« Dans le cadre de ma thèse, je me suis intéressée à l’évolution du rôle infirmier dans la prise en charge d’un carcinome hépatocellulaire (CHC), un cancer primitif du foie, explique Julie Devictor. Il est important, selon moi, de s’interroger sur ce rôle car dans 75 % des cas, ce cancer est évitable ou curable s’il est dépisté à temps. »
Pourtant en France, le pronostic de ce cancer est sombre. La médiane de survie est de 9.4 mois après le diagnostic. « De nombreuses actions sont à mettre en place en termes de préventions primaire et secondaire, avec des recommandations très claires en termes de surveillance, de dépistage, de suivi et d’agissement sur les comportements de santé », énumère Julie Devictor.
Et d’ajouter : « Ce qui est sous-jacent, c’est que les infirmières pourraient agir davantage en complément de l’activité médicale, en ville comme à l’hôpital. » Dans le cadre de sa thèse, l’IPA a étudié les pratiques de coordination infirmière, encore mal définies à ce jour. De plus, les infirmières de coordination ne sont pas majoritairement présentes aux côtés des patients soignés pour un carcinome hépatocellulaire, car ils sont principalement pris en charge en hépatologie. « Faute de moyens dédiés, seuls 1/3 de ces centres ont recours à ces infirmières de coordination, », fait savoir Julie Devictor.
Néanmoins, malgré ce panorama, l’IPA a recensé des centres aux activités comparables sur la prise en charge du CHC, afin d’étudier les délais de prise en charge des patients en fonction de la présence ou non d’une infirmière de coordination, qui sans surprise, est réduit dès lors qu’elles sont présentes.
L’implantation limitée de la pratique avancée
Face à ce constat, Julie Devictor a souhaité mener une étude pour explorer davantage l’avancée du rôle infirmier, « ce qui m’a forcément conduite à étudier la pratique avancée », rapporte-t-elle.
A la date à laquelle elle a mené son étude, à savoir en 2019/2020, seuls environ 320 IPA étaient formés, et aucun d’entre eux n’exerçait dans le cadre du suivi de patients atteints de CHC. « Comme je ne pouvais pas tester leur rôle dans le cadre du CHC, j’ai débuté une première étude sur l’implantation de la pratique avancée en France », précise-t-elle.
Elle a concerné les étudiants des deux premières promotions d’IPA – sur les 320 étudiants inscrits à l’un des 11 programmes de formation agréés, 165 ont participé à l’enquête – qu’elle a interrogés pendant leurs études en pratique avancée puis six mois après l’obtention de leur diplôme. Elle a souhaité savoir s’ils exerçaient en tant qu’IPA, s’ils rencontraient des freins à l’exercice, s’ils étaient satisfaits de leur condition d’exercice, de leur mission, etc. « J’ai aussi voulu comparer le modèle français au modèle international de référence, fait-elle savoir. Bien que le modèle français de pratique infirmière avancée réponde aux principaux critères et compétences de base du modèle théorique de Dr Ann Hamric, il ne fait pas de distinction entre les rôles d’infirmière praticienne et d’infirmière clinicienne spécialisée. »
De fait, sur les douze axes définissant le rôle de l’infirmier praticien, seulement quatre correspondent au modèle français, tandis que les autres missions sont peu ou pas remplies. En revanche, les IPA français remplissent tous les missions de l’infirmier clinicien spécialisé (lire notre article sur la distinction entre ces deux fonctions). Par ailleurs, en février 2021, 30 % des répondants à l’étude travaillaient toujours comme infirmiers de soins généraux et non comme IPA.
Les freins à la pratique
« Au moment de l’étude, j’avais observé plusieurs freins à la pratique avancée en France, notamment le manque de création de postes en milieu hospitalier, le processus d’orientation des patients dépendant d’un médecin et les retards dans l’approbation des justificatifs d’ordonnance », détaille Julie Devictor.
De même que dans le secteur public, la reconnaissance du statut et les augmentations de salaires des diplômés 2019 et 2020 étaient attendues en décembre 2021, « mais le financement des postes d’IPA a été retardé en raison de problèmes d’allocation des ressources », précise-t-elle.
Les pénuries de personnel ont limité la possibilité de les remplacer dans leurs emplois précédents. L’exercice en libéral a été quant à lui essuyé des obstacles d’un autre ordre : un modèle économique au forfait qui n’offrait pas une viabilité économique aux IPA en soins primaires, le pouvoir limité de prescription, l’incapacité d’établir un diagnostic et l’obligation de signer un contrat avec plusieurs médecins généralistes. De même que les activités non cliniques, telles que la coordination des soins, la gestion de cas, la formation ou la recherche, n’étant pas rémunérées, cela a limité la participation des IPA dans ces domaines.
Les perspectives
Entre le moment où l’étude a été menée et sa publication, des changements législatifs ont été opérés concernant l’implantation du modèle des IPA en France. Depuis lors, la mention « urgence » a été créée pour les IPA en septembre 2021, « ce qui correspond à des missions d’infirmier praticien puisque l’IPA prend en charge, non pas une pathologie, mais le tout-venant, en accès direct et en première ligne avec la mise en place de thérapeutiques », rappelle Julie Devictor.
En revanche, l’exercice de cette mention bloque dans sa mise en œuvre pleine et entière en raison du cadre législatif, obligeant à l’élaboration d’un protocole de coopération permettant l’accès direct des patients. Actuellement, la mise en place de l’accès direct est en cours de discussion dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023.
Le modèle économique a également été revu dans le cadre de l’avenant 9 à la convention nationale des infirmiers, pour les IPA en soins primaires exerçant en libéral, avec une révision du montant des forfaits. « Comme dans d’autres pays, la France a introduit la pratique infirmière avancée pour répondre au défi de santé publique d’améliorer l’accès à des soins de santé de qualité dans un contexte d’augmentation de la prévalence des maladies chroniques et d’allocation limitée des ressources, souligne Julie Devictor. Faciliter son intégration dans le paysage de l’offre de soins apparaît donc primordial. »
Laure Martin
Pour lire l’intégralité de l’étude : https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/nop2.1394
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