Après une chirurgie avec réalisation d’une stomie, le stomisé reste désarmé sur les questions relatives à sa vie intime et à sa sexualité. Cet article a été publié dans le n°43 d’ActuSoins Magazine (janvier 2022).
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Si le patient stomisé parle facilement de son intervention avec le chirurgien, il reste plus discret sur sa vie intime et sa sexualité. Les urologues sont certes très avertis, en revanche les chirurgiens viscéraux se désintéressent généralement de ce type d’affection. Le patient stomisé se confiera alors plus facilement à un stomathérapeute qui lui parait plus à l’écoute et plus disponible. Rappelons que depuis 2003, l’OMS spécifie que « la santé sexuelle fait partie intégrante de la santé, du bien-être et de la qualité de vie. »
Plusieurs types de stomies
Une stomie est l’abouchement d’un organe creux à la peau. Il en existe plusieurs : les stomies digestives avec la colostomie gauche et ses effluents moulés, l’iléostomie et la colostomie droite entraînant des effluents semi-liquides à liquides, puis les urostomies ou stomies de Bricker qui touchent l’arbre urinaire et produisent des urines en écoulement permanent.
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Peu importe la maladie causale (affections congénitales, accidents de la vie, maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, cancer…), la stomie reste la partie handicapante du traitement de la maladie.
Avec une stomie, le malade perd le contrôle de l’évacuation de ses effluents du fait du port obligatoire d’une poche de recueil. Il subit un traumatisme physique et psychologique et vit sa stomie comme une mutilation avec une impression de régression au stade de la petite enfance (incontinence, dépendance…). Il a besoin d’un travail de deuil pour accepter la stomie.
Il a aussi des peurs et des questionnements sur l’intégrité de son corps, la guérison, sa relation avec les autres, sa vie professionnelle, sociale et intime…
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En outre, tout malade veut en priorité s’adapter à sa nouvelle pathologie, à sa stomie, et le problème sexuel est relégué, du moins au début, au second plan. Il est pourtant important d’aborder la problématique de la sexualité, dès la consultation préopératoire avec le chirurgien et le stomathérapeute, car lorsque la perturbation des premiers temps sera atténuée, il trouvera ainsi des interlocuteurs professionnels pour prendre en compte, s’il le désire, ses éventuels problèmes sexuels.
Aborder le sujet en consultation
Lors des consultations (pré et postopératoires) il faut d’abord savoir écouter, instaurer un climat de confiance et respecter les réactions de défense face à la maladie et à la stomie. Suivre le rythme de chacun et respecter un temps d’adaptation. Répondre aux besoins d’information car il n’y a pas de questions « ridicules » ou « tabous ».
Il faut savoir modifier un certain nombre de représentations erronées qui sont sources d’angoisse. Il faut permettre au patient de parler de sa santé sexuelle : « Comment cela se passe dans votre couple/votre intimité ? » « La sexualité peut être modifiée, cela peut faire partie des effets secondaires des traitements que vous suivez, vous sentez vous concerné ? … » « J’ai assisté à une conférence sur la sexualité… Avez-vous des difficultés de cet ordre ? »
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Cela nécessite d’expliquer que la stomie n’est pas une maladie mais qu’elle peut conduire à des changements dans les habitudes sexuelles et amoureuses et que, si sur le plan organique tout est normal, ces modifications corporelles peuvent conduire à autant de satisfactions qu’avant la création de la stomie.
Un des objectifs est de l’aider à appréhender la peur du regard de l’autre dans la nudité… Pourquoi ne pas baisser la lumière ou enfiler un vêtement pour masquer la poche (nuisette, bandeau large utilisé pour la grossesse, porte jarretelles pour les femmes, veste de pyjama pour les hommes, couvres poches imprimées ou en dentelle) ?
Le stomisé craint aussi l’effet des bruits – gaz ou bruits liquidiens – et des odeurs… Il est possible de le rassurer en montrant que chaque poche est équipée d’un filtre en charbon chargé d’adsorber les odeurs et de lui conseiller de se parfumer. Le stomisé peut également changer de poche avant le rapport ou mettre une mini poche pour la discrétion.
Autre crainte : celle de fuites avec la peur que la poche ne se décolle pendant l’acte. La consultation est alors l’occasion de rassurer sur les qualités du matériel actuel et de donner des conseils sur le bon maintien des poches. Il faut donc éduquer le patient afin qu’il soit autonome avec la gestion de son matériel et de sa stomie.
Les membres de la famille ont un rôle important dans l’accompagnement du stomisé mais il faut respecter leurs propres difficultés face à la maladie et à la stomie. Ils ont le droit de ne pas vouloir s’impliquer dans les soins. Les proches – et en particulier le conjoint – doivent garder leur place et ne doivent pas jouer le rôle de l’infirmier.
Dans la mesure du possible, si le malade est d’accord, il est idéal de le voir en consultation avec son ou sa partenaire afin de faciliter la communication, lever les malentendus et mieux comprendre les réactions de l’autre. Il est aussi judicieux que le patient puisse, s’il le désire, partager son ressenti avec un autre stomisé ayant vécu les mêmes difficultés.
Petits et grands conseils
Dans tous les cas il faut éviter une activité sexuelle juste après un repas consistant et attendre deux ou trois heures ainsi qu’opter si possible pour des positions évitant la vue de la stomie pendant l’acte. Pour les colostomisés uniquement (dont les effluents sont moulés), il est recommandé de pratiquer une irrigation colique avant la rencontre et de remplacer la poche par un tampon obturateur (évitant ainsi une émission d’effluents inopportune et garantissant une discrétion auditive et olfactive).
