Derrière les portes des Invalides, dans les ailes qui jouxtent le Dôme où se trouve le tombeau de Napoléon Ier, un établissement de soins poursuit la même mission depuis 350 ans.
Ce centre de rééducation et réhabilitation post-traumatique prend en charge les grands blessés militaires ou civils. Il est complété par un service de pensionnaires où sont soignés et accompagnés les plus anciens et par un centre de recherche.
Au sein de cette structure singulière, en dehors de quelques uniformes, rien ne laisse préfigurer une institution militaire. Fondé par Louis XIV, l’Hôtel Royal des Invalides avait pour objectif d’accueillir les blessés de guerre. « C’était une forme de reconnaissance pour ces militaires, prêts à donner leur sang pour la patrie, explique Pascale Kowalewicz, coordonnatrice générale des soins. Ils pouvaient ainsi finir leurs jours en étant logés, nourris et blanchis. »
Depuis cette époque, la mission perdure : 160 lits et places sont dédiés au parcours du blessé, de la rééducation à la réinsertion, en passant par la réhabilitation.
« Au sein de l’Institution, les soignants peuvent exercer leur métier en prenant le temps de communiquer avec les patients, souligne Pascale Kowalewicz, qui a débuté au sein de la structure comme infirmière il y a 40 ans. Nous offrons beaucoup d’humanité dans le soin. » Et d’ajouter : « Le monde de la rééducation est un univers très motivant car les gens sont abîmés sur le plan physique et psychique et nous devons les rendre autonomes pour qu’ils se réinsèrent dans la vie. »
Une spécificité dans la prise en charge des escarres
La prise en charge proposée au sein de l’Institution s’organise autour du centre de réhabilitation post-traumatique avec, en son sein, un Service de soins de suite post-opératoire (SSPO) de dix lits. Allongé sur le sien, Paul, 80 ans, est un ancien soldat, blessé de la guerre d’Algérie. Paraplégique, il vit dans le centre des pensionnaires. Mais depuis une semaine, il est hospitalisé au service SSPO pour des escarres.
La chirurgie d’escarre se réalise à l’hôpital Raymond-Poincaré (Garches) pour les civils et aux hôpitaux d’instructions des armées de Percy (Clamart) et Begin (Saint-Mandé) pour les militaires. « Les patients reviennent ensuite à J+1 ou +2 et restent hospitalisés jusqu’à la cicatrisation des lambeaux afin qu’ils puissent de nouveau être mis au fauteuil », indique Pascale Kowalewicz. Ce suivi post-opératoire est long et nécessite un accompagnement spécifique.
Le Dr Anne Bouix, chirurgien, assure aujourd’hui la visite médicale hebdomadaire dans le service. Elle a conseillé à Paul de se faire opérer, mais il a refusé. Ses escarres sont profondes. « Je vais exciser la nécrose pour permettre une meilleure cicatrisation », rapporte le médecin, pendant qu’Agnès, infirmière depuis 1982 au sein de l’Institution, assure un point de compression pour éviter les saignements.
« Nous apprenons la prise en charge les escarres sur le terrain, c’est un travail de longue haleine, confie l’infirmière, titulaire d’un Diplôme universitaire Plaies et cicatrisations. Ce DU m’a donné l’opportunité d’effectuer des stages de terrain, d’observer les soins spécifiques dispensés aux grands brûlés par exemple. »
Au service SSPO, les infirmières interviennent avant la chirurgie pour le nettoyage des plaies et la cicatrisation dirigée, puis pour les pansements d’escarres ou de lambeaux. Comme les patients sont majoritairement handicapés, elles assurent également leur prise en charge globale : sonde urinaire, sonde gastrique, changement de poche pour les colostomies transitoires.
Une rééducation constante
A quelques mètres, dans une autre aile, le service de Médecine physique et réadaptation (MPR) de 44 lits prend en charge les personnes atteintes de grand handicap comme les blessés militaires, les victimes d’accidents de la voie publique, d’AVC, de chutes, parfois devenues paraplégiques, hémiplégiques, tétraplégiques, etc.
« Nous recevons beaucoup plus de civils que de militaires, explique Pascale Kowalewicz. Nous sommes en lien avec les hôpitaux parisiens qui peuvent, via le logiciel Trajectoire, indiquer le type de prises en charge requises pour leur patient et si nous avons des lits disponibles, nous les accueillons. »
Aujourd’hui, Camille et Karine, infirmières dans le service de MPR, prennent en charge Henri, un patient paraplégique. « Notre travail consiste, au-delà des soins quotidiens, à l’éduquer pour l’autonomiser dans sa toilette, raconte Karine, infirmière depuis 23 ans à l’Institution des Invalides. Pour d’autres patients, nous allons leur apprendre à s’auto-sonder. »
Une prise en charge en interprofessionnalité
Au sein de tous les services, l’ensemble des professionnels travaillent en collaboration. Si les infirmières constatent qu’un patient est dénutri, elles peuvent faire appel au diététicien, « qui peut aussi décider d’enrichir son alimentation pour favoriser la cicatrisation d’une escarre », précise le Dr Bouix.
