Peut-on espérer faire revenir les infirmiers qui ont quitté le métier ?

Peut-on espérer faire revenir les infirmiers qui ont quitté le métier ?

Face à la pénurie infirmière, il est nécessaire de faire appel à toutes les compétences. Certaines voix se sont donc élevées pour tenter de convaincre les soignants qui ont abandonné la profession de revenir. Reste à savoir ce qu’en pensent les intéressés…
© sfam_photo / ShutterStock

« Si 60 000 postes infirmiers sont vacants, nous savons que 180 000 infirmières ayant cessé d’exercer ont encore l’âge de le faire. Il faut donc se demander comment faire revenir au moins un tiers d’entre elles ». Voilà l’arithmétique que proposait en décembre dernier Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI-CFE-CGC), devant la commission d’enquête sénatoriale sur la situation à l’hôpital.

Le problème, c’est que ce calcul, pour séduisant qu’il soit, est sujet à une double caution.

Tout d’abord, le chiffre de 180 000 est très difficilement vérifiable. Les démissions d’infirmiers ont été très commentées depuis quelques mois, mais nul n’a vraiment une idée précise du réservoir de compétences disponible hors des établissements.

Et surtout, on peut se demander ce qui pourrait bien pousser à faire demi-tour des professionnels qui ont investi du temps et parfois de l’argent dans une reconversion.

Même pas pour un million

« Même si on me donnait un million d’euros, je n’irais pas », affirme ainsi Anne-Sophie Minkiewicz, infirmière diplômée en 2006 et qui a démissionné au bout de quelques années pour se reconvertir dans les ressources humaines.

« J’avais mesuré l’écart entre les raisons pour lesquelles j’avais choisi ce métier et les moyens qu’on vous donne pour l’exercer », explique-t-elle. Après une dizaine d’années passées à travailler dans un cabinet de conseil américain, elle est maintenant à la tête d’Infirmière Reconversion, une agence qui, comme son nom l’indique, épaule les infirmiers qui souhaitent se reconvertir.

Depuis la création de son entreprise l’année dernière, Anne-Sophie a accompagné près de 200 infirmiers dans leur parcours, et a donc un bon aperçu de ce qui motive les soignants qui souhaitent s’envoler vers de nouveaux horizons. « Un tiers d’entre eux reste infirmier, mais de manière différente, en transformant leur métier : c’est ce qu’on appelle le “job crafting”, détaille-t-elle. Un autre tiers reste dans le “care”, mais dans un autre métier paramédical ou dans le domaine du bien-être, par exemple. Et enfin, un tiers fait totalement autre chose. »

Maturation du départ

Et quand on lui demande si elle pense qu’on pourrait convaincre ces derniers de revenir à leur premier métier, sa réponse est sans appel. « Quand on part, c’est au bout d’une longue maturation, explique l’entrepreneuse. Il se passe en moyenne deux ans entre le moment où l’on se dit que l’on veut bouger et le moment où l’on s’en va. »

En d’autres termes : il ne faut pas croire que l’on quitte le métier sur un coup de tête. C’est au contraire en général une décision mûrement réfléchie, qui n’est pas vraiment susceptible de faire l’objet d’un quelconque retour en arrière.

Une analyse que confirme Matthieu Girier, directeur du pôle « ressources humaines » au CHU de Bordeaux et président de l’Association pour le développement des ressources humaines des établissements sanitaires et sociaux (Adrhess). « On ne quitte que rarement un métier choisi avec passion, comme tous les métiers de soignants, sans raison, estime-t-il. Ce changement de métier est souvent lié à un deuil de la profession que l’on quitte. Difficile dans ce contexte de considérer qu’aller chercher des professionnels qui ont quitté le métier soit une stratégie payante. »

