IDEL infirmière libérale : 11 départements expérimentent le “Bilan de soins infirmiers”

Les infirmiers libéraux face à la dérèglementation

Accès partiel à la profession, plateformes de coordination et ubérisation du monde de la santé : les professionnels de santé en général et les infirmiers libéraux en particulier, sont confrontés à une transformation du système de santé qui pourrait avoir des conséquences sur l’exercice de leur métier.

Les infirmiers libéraux face à la dérèglementation

Une ordonnance publiée au Journal officiel le 20 janvier 2017, donne la possibilité aux professionnels de santé partiellement qualifiés, issus d’un autre Etat membre de l’Union européenne d’exercer leur titre en France. Il s’agit de la transposition, dans le droit français, d’une directive européenne reconnaissant les qualifications professionnelles. En octobre 2016, l’Ordre national des infirmiers dénonçait par voie de communiqué cet accès partiel à la profession d’infirmier. De même que l’Assemblée nationale, le Sénat ainsi que le Haut conseil des professions paramédicales avaient formulé un avis négatif sur cette transposition. Le ministère est passé outre.

Nivellement vers le bas

Avec cette ordonnance, « une infirmière qui exerce son métier dans son pays avec les exigences et les compétences propres à son pays, va pouvoir exercer en France, même si elle n’est pas titulaire d’une formation équivalente et qu’elle ne dispose pas de l’ensemble des compétences exigées aux infirmières libérales françaises pour pratiquer leur métier », a expliqué Abdel Iazza, infirmier libéral à Paris, lors du congrès Preuves et pratiques infirmiers du 9 juin.

Et d’ajouter : « Lors de l’arrivée du professionnel en France, il appartiendra à l’Oni de lui délivrer un Diplôme d’Etat partiel, en lien avec la compétence qu’il sait exercer dans son pays, par exemple, uniquement les pansements ou uniquement les perfusions. »

Mais sur le terrain, qui va contrôler que cette infirmière limite son exercice à son champ de compétence ? Pour les patients, l’offre de soins risque de devenir « opaque et incompréhensible » car ils n’auront aucun moyen de distinguer les professionnels et de connaître leurs compétences.

« Le patient ne verra qu’une blouse blanche, dénonce Abdel Iazza. Le risque est d’aboutir à une forme d’exercice illégal car pour exercer en France, les professionnels étrangers ne devront pas répondre aux mêmes exigences que les infirmières libérales françaises. Sans parler du fait que la transposition de cette directive entraîne un nivellement vers le bas des soins infirmiers, et nous conduit vers des soins “low cost” effectués par des professionnels sous qualifiés et sous formés. »

Ubérisation des soins

Le risque est d’autant plus grand avec l’ubérisation de la santé et la possibilité pour les plateformes de mise en relation de « récupérer » ces professionnels pour en faire la promotion sur leur site moyennant paiement.

Les médecins ont été les premiers à être « touchés » par cette ubérisation de la santé, avec la plateforme de prise de rendez-vous en ligne Doctolib qui implique pour eux d’y être référencés s’ils veulent apparaître en tête de liste des résultats de recherches sur Internet. Mais les infirmiers ne sont pas en reste.

« De nombreuses plateformes de mise en relation des infirmiers libéraux avec les patients ont fait leur apparition », s’inquiète Abdel Iazza. Et de poursuivre : « Quels sont les risques pour notre profession ? La captation de patientèle… Les patients ne peuvent plus accéder directement à nous. C’est une distorsion de concurrence car si nous ne sommes pas référencés sur les plateformes, les patients ne feront pas appel à nous et nous n’aurons plus de soins à dispenser. Nous n’avons donc pas d’autre choix que d’y être abonné et de payer. C’est une forme de création de filières captives. »

D’autant que ce système semble être sans limite. « On se retrouve dans l’obligation de prendre un abonnement auprès de chacune des applications existantes qui ne vont pas hésiter à contractualiser avec les établissements, comme on l’a vu avec l’AP-HP. » Autre risque : la notation des professionnels de santé, donc leur classement par popularité. Et Abdel Iazza de mettre en garde : « Nous devons nous réveiller, nous saisir de ce problème et mener une réflexion sur les plateformes qui devraient être mises en place par nos représentants URPS ou par des associations dont le fonctionnement doit être transparent. » Agir pour ne pas subir et respecter le libre choix du patient.

Laure Martin