Les infirmiers travaillent également avec les orthophonistes en cas de trouble de la déglutition constaté chez un patient. « Ils vont assister au premier repas pour nous dire comment l’adapter », souligne Camille.
Les soignants des services SSPO et MPR sont en lien constant avec les autres professionnels paramédicaux, notamment les kinésithérapeutes et les ergothérapeutes. « Nous pouvons les appeler lorsque nous avons besoin de travailler sur la mise au fauteuil d’un patient, indique Karine. Nous allons alors réfléchir et agir ensemble pour sa mobilisation, ses postures au fauteuil afin d’éviter les escarres. »
Lorsqu’ils peuvent débuter leur rééducation, tous les patients sont vus deux fois par jour par les ergothérapeutes et les kinésithérapeutes sur leurs plateaux techniques respectifs. Installé à une chaise, Julien, hospitalisé en MPR, travaille avec Anne-Laure, ergothérapeute, à la mobilisation de ses épaules.
Ce pompier s’est blessé dans le cadre de son travail : biceps et ligaments de son épaule droite ont été arrachés. En un an, il a subi 14 opérations avec anesthésie générale, pour ses deux épaules – la gauche ayant été affaiblie par compensation – ainsi que pour son pouce et sa jambe.
Anne-Laure l’aide à retrouver une autonomie dans les actes de sa vie quotidienne. « De manière générale, nous mettons les patients en situation, et nous allons par exemple faire des courses avec eux pour réapprendre les gestes », indique-t-elle.
« Notre travail en interprofessionnalité s’effectue principalement de manière informelle, lors des staffs ou encore par échanges informatiques », complète Élisabeth, kinésithérapeute, pendant que sur la table de soins adjacente, Charly, hospitalisé depuis huit mois en MPR travaille l’amplitude de ses jambes.
En quatre jours, ce patient a perdu la marche. La trentaine d’IRM effectuée n’a pas permis de déterminer la cause de son handicap. Aujourd’hui c’est Viet, kinésithérapeute, qui entretient son amplitude articulaire pour éviter les raideurs. « La bonne nouvelle, c’est que je commence à ressentir un peu mes jambes », témoigne le patient.
Vers une réinsertion globale
« Toujours dans le but de parfaire leur autonomie, l’Institution propose aux patients de l’éducation thérapeutique », fait savoir Pascale Kowalewicz, à l’origine du programme aujourd’hui géré par une infirmière coordinatrice.
« Au cours des séances, nous travaillons avec le patient afin qu’il connaisse mieux sa pathologie et ses ressources, indique Hélène, ergothérapeute. Nous les éduquons sur les choix de réglages et les options de leur fauteuil pour éviter tout risque d’escarre. »
Ils travaillent également sur l’assise, le choix des coussins, et même, en amont, sur celui du fauteuil.
Pour les patients qui ne pourront plus exercer leur métier en raison de leur handicap, l’Institution les aide aussi dans leur réorientation.
« Nous sommes en lien avec le réseau Comète et d’autres associations afin de leur proposer des formations et les lancer dans un nouveau projet », rapporte Pascale Kowalewicz.
Ils peuvent aussi prendre des cours pour passer leur permis de conduire malgré leur handicap. « A tous les niveaux de la prise en charge nous insistons sur le soin relationnel, conclut la coordinatrice des soins. C’est primordial dans la qualité des soins que nous proposons, les résultats que nous obtenons et la guérison des patients. »
Laure Martin
Cet article a été publié dans le n°38 d’ActuSoins Magazine (Septembre – Octobre – novembre 2020)
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Je vous remercie pour votre article sur l’INI, mais je vous interpelle pour vous faire remarquer que nous sommes les seuls fonctionnaires en catégorie active (quelque soit les 3 fonctions publiques) a ne pas bénéficier de la majoration de durée d’assurance (bonification dite du 10 ieme ) qui nous permettrait de ne pas subir de décote lors de notre retraite, sachant que la duré de vie d’une infirmière est plus courte, et cela, à cause des conditions de travail des hôpitaux.
Cette injustice doit être réparée par une simple transposition du décret de la fonction publique hospitalière.