Cet article a été publié dans n°45 d’ActuSoins Magazine (juin 2022).
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Escarre : définition
L’escarre est définie comme « une lésion cutanée d’origine ischémique liée à une compression des tissus mous entre un plan dur et les saillies osseuses » (National Pressure Ulcer Advisory Panel, 1989).
Les lésions ischémiques sont liées à la combinaison de deux forces, l’une perpendiculaire à la peau (pression d’appui) et l’autre tangentielle dite de cisaillement entre la peau et les muscles. Quand ces forces sont supérieures à la pression capillaire normale (12 à 32 mmHg), elles entraînent une baisse de débit dans les capillaires, source d’hypoxie tissulaire. Si cette compression se prolonge, apparaît alors une nécrose tissulaire.
Une compression continue de plus de deux heures entraîne de manière certaine une escarre mais ce délai peut être beaucoup plus court selon les parties du corps, les pressions exercées et l’état général du patient.
L’escarre se constitue du dedans au dehors et une partie des lésions n’est donc pas visible, ce qui explique les risques d’évolution rapide et de gravité d’une escarre. Elle peut toucher tous les tissus situés entre l’os et la peau (muscles et/ou tendons, fascias).
Toutes les zones présentant un relief osseux pouvant être comprimées sont des zones à risque. La zone concernée varie selon le positionnement du patient. Les zones, les plus fréquemment atteintes sont la zone sacro-fessière et les talons ainsi que les ischions, les trochanters mais également l’occiput. Les escarres sont fréquemment multiples chez un même patient.
Escarre : les facteurs de risque
Pour que la compression des tissus aboutisse à une escarre, il doit exister une immobilité vraie ou relative, associée à la défaillance du système de micro-mouvements. Les escarres peuvent survenir dans beaucoup de circonstances pathologiques :
- tous les troubles de conscience spontanés ou induits (comas d’origine médicale, toxique ou médicalement provoqués comme lors d’une anesthésie prolongée ou d’un séjour en réanimation) ;
- l’immobilité fonctionnelle provoquée par un traumatisme ou favorisée par une immobilisation comme un plâtre ;
- des troubles moteurs et/ou sensitifs comme les paraplégies ou tétraplégies.
Des facteurs individuels sont aggravants :
- les troubles de vascularisation tissulaire liés au vieillissement, au tabagisme, à des pathologies chroniques, comme l’hypertension ou le diabète, et à des maladies perturbant les échanges gazeux par un faible taux d’oxygénation sanguin, notamment lors d’anémie ;
- la dénutrition, la déshydratation et la macération en cas d’incontinence urinaire et fécale, d’hyperthermie et d’obésité ;
- l’âge supérieur à 65 ans en raison des diminutions de la masse graisseuse sous-cutanée et du flux sanguin ;
- les troubles de fonctions supérieures évoluées associées à des troubles de la mobilité.
Comment prévenir l’apparition d’une escarre ?
Elle comporte, dès la prise en charge du patient, l’évaluation des facteurs de risque, notamment en cas d’alitement et à chaque changement de l’état clinique. Elle est réalisée par le jugement clinique et utilise des échelles de risque validées comme l’échelle de Braden qui évalue la capacité sensorielle de douleur et d’inconfort et/ou son expression, les degrés d’humidité et de mobilité, les habitudes alimentaires et la fréquence de friction et de cisaillement.
>> LIRE AUSSI – Escarres : l’échelle de Braden un moyen d’action pertinent pour prévenir les escarres >>
L’adaptation des conditions d’alitement et des fauteuils doit tenir compte des facteurs de risques identifiés : matelas statique en mousse de très haute densité pour les risques moyens et matelas à air dynamique pour les risques élevés. En revanche, seuls, ils sont inefficaces et doivent être associés à la mobilisation régulière du patient (toutes les 2-3 heures) et à sa bonne posture. De même, la mise au fauteuil, la verticalisation et la reprise précoce de la marche sont également indispensables.
Au lit, pour soulager la zone sacro-fessière, il est proposé une alternance de positions dorsale semi fléchie à 30° et latérale à 30° droite et gauche, en dehors des repas et de l’hydratation. En position assise, une assise longue, un buste vertical, les cuisses horizontales, les jambes verticales et les pieds au sol soulagent les ischions. En cas de glissement, le fauteuil à bascule de l’assise sera préconisé. Des coussins de décharge sont utilisés pour les talons et entre les jambes, en cas d’installation en latéral. En cas d’échec, l’ergothérapeute pourra proposer du matériel adapté au patient.
