Quand une étudiante infirmière subit une “violence ordinaire”

Quand une étudiante infirmière subit une “violence ordinaire”

Anne est infirmière libérale. Dans son blog “une infirmière à la maison”, elle revient sur son stage de fin d’études, sur ce harcèlement, cette violence quotidienne mais ordinaire que rencontrent de nombreux stagiaires.  Pour “libérer la parole”, explique-t-elle à ActuSoins. 

Quand une étudiante infirmière subit une violence ordinaireJ’ai vingt ans, tout juste, pas encore adulte, plus vraiment adolescente. Après le bac et deux années à l’université, j’ai passé le concours d’entrée à l’IFSI.

Le métier d’ infirmière, je ne sais pas vraiment pourquoi je l’ai choisi. Peut être parce qu’il est tourné vers les autres, qu’en trois années d’études, diplôme en poche, j’aurais un travail… Peut être aussi parce qu’une bonne partie de la famille a un pied dans le milieu, je ne serais pas dépaysée. Pourtant…

Concours d’entrée réussi, non loin de chez moi, je suis ravie !

Les cours commencent, les stages aussi, ça me plaît, je bosse, je goûte à la difficulté des horaires, me frotte à des équipes pas toujours très accueillantes mais globalement je fais de belles rencontres et même s’il est difficile pour moi d’avoir confiance, j’avance c’est le principal.

J’ai un frère, étudiant en médecine, il fini son externat. Avec lui je peux partager, les infirmières et aide soignantes qui nous rabaissent, nous refilent des tâches ingrates en souriant. Oui, il y en a, il faut faire avec, on n’est pas toujours aidé par ses pairs.

Et puis la maladie, la souffrance, la mort… A vingt ans on a que peu d’ expérience sur les sujets, heureusement mais, là, pas le choix, il faut s’y frotter et rester professionnel. C’est cela qu’on essaye de nous apprendre à l’école je crois, les cours de sciences humaines, l’étude des représentations… Oui j’avance, j’y met du sens, ça me semble essentiel.

“La confiance est piétinée, humiliée”

Et puis il y a ce stage, à la fin des études, ce stage où tout s’écroule, la confiance est piétinée, humiliée. Nous sommes plusieurs et n’avons même plus d’identité, nous sommes les élèves… “Elle est où l’élève?” ” laquelle?” “Tu sais la brune là”…

Tout va vite, rien est expliqué, il faut savoir, sinon on est nulle, trop lente, pas à la hauteur. On nous tape sur les doigts, comme en maternelle ? Non même en maternelle on ne m’a jamais tapé sur les doigts.

Au bout de trois années d’études, au mieux devant toute l’équipe, au pire devant les patients on entend des : ” mais tu es sûre de toi, parce que franchement je ne pense pas que tu sois faite pour ce métier “. La mise en avant de certaines pour mieux rabaisser les autres, les “blagues” de l’infirmier référent: ” pourquoi le respirateur sonne ? Vas-y, cherche, dis moi”… ” non mais te fatigue pas hein il était déjà mort”.

On va au travail à reculons, on essaye de trouver de l’aide à l’extérieur mais ce n’est pas évident, on nous dit de nous accrocher, que ça ne durera qu’un temps… Effectivement, quelques semaines pour finir à genoux, vide du sens qu’on avait réussi à créer, débordant d’angoisse même dans sa vie privée.

Dix années ont passé, j’ai relevé la tête, j’ai eu mon diplôme et retrouvé du sens mais je n’ai pas oublié et je n’oublierai jamais.

Par respect pour les étudiants que je peux croiser. Pour mieux les aider à se construire.

Mais aussi par respect pour mon grand frère qui lui n’a pas réussi à se relever de cette violence ordinaire, tolérée, qui s’opère au quotidien grâce au silence de l’institution et à ceux qui la représente. Lui et tous les autres carabins, étudiants infirmiers, aides soignants suicidés… Tous à peine sorti de l’adolescence et qui ne deviendront jamais adultes.

Parce qu’il ne faut pas garder le silence…

ActuSoins remercie Anne, infirmière libérale pour ce partage. D’autres articles – des tranches de vie, des réflexions,…- à lire (presque tous les jours) sur son blog.

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41 réactions

  1. Ce genre de comportement est le cancer du métier.

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  2. ça me fait super mal au coeur de lire de telles choses… je l’ai subi lors de mon premier stage en chir en première année… je n’ai pas laissé lettre morte, surtout quand j’ai vu que cette IDE malmenait une autre EIDE qui avait fini par s’isoler dans les vestiaires pour s’écrouler en pleur. Ni une ni deux je suis allée voir la cadre… l ne faut jamais garder cela pour soi et tout de suite en parler à la cadre ou mettre les points sur les I avec le personnel en question qui pose problème. Pis encore lui dire que toutes les deux on va voir la cadre s’il y a un souci à régler et si elle trouve son comportement normal ! Rien que ça c’est un bain glacé pour le personnel en question qui sait très bien que ce genre de comportement peut influencer sa note annuellle. Alors un conseil, n’hésitez pas, vous ne vous sentirez que plus fort ! Je sais que ce n’est pas évident à 20 ans mais je peux vous dire qu’entre ne rien faire et essayer cela, ça donne déjà un signal au personnel qui vous malmène : vous ne vous laisserez pas faire et ils ne sont rien de plus que des agents de l’hôpital. Il ne faut pas hésiter même à en parler à votre direction ou à menacer l’agent en question que vous n’hésiterez pas à vous en référer à la cadre voire au DRH !!!

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  3. Merci pour ton courage de ce témoignage poignant.
    j’ai malheureusement connu les mêmes déceptions,humiliations et j’en passe…Je sais que ce n’est pas facile de revivre ces moments en les écrivant,merci pour toutes celles/ceux qui ont pu douter de leur valeur en imaginant qu’elles étaient les seules…Valine

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  4. bonjour en ce moment je suis élève aide soignante en stage en psychiatrie. heureusement , c’est ma dernière semaine. J’ai 46 ans c’est dur : premier jour de stage personne pour vous encadrer, certaines vous remettent à votre place en vous faisant sentir que vous êtes nulle, pas de sécurité …Tout ce que vous dites est repris, on a pas le temps de répondre à vos questions même si vous dites que vous ne connaissez rien à la psychiatrie on vous reproche de ne pas garder votre place de stagiaire alors que vous essayez de vous rendre utile. Bilan de mi-stage, toutes se sont liguées contre moi: les compétences ne dépassent guère le 1. Alors que tous mes précédents stages se sont super bien passé : hôpital et clinique. Cela me remonte le morale de voir que je ne suis pas toute seule à vivre ça. Cela m’étonne que ces soignants ont oublié qu’ils ont été stagiaires un jour.
    Heureusement, que les patients sont sympatiques

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  5. Tous les soignants ne sont pas irréprochable c’est certain, mais des stagiaires qui pensent tout connaitre j’en ai rencontré aussi. Je ne vais pas défendre les infirmiers qui abusent de leur statut et je ne plaindrais pas non plus les élèves qui se foutent de leurs référents.
    Il y a du bon et du mauvais partout. N’accusons pas mais dénonçons tout cela.
    Aucune injustice.

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