Patricia Traversaz, DRH de l’hôpital de Fourvière, centre gérontologique privé à but non-lucratif situé à Lyon, confirme. « C’est un métier parfois difficile, au contact de la maladie et de la mort, et qu’on ne peut pas faire en se disant “ça ne me plaît pas, mais je continue quand même“, estime-t-elle. Quand on n’a plus envie, on n’a plus envie, et je pense que ce n’est pas à nous, en tant que DRH, de ramener les personnes au soin. »

Des avantages à relativiser

La Lyonnaise tend d’ailleurs à relativiser l’importance des avantages que l’on pourrait retirer d’une stratégie consistant à aller chercher les ex-infirmiers là où ils se trouvent. « À l’hôpital de Fourvière, les départs que nous avons eus ne concernaient pas des gens qui quittaient le métier, mais des gens qui voulaient changer de région, par exemple pour aller à la campagne, ou des gens qui cherchent des horaires plus compatibles avec ceux du reste de la société », raconte la DRH.

Matthieu Girier, quant à lui, estime que plutôt que de chercher à faire revenir les infirmiers qui n’exercent plus, il semble plus fructueux d’échanger avec les ex-hospitaliers qui ont choisi de changer de mode d’exercice pour aller travailler en libéral, en clinique ou en centre de vaccination.

Mais, souligne-t-il, encore faut-il avoir quelque chose de nouveau à leur offrir : l’enjeu est de montrer à ces infirmiers en quoi les conditions qui prévalaient lorsqu’ils ont décidé de s’envoler vers d’autres horizons sont désormais différentes.

Améliorer et communiquer

« Pour réussir, encore faut-il améliorer réellement le fonctionnement des hôpitaux », estime ainsi le DRH bordelais, qui cite notamment, « parmi les principaux leviers dont disposent les directions hospitalières », des transformations à mener « sur les horaires, les plannings, sur l’environnement de travail et les conditions de travail ».

Il préconise également de montrer davantage les efforts effectués par les établissements. « Tous les moyens de communication sont bons pour faire valoir les transformations que connaît l’hôpital : campagnes de publicité, événements portes ouvertes, développement de stages d’immersion, renforcement des échanges avec les professionnels libéraux », énumère-t-il.

Mais à en croire Anne-Sophie Minkiewicz, le chemin à parcourir est encore long pour rendre l’hôpital à nouveau attractif aux yeux de ceux qui l’ont quitté. « Certes, il y a eu une amélioration de la rémunération avec le Ségur, note-t-elle. Mais il est illusoire de penser que le principal problème est celui de la rétribution : il y a un problème de perte de sens, et dans les conditions actuelles, il n’est pas résolu. »

Adrien Renaud

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4 réactions

  1. Bonjour, s’il vous plaît arrêtez d’avoir une vision centrée 100% IDE.

    Un hôpital, c’est 200 métiers qui gravitent autour de la santé. Merci pour les autres, je pense aux AS/ASH/Ambulanciers, brancardiers/préparateurs en pharmacie etc

    Au passage, faut revoir l’organisation de la formation des IDE dans ce pays. Une Aide-soignante est recrutée sur concours/examen et une IDE sur un logiciel Parcoursup. Ca va tout va bien ?

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  2. T es sur un site d infirmiers tu crois qu on va parler de garagistes ? Et ils constituent la majeure partie du personnel. Le double des aide soignant. Et non on rentre pas que sur parcoursup… Le concours existe pour les autres ( reconversion , militaire ) renseigne toi avant d ouvrir ta bouche

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  3. J ai été infirmière pendant plus de 22 ans. Franchement, notre métier est devenu une usine à soins et ne correspond plus aux valeurs avec lesquelles on vient au départ. De plus on est trop souvent mal managé pas par nos cadres de proximité mais par nos Directions des soins et direction globale sans même parler d un gouvernement totalement hors circuit. Il faut voir les conditions et l usinage qu on nous demande. S en est lamentable. Perso je suis en pleine reconversion et vu les dérives que j ai vu en 20 ans , j y reviendrai pour rien au monde.

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