Pour favoriser la micro-vascularisation, l’effleurage est pratiqué avec de l’huile pour prévenir le frottement.
L’hygiène doit être quotidienne et, lors des renouvellements de protection, associée à un bon séchage cutané par tamponnement.
La prévention passe également par le dépistage et la prise en charge précoce de premiers signes. Une rougeur localisée, au niveau d’une proéminence osseuse, et persistante à la pression du doigt est le signe d’une escarre constituée nécessitant une intervention rapide. L’éducation du patient et de l’entourage est particulièrement importante pour alerter les professionnels de santé.
>> LIRE AUSSI – La prévention des escarres, par Julien Duvivier >>
Escarre constituée et traitement
Le diagnostic de l’escarre est clinique. Une escarre peut présenter quatre stades qui n’évoluent pas systématiquement de manière linéaire. Les deux premiers stades sont des lésions potentiellement réversibles.
Escarre stade 1
Le stade 1 est celui de l’érythème plus ou moins violacé persistant à la pression. Il a des caractéristiques différentes de la zone corporelle controlatérale ou adjacente (chaude ou froide, ferme ou molle, avec parfois démangeaison ou douleur). Le traitement est la décharge par mobilisation toutes les deux à trois heures et la mise en place d’un film protecteur hydrocolloïde (film ou plaque).
Escarre stade 2
Le stade 2 correspond à une atteinte de l’épiderme et/ ou du derme. L’escarre est superficielle et se présente cliniquement comme une abrasion (petits épanchements hémorragiques et exsudat), une phlyctène (décollement de l’épiderme avec une poche de liquide séreux ou d’éléments sanguins coagulés ou non) ou une ulcération peu profonde. En cas de tension de la phlyctène, elle est percée, le liquide aspiré à l’aide d’une aiguille fine et le toit conservé.
Escarre stade 3
En cas de retard de prise en charge, l’évolution se poursuit avec des difficultés de cicatrisation et des risques d’infection. Le stade 3 est une perte de toute l’épaisseur de la peau touchant le tissu sous-cutané, qui peut s’étendre jusqu’au fascia, mais pas au-delà. L’escarre se présente comme une ulcération profonde avec ou sans envahissement des tissus environnants.
Escarre stade 4
Le stade 4 correspond à une perte de toute l’épaisseur de la peau avec une destruction importante des tissus et une nécrose, pouvant atteindre les muscles, les tendons, voire les os et/où les articulations. A ce stade, il existe également une infection secondaire à la colonisation de la nécrose par les germes de la peau ou du périnée.
Cette classification permet l’orientation thérapeutique. Le traitement infirmier va comporter un choix de pansement primaire et secondaire qui se fait comme pour toute plaie en fonction de son stade et de l’objectif (détersion, bourgeonnement, épidermisation).
Il doit également prendre en compte les facteurs de risques. Le nursing et le couchage doivent être adaptés avec l’utilisation systématique de matelas à air dynamique associé à des changements de positions réguliers et fréquents.
Le rythme des pansements est guidé par l’évolution de la plaie, son degré d’écoulement et leur saturation. Des pansements comportant du charbon activé sont utiles dans les escarres malodorantes pour le confort du patient et de ses proches.
L’état nutritionnel doit être pris en compte pour évaluer les capacités de cicatrisation. Une dénutrition (une albumine inférieure à 3,5 g/dl et/ou un poids inférieur 80 % du poids normal) nécessite une augmentation de l’apport protéiné à 1,25 -1,5 g/kg/j.
Escarre : une prise en charge adaptée au site et au terrain
Il est important pour un infirmier confronté à une escarre de réfléchir à sa prise en charge, selon le terrain de survenue, et d’être attentif à certains sites favorisant certaines complications.
