psychiatrie sont très particuliers et, en formation initiale, ils ne sont pas vraiment considérés », regrette François Poulain.
Le diplôme dédié a disparu en 1992. Depuis, « au sein de la formation initiale, il y a cette dichotomie entre le somatique et le psychique. Les Ifsi peinent à intégrer le côté ″psy″ dans leur formation. » Conséquence : il est difficile pour les idels de se confronter à ces soins sans savoir comment les aborder. Et c’est sans compter la cotation.
« La question du temps de la prise en charge et de la cotation associée est aussi l’une des raisons d’un refus de prise en charge », fait savoir Loïc Rohr. Les soins en psychiatrie sont mal rémunérés.
« Face à un patient psychiatrique en souffrance, on ne peut pas simplement lui dire de prendre ses médicaments et repartir, pointe du doigt François Poulain. C’est pourtant l’image que tout le monde en a, notamment nos instances, l’Assurance maladie ou encore les hospitaliers. L’accompagnement que nous proposons est global mais il n’est pas reconnu. »
Outre la relation de confiance plus longue à instaurer, qui nécessite de passer du temps avec le patient, l’idel va bien souvent être la personne ressource du patient et régler ses problématiques de prises en charge.
« En arrivant au domicile, face à une patiente qui a par exemple des troubles psychiatriques et une chimiothérapie, l’infirmier gère ses rendez-vous, organise le transport, appelle le laboratoire pour obtenir le bilan sanguin, énumère François Poulain. Car souvent ce type de patient est inapte à effectuer les actes de la vie courante. »
Des prises en charge difficiles
Généralement, l’orientation des patients vers les idels est effectuée directement par les hôpitaux ou les CMP.
« Ils nous appellent pour nous informer de la sortie d’un patient et de la nécessité de notre intervention pour l’observance du traitement », explique François Poulain. Mais il est des cas où les idels se retrouvent confrontées à ce type de prise en charge sans nécessairement sans l’avoir voulu. « Une personne peut par exemple nous appeler pour un soin somatique et en arrivant à son domicile, nous constatons qu’elle a des troubles psychiatriques, raconte François Poulain. Certains infirmiers vont effectuer la prise en charge sans se poser de question. Mais pour d’autres, cela peut être plus compliqué. C’est arrivé à l’un de mes confrères. Il m’a alors appelé pour me demander de prendre le relais. »
Car face aux patients atteints de troubles psychiatriques, l’idel peut avoir plusieurs problématiques à gérer. Une observation clinique amoindrie peut entraîner une mauvaise anticipation d’une décompensation du patient, génératrice d’un comportement agressif ou d’un refus de soins.
« J’ai déjà récupéré des prises en charge arrêtées par des idels parce le patient n’ouvrait plus la porte », indique Jennifer Verbeke. Et d’expliquer : « En santé mentale, il faut savoir adapter la prise en charge, rester compliant aux soins lorsqu’on constate qu’ils peuvent être trop lourds pour le patient. »
Il s’agit d’un savoir-faire ou un savoir-être qui s’apprend. « Lorsqu’un patient ne va pas bien ou qu’il ne souhaite pas prendre son traitement par exemple, l’idel peut tout à fait décider, après une évaluation de la situation et sans lui faire prendre de risque, de revenir le lendemain pour réessayer », conseille Loïc Rohr.
Il est aussi possible de faire appel aux CMP. Mais tous les patients n’ont pas de lien avec ces structures. Il faut alors voir s’ils peuvent et veulent investir dans des consultations auprès d’un psychologue ou d’un psychiatre, et éventuellement leur donner des coordonnées.
Enfin, en cas d’urgence, lorsque le patient présente un danger pour lui-même ou pour les autres, ou encore s’il décompense et que la situation n’est plus gérable, la solution reste l’appel aux urgences et, en cas de trouble, à la police.
« Face à ces différents choix, le point délicat reste la temporalité de la réponse, estime Loïc Rohr. Quand l’infirmier est dans une situation d’urgence mais pas au point d’appeler les urgences, il n’existe pas vraiment de dispositif ″entre deux″ permettant un suivi à domicile. Cela pourrait relever du rôle des CMP mais en raison du manque de personnel et de l’absence de rentabilité de la visite à domicile, ils proposent de moins en moins ce service. »
Un travail en réseau
Pour être accompagné au mieux, il est alors important de développer son réseau. C’est d’ailleurs ce que propose Jennifer Verbeke, via son association Réseau Soins Psy, qui assure les entretiens d’écoute et de soutien, établit les programmes thérapeutiques des patients, les projets de vie, les démarches à effectuer au quotidien. Elle oriente les patients vers les professionnels dédiés en fonction de la problématique rencontrée, assure la coordination et le soutien au patient.