Pour les iléostomisés (dont les effluents sont liquides), il sera conseillé de vider la poche au dernier moment et d’utiliser des produits gélifiants les selles afin d’éviter le « ballottement » des effluents et réduire le risque de fuites.
Si le patient est célibataire, il peut être confronté à des difficultés lors de l’annonce à un nouveau partenaire. Un de mes patients avait trouvé la parade en prétextant des douleurs du dos l’« obligeant » à porter pendant le rapport sexuel une ceinture de maintien lombaire lui évitant ainsi de parler et de montrer sa stomie !
En ce qui concerne la population homosexuelle masculine, il y a un changement profond dans les pratiques sexuelles pour le malade ayant subi une amputation abdomino périnéale du rectum (le périnée est fermé) et il n’y a donc aucune possibilité de pénétration sexuelle possible. Pour ne pas léser gravement la stomie, les rapports sexuels par la stomie sont proscrits. Il faudra alors privilégier les caresses et stimulations diverses…
Traitements et reconstruction chirurgicale
Le professionnel pourra, lors des différentes consultations, proposer une prise en charge avec un psychologue ou un sexologue. Les femmes pourront être dirigées vers un gynécologue et les hommes vers un urologue. Pour les femmes, le gynécologue réalisera un examen minutieux afin de rechercher une infection urinaire ou vaginale, un manque de lubrification ou sécheresse, une dyspareunie, ou éventuellement une sténose du vagin (conséquence de la chirurgie ou d’une irradiation). Un traitement médical pourra être débuté à base de gel lubrifiant ou hormonal. Un traitement par reconstruction chirurgicale pourra être proposé. Une rééducation kinésithérapique spécifique peut aussi être nécessaire.
Par ailleurs, les hommes sont parfois tellement informés du risque de dysérection qu’ils installent des troubles fonctionnels alors que les nerfs pudendaux ont été parfaitement respectés pendant la dissection chirurgicale. L’urologue, après auscultation et examens, proposera si besoin une aide médicale. Cela peut être un traitement pour un déficit androgénique, un traitement anti dépresseur ou un traitement médicamenteux contre l’impuissance améliorant ainsi la fonction érectile.
Autres solutions : l’application par instillation d’un gel urétral de prostaglandines (parfois irritant pour la muqueuse urétrale) ou d’injections intra caverneuse de prostaglandines.
Celles-ci permettent d’obtenir un gonflement voire une rigidité rapide, après cinq ou dix minutes, de la verge et une oxygénation satisfaisante de celle-ci. La durée d’action est d’environ une heure, même après éjaculation.
Les injections qui consistent à injecter directement le produit dans le corps caverneux, favorisant ainsi la relaxation du tissu érectile et la vasodilatation des vaisseaux, peuvent être débutées à partir d’un mois après l’intervention. Elles nécessitent un apprentissage et sont pratiquées par le malade lui-même, sans anesthésie locale.
Il peut aussi être envisagé une thérapeutique instrumentale à l’aide d’une pompe à pression manuelle ou électrique. Un anneau souple est placé à la base du pénis puis un cylindre rigide est posé autour de la verge.
En actionnant la manette, on crée une dépression qui va attirer le sang dans les corps caverneux et créer ainsi une érection (après environ 40 pompages). L’anneau doit rester en place trente minutes maximum pour éviter la nécrose des tissus et doit être retiré systématiquement après l’usage. Il n’y a aucune contre-indication car c’est un produit non médicamenteux. Par contre, il donne une sensation de verge froide à la partenaire.
L’urologue peut aussi proposer une solution chirurgicale comme les prothèses péniennes (permanente, fixe ou hydraulique). Cette méthode est irréversible car les corps caverneux sont remplacés par des cylindres. Elle nécessite une intervention chirurgicale. En ce qui concerne l’implant hydraulique l’aspect et les sensations provoquées par ce type de prothèse sont proches de la normale. L’érection retrouvée améliore considérablement les problèmes relationnels du couple. C’est un adjuvant considérable pour une thérapie psycho- sexuelle.
Un effet négatif sur la motivation sexuelle
Il existe très peu d’études sur les conséquences d’une stomie sur la sexualité à l’exception d’une enquête menée au Pays-Bas par M. Van der Wiel, psychologue, en 2006. Cette enquête qui comporte 1 800 réponses nous montre que l’implantation d’une stomie a un effet fortement négatif sur la motivation sexuelle : 50 % des stomisés font état d’une diminution voire d’une perte du désir sexuel. Il y a une modification de la satisfaction de 70 % pour les hommes et de 50 % pour les femmes.
« Les satisfaits » se comptent surtout parmi les femmes, les hommes étant plus fortement pénalisés. Nous n’avons malheureusement pas de données sur la variation de la motivation sexuelle en fonction du temps écoulé après la chirurgie. Il existe des modifications physiques de la satisfaction sexuelle consécutives à la chirurgie mais des modifications psychologiques ne sont pas à exclure. Ce sont les urostomisés qui éprouvent le plus de problèmes sexuels, suivis par les stomisés digestifs.
Conclusion
La reprise de la sexualité après la création d’une stomie ne doit pas être tabou. La prise en charge de la sexualité du stomisé doit être pluridisciplinaire et nécessite un personnel compétent dans ce domaine. En l’absence de lésions organiques, une fois surmonté la souffrance psychologique liée à la stomie, une vie sexuelle satisfaisante est possible. Si elle s’avère trop pénible, il faudra malheureusement essayer de vive sans et, même si les relations intimes ne peuvent plus être envisagées, une vie sentimentale est toujours possible. Elle suppose un concentement mutuel des deux partenaires qui sauront prendre le temps de la découverte ou de la redécouverte de l’autre.
Corinne Petot,
Infirmière Stomathérapeute à l’Institut Curie
Cet article est paru dans ActuSoins Magazine
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