Relations avec les patients : quand les plateformes s’en mêlent

L’utilisation des technologies de l’information et de la communication dans le domaine de la santé a une incidence sur la pratique des infirmières libérales. Les applications mobiles, les sites Internet mais également les plateformes de mise en relation doivent respecter des règles précises. Tour d’horizon avec deux fondateurs de plateformes. Article paru dans le numéro 28 d'ActuSoins Magazine (mars 2018). 

Florence Herry, infirmière de formation fondatrice de la plateforme Libheros

Florence Herry, fondatrice de la plateforme Libheros. © DR

Infirmière de formation, Florence Herry a développé la plateforme Libheros pour la mise en relation de patients avec des infirmières libérales (idels), laquelle a obtenu le coup de cœur du jury dans le cadre des « Trophées de la santé mobile 2018 ».

« J’ai exercé à l’hôpital et en Service de soins infirmiers à domicile (Ssiad), raconte-t-elle. Je me suis rendu compte, notamment à l’hôpital, que des patients qui venaient de loin pour avoir accès à des services de pointe, avaient des difficultés, lors de leur retour à domicile, à trouver des infirmières libérales ou d’autres paramédicaux, pour la suite de leurs soins. » Et d’ajouter : « parfois, ils les trouvent par le bouche-à-oreille ou via  leur médecin ou leur pharmacien qui ont des listes de soignants. Mais celles-ci ne sont pas toujours à jour, ou alors ils ne connaissent pas la zone de tournée voire même les compétences des soignants. »

Elle pense alors à adapter les plateformes développées pour les médecins comme Doctolib ou Mondocteur, aux paramédicaux. Mathieu Lardier, co-fondateur de Medicalib a dressé le même constat. « Je suis le fils d’une infirmière libérale qui exerce à Nice et en discutant avec elle, j’ai remarqué qu’il y avait un service à développer au niveau des soins infirmiers », indique-t-il.

Son constat se fait également au moment de l’essor des plateformes pour les médecins. « J’en ai parlé aux collègues de ma mère, et j’ai décelé une vraie envie de se digitaliser de la part de la profession, complète-t-il. D’autant plus que sur Internet, il n’existait à l’époque, pour les infirmières libérales, que des annuaires renseignant les numéros de téléphone. Mais rien n’était fait en termes de géolocalisation. Pourtant, cela permet de s’assurer que l’infirmière dispense bien des soins dans le périmètre du domicile du patient. »

Un service de géolicalisation

Medicalib mise sur la géolocalisation. Objectif : trouver une infirmière libérale dans l'heure

Medicalib mise sur la géolocalisation. Objectif : trouver une infirmière libérale dans l'heure. © DR

Pour être référencés sur Medicalib, en activité depuis mars 2016 et aujourd’hui présent dans une quinzaine de villes en France, les infirmières libérales doivent s’inscrire et payer vingt euros par mois. « Le professionnel peut alors renseigner son lieu d’exercice sur une carte, souligne Mathieu Lardier. Nous travaillons à une géolocalisation de plus en plus précise dans un rayon de 1 à 1,5 kilomètre du point central de la tournée. »

De leur côté, les patients ne payent rien. Ils passent par la plateforme, rentrent leur adresse et le type de soins dont ils ont besoin. Un algorithme sélectionne des infirmiers inscrits sur la plateforme, et le premier qui répond reçoit les coordonnées du patient pour entrer en contact avec lui et organiser les soins. « Notre objectif est d’aider le patient à trouver un infirmier disponible en moins d’une heure », précise Mathieu Lardier. Les infirmières peuvent aussi être inscrites sur la plateforme gratuitement. Elles ne bénéficient alors pas du service d’envoi par SMS. Elles sont simplement référencées dans un annuaire.

Au total, plus de 1000 infirmières sont inscrites sur Medicalib, qui dispose d’un hébergeur de données agréé. De son côté, la plateforme s’assure que les professionnels sont bien inscrits à l’Ordre national des infirmiers (Oni) et à l’Assurance maladie. « Nous travaillons également à la mise en place d’une charte éthique », indique Mathieu Lardier, précisant que l’Oni n’a pas fait de contre-indication sur l’activité de Medicalib qui assure respecter le libre choix du patient. Medicalib traite également quelques appels téléphoniques, notamment ceux des patients âgés.

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Un service de prise de rendez-vous ciblé

Libheros Pro pour le partage de l'agenda entre collègues et la prise de rendez-vous en ligne

Libheros Pro pour le partage de l'agenda entre collègues et la prise de rendez-vous en ligne. © DR

De son côté, Libheros, développé début 2016, est fonctionnel sur toute la France. La plateforme propose aux infirmières libérales deux offres gratuites. « L’ensemble des infirmiers libéraux français, référencés sur l’annuaire Ameli.fr sont présents sur notre site, explique Florence Herry. Avec la loi informatique et libertés qui permet l’open dataet dans la mesure ou notre hébergeur de données est agréé, la Cnam a mis à notre disposition son annuaire. »

Pour tous les infirmières libérales inscrites sur Ameli.fr, la plateforme Libheros fonctionne donc comme un annuaire. Et pour celles ayant également indiqué leur numéro de téléphone portable, « les patients peuvent envoyer une demande de soins viala plateforme, indique-t-elle. Le professionnel reçoit alors un SMS pré-rempli, dont l’envoi est géré par la plateforme, avec les coordonnées du patient qui souhaite entrer en contact avec lui. Mais dans ce cas, le patient n’est pas assuré que l’infirmière libérale pourra lui dispenser ses soins. »Il s’agit d’une simple mise en contact.