« Avec un psychologue et un psychothérapeute, nous avons créé cette association avec un numéro d’orientation pour répondre aux problématiques des patients, de leurs proches mais aussi des autres soignants en difficulté dans leur prise en charge », indique-t-elle. « Il est important de prendre le temps d’instaurer ce travail en collaboration et en pluridisciplinarité, qui s’effrite avec le temps », complète Loïc Rohr.
En libéral, des initiatives se mettent en place notamment dans le cadre des Communautés professionnels territoriales de santé (CPTS). Elles sont de plus en plus nombreuses à développer un axe sur la prise en charge de la santé mentale.
« Au sein de notre CPTS Itinéraire Santé à Marseille, nous réfléchissons à une organisation qui permettrait d’orienter rapidement les patients atteints de troubles psychiatriques, indique François Poulain. Le professionnel de santé en difficulté face à un patient pourrait appeler un numéro de téléphone avec un accès à des infirmières coordinatrices en charge de la gestion d’un planning de professionnels de santé formés pour une première prise en charge psy. »
Et de conclure : « Dans le cadre de l’Accord conventionnel interprofessionnel (ACI), nous avons d’ailleurs prévu des formations de professionnels de santé volontaires pour participer à ce parcours de soins en santé mentale. »
Laure Martin
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Formation et outils
– Les infirmiers peuvent accéder à des formations pour la prise en charge de patients atteints de pathologies psychiatriques dans le cadre du Développement professionnel continu et de Diplômes universitaires en santé mentale.
– L’URPS Infirmiers Provence-Alpes-Côte d’Azur a élaboré des outils pratiques pour aider les idels dans la prise en charge de la santé mentale avec notamment des conduites à tenir par pathologies : https://www.urps-infirmiere-paca.fr/les-dossiers/la-prise-en-charge-de-la-sante-mentale/
Retour terrain à Toulouse
Du côté de Toulouse, huit infirmiers se sont spécialisés dans la prise en charge des patients atteints de troubles psychiatriques. « Nous avons lancé le cabinet début 2012 et dès la fin de cette année, la deuxième tournée était lancée », rapporte Jean-Baptiste Bompart, fondateur du cabinet. Face à la demande croissante de prise en charge, une troisième tournée a été créée en 2018. Toutes incluent des patients atteints de troubles psychiatriques.
Ce sont les mêmes infirmiers qui assurent les mêmes tournées, « afin d’assurer une continuité de suivi avec les patients », indique Laure Lafitte, idel au sein du cabinet. Les soignants pointent toutefois du doigt la dichotomie entre la prise en charge offerte aux patients et la cotation de leurs actes qui reposent principalement sur la distribution des médicaments.
« Notre prise en charge est en réalité plus complète, souligne Jean-Baptiste Bompart, précisant devoir effectuer des demandes préalables pour les prises en charge globales. Systématiquement, nous nous assurons du bon état de santé de la personne, de ses conditions de vie, de la stabilité de son état mental. » Ils assurent aussi le lien avec le CMP, le psychiatre ou le généraliste. Sans compter la gestion des thérapeutiques qu’ils vont chercher à la pharmacie, pour des questions de sécurité.
« Uniquement pour l’activité de psychiatrie, il faut trois patients par heure pour dégager un Smic horaire, alors nous élargissons notre temps de travail, fait savoir Laure Lafitte. La psychiatrie, cela plaît ou cela ne plaît pas ».
Face aux difficultés de prises en charge, « nous ne faisons pas de miracles, poursuit Jean-Baptiste Bompart. Nos outils, c’est notre expérience. Nous sommes un peu aidés par le maillage des CMP et des psychiatres, mais eux aussi sont en difficulté. » A ce jour, le cabinet est également amené à gérer de plus en plus de réhospitalisations avec des appels au centre 15, alors qu’elles l’étaient jusqu’à présent par le CMP.
« Le problème, c’est que chaque CMP dépend d’un secteur géographique et donc d’une unité hospitalière, rappelle l’infirmier. En passant par le CMP, le patient bénéficie d’une continuité dans son suivi, alors qu’avec le 15, il est hospitalisé dans une structure où des places sont disponibles. » L’infirmier incite les idels à ne pas s’engager dans cette prise en charge s’ils ne le souhaitent pas réellement, « sinon le patient va le ressentir, ce qui n’aiderait pas à son adhésion aux soins », conclut-il, conseillant de ne pas hésiter à déléguer et à transférer le suivi en cas de problème.
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