De façon très schématique, on peut différencier trois catégories de patients pouvant développer des escarres :
• Le patient initialement autonome et mobile, victime d’un accident de la vie entraînant une immobilité transitoire parfois prolongée comme un séjour en réanimation ou après certaines chirurgies lourdes et longues. En cas d’escarre, la prise en charge va varier selon la récupération fonctionnelle prévisible. Si elle est favorable, le patient va le plus souvent pouvoir se remobiliser activement à partir de la phase de récupération (réveil, début de rééducation). Il convient donc d’essayer de limiter l’évolution de l’escarre durant la phase d’immobilisation puis, dès le début de la récupération, d’effectuer des soins locaux, plus ou moins complexes comme la VAC thérapie (TPN Thérapie par Pression Négative) et, plus rarement, une chirurgie d’excision-reconstruction.
• Les patients présentant des troubles neurologiques chroniques (para ou tétraplégie) sont des sujets à hauts risques d’escarres, que ce soit dans la phase initiale post-traumatique ou très à distance. Dans la majorité des cas, ces patients doivent être adressés à des unités spécialisées (malheureusement, trop rares en France) car une chirurgie d’excision et de couverture, parfois associée à des gestes osseux, est la plus à même d’assurer la poursuite de leur autonomie et de la vie au fauteuil. Une recherche des éléments ayant favorisé l’apparition d’escarre doit être effectuée avec le rééducateur et peut conduire à des aménagements de leurs aides (fauteuil, coussins) ou à des gestes de neuro-orthopédie pour lutter contre des attitudes vicieuses.
• Le derniers cas est celui des patients, le plus souvent âgés et grabataires. L’apparition d’une escarre traduit souvent une aggravation de l’état général du patient. Il peut s’agir d’une dégradation sévère qui va conduire au décès du patient. Les soins locaux sont importants pour le confort et la dignité du patient, mais les indications chirurgicales doivent rester exceptionnelles. Ces patients sont souvent dénutris et les gestes chirurgicaux n’apportent en général qu’une amélioration transitoire de l’état local qui se dégrade à nouveau rapidement, faute de capacités de cicatrisation.
>> LIRE AUSSI – La prise en charge des escarres chez la personne âgée >>
Concernant les sites, certaines localisations sont à risque car susceptibles de favoriser, de façon rapide, une évolution vers une arthrite septique. Ces localisations sont les trochanters (qui doivent être considérés jusqu’à preuve du contraire comme une arthrite de hanche), les malléoles et la face postéromédiale du coude.
Sur certains sites, comme les escarres occipitales, du fait des possibilités limitées de bourgeonnement et des conséquences esthétiques (alopécie), un geste chirurgical de couverture sera envisagé même en l’absence de terrain favorisant.
L’exposition de zones tendineuses si elle respecte le péritendon, peut aboutir à la cicatrisation. Mais en cas, d’exposition du tendon lui-même, il devra soit être excisé (notamment en cas de fonte purulente) soit être couvert par un lambeau.
>> LIRE AUSSI – Lambeaux de couverture : que savoir ? >>
Marianne Soulès,
Infirmière DU Plaies et Cicatrisation, Cadre de santé formatrice
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Bibliographie :
• Ayman Grada, Tania J. Phillips, Ulcères de pression (escarres) (Escarres, ulcères de décubitus (de pression) ; plaies ou ulcères de pression), Le manuel MSD, septembre 2021, https://www.msdmanuals.com/fr/ professional/troubles-dermatologiques/ulc%C3%A8resde- pression-escarres/ulc%C3%A8res-de-pression-escarres
• Sylvie Palmier, Nécroses cutanées : quand et comment les conserver ? 28 mai 2018, https://www.actusoins. com/299009/necroses-cutanees-quand-et-commentles- conserver.html
• Dr Sabine Rouvière, Magali Moreau, Sophie Martini, Dr Claire Simon, Pr Benoît de Wazières, La prise en charge de l’escarre en gériatrie. Quelques principes de base pour une bonne cicatrisation, Repères en Gériatrie, Avril- Mai 2014, vol. 16, numéro 133, pp 75-85
• H. Vuagnat V. Trombert N. Donnat, Personne âgée et escarres : prévention et traitement, Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 28 novembre 2012, pp 2295- 2302, https://www.revmed.ch/view/495262/4090757/ RMS_idPAS_D_ISBN_pu2012-42s_sa10_art10.pdf
• Texte et recommandations, Conférence de consensus, Prévention et traitement des escarres de l’adulte et du sujet âgé, novembre 2001, https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/escarresdef_long.pdf
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