Les infirmières libérales qui accèdent au service payant – huit euros par mois –  bénéficient bien entendu d’un service supplémentaire : un module de prise de rendez-vous en ligne. Elles peuvent, sur la plateforme, renseigner leur zone de tournée, les types de soins et la plage horaire de disponibilité, toutes ces informations n’étant cependant pas visibles pour les patients. « L’objectif est de pouvoir cibler, pour le patient, le professionnel qui correspond à 100 % à ses besoins et lui garantir un rendez-vous, précise la fondatrice. En aucun cas nous faisons de demande à la place du patient. »C’est lui qui fait son choix mais la demande transite par la plateforme.

« Nous respectons la déontologie de la profession et la charte Internet », rassure-t-elle, ajoutant que l’Oni a fait savoir que Libheros n’était pas dans l’illégalité en proposant ce type de service. Comme Medicalib, Libheros accompagne les patients dans leur recherche lorsqu’ils sont en difficulté. Dans ces cas-là, « nous nous assurons qu’ils n’ont pas de professionnels de santé dédiés en amont »,précise Florence Herry.

Actuellement, 500 cabinets sont inscrits au service payant, et 55000 infirmières libérales ont mentionné leur téléphone portable. « Les patients nous demandent d’ouvrir la plateforme aux autres paramédicaux, ainsi qu’aux sages-femmes, rapporte-t-elle. Nous avons déjà quelques masseurs-kinésithérapeutes. Ce sera une évolution de notre entreprise pour 2018-2019. »

Laure Martin

Actusoins magazine pour infirmier infirmière hospitalière et libéraleCes articles sont parus dans le numéro 28 d'ActuSoins Magazine

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Ce que pense l’Ordre national des infirmiers des plateformes

« Les plateformes de mise en relation soignants/patients ne portent pas atteinte, en tant que telles, aux règles déontologiques relatives à la profession », rappelle l’Ordre infirmier. Néanmoins, certaines garanties doivent être respectées afin d’éviter de s’exposer à des sanctions disciplinaires et/ou judiciaires. « Une Infirmière libérale peut être référencée sur une plateforme mais la limite est le côté commercial, rapporte Catherine Jochmans, secrétaire générale de l’Ordre des infirmiers. Elle ne devrait pas avoir à payer, si elle paie, cela peut être considéré comme une forme de publicité. »

La plateforme doit par ailleurs garantir :

- le respect du libre choix du professionnel de santé par le patient,

- le respect de la confidentialité attachée aux données de santé : l’infirmière ne peut partager les informations couvertes par le secret professionnel avec les gestionnaires des plateformes des données qui ne font pas partie de l’équipe de soins. Si les données de santé doivent transiter par une plateforme, celle-ci doit être agréé en qualité d’hébergeur de données de santé.

- l’interdiction du partage des honoraires : l’infirmier ne peut partager les honoraires perçus auprès des patients ou des caisses de sécurité sociale avec les gestionnaires de ces plateformes car tous procédés de concurrence déloyale, notamment tout compérage, commission, partage d’honoraires et détournement de clientèle sont interdits à l’infirmier. C’est aussi une infraction pénale.

Les plateformes interdites

Sont interdites les plateformes qui :

- autorisent le recours à des pseudonymes ou des logos,

- proposent l’association de la profession d’infirmiers à des mentions ne relevant pas de l’exercice de la profession, créant ainsi une confusion dans l’esprit des internautes,

- mettent en place un dispositif permettant de noter les infirmiers selon un classement préférentiel, ou autorisent les commentaires en ligne concernant les professionnels recensés,

- permettent d’envisager un classement en fonction de la souscription d’offres complémentaires (référencement préférentiel).

Ces dispositifs exposent les infirmiers concernés à des sanctions disciplinaires car ils constituent des atteintes à l’interdiction de publicité et à des recours qui pourraient être exercés par des confrères sur le fondement de la concurrence déloyale.

Les consultations infirmières en ligne

Point de vigilance pour les infirmières libérales : certaines plateformes proposent une consultation ou un diagnostic infirmier de manière entièrement dématérialisée pour répondre à une demande individuelle d’un patient. Cela peut se faire avec la prise et l’envoi de la photographie d’une plaie permettant prétendument un diagnostic infirmier instantané. Ces procédés sont interdits car ils n’entrent pas dans le cadre de la définition stricte des actes de télémédecine. Ces plateformes n’apportent aucune garantie aux patients quant à la qualité d’infirmier de son interlocuteur ou au respect du secret professionnel. « En revanche, si la photo est prise du téléphone du patient qui envoie la photo au téléphone de son infirmier, il n’y a pas de non-respect des clauses de non confidentialité », précise Catherine Jochmans.

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