Eco-Infirmière : transition écologique de la pratique professionnelle pour prendre soin de l’environnement au bénéfice de la population

Eco-Infirmière : transition écologique de la pratique professionnelle pour prendre soin de l’environnement au bénéfice de la population

Difficile aujourd’hui de ne pas s’interroger sur l’impact écologique de son exercice professionnel libéral. Pour autant, les mesures qu’imposent cette transition peuvent parfois paraître compliquées à mettre en oeuvre. Rien ne sert de courir. Pas à pas et en ciblant ses actions, il est possible d’agir efficacement.

D’après des données récentes, le système de soins français produit plus de 8 % des émissions de gaz à effet de serre nationales (près de 50 millions de tonnes équivalent CO2)*. L’impact de l’offre de soins représente environ 45 % de ces 50 millions de tonnes. Les médicaments et les dispositifs médicaux engendrent les 55 % restants. « Malgré leur formation en santé environnementale dans le cadre de leur cursus initial, les infirmiers ne s’engagent pas beaucoup dans ce domaine, souligne le Dr Alice Baras, chirurgien-dentiste, auteure du Guide du cabinet écoresponsable. Il faut les encourager en partageant les formations, les informations et les ressources facilitant la démarche. »

Actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article a été publié dans le n°50 d’ActuSoins magazine (janvier 2024).

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Construire une stratégie

Se lancer dans une démarche de transition écologique peut sembler, à première vue, vertigineux. La première étape, avant de bousculer son fonctionnement, consiste à s’informer du lien entre la santé et l’environnement, « cela donne une légitimité à intégrer la démarche et en être l’ambassadeur », conseille Alice Baras. Avant de s’impliquer, « il faut déjà détenir une bonne compréhension des enjeux globaux, car nous avons souvent tendance à analyser les situations sous notre prisme individuel, renchérit Julie Brethes, infirmière libérale (idel) remplaçante, infirmière Asalée en Gironde, formée à la santé environnementale et au management du développement durable en santé. Il faut se décentraliser pour prendre conscience des conséquences de nos comportements individuels sur les indices mondiaux ». Si on ne prend pas soin de l’environnement, de son alimentation ou encore des conséquences de sa mobilité, la population ne peut pas être en bonne santé. Pour les professionnels de santé, cet engagement relève aussi d’une question éthique. Pour motiver les troupes, il est possible de mettre en avant les co-bénéfices de certaines actions, par exemple la mobilité active. En allant à son cabinet à pied ou à vélo, l’infirmier libéral agit à la fois pour sa santé, pour ses finances, pour l’environnement et pour la santé publique car il pollue moins. Si les possibilités de réduire son impact environnemental avec ses pratiques quotidiennes et dans le cadre de ses activités de soins, sont nombreuses, « les recommandations sont toutefois à adapter en fonction des usages de chacun et doivent rester naturelles, insiste Emeric Vaillant, éco-infirmier libéral à Amboise (Indre-et-Loire), diplômé en santé environnementale. Lorsqu’une personne souhaite effectuer une transition, elle doit y voir son intérêt. S’il s’agit d’une contrainte, elle ne l’adoptera pas sur le long terme. » « Il est important de se construire une méthode selon sa sensibilité sans pour autant vouloir à tout prix construire un cabinet “zéro déchet” du jour au lendemain, renchérit Alice Baras. De même que l’impossibilité ou l’incapacité d’agir n’empêche pas d’en parler avec les patients et de participer à leur prévention, cela fait également partie de l’approche. »

La consommation d’énergie

Parmi les mesures « simples » à mettre en oeuvre pour assurer la transition écologique de son cabinet : réduire sa consommation d’eau et d’électricité. Les infirmiers ne peuvent qu’être favorables à y prêter une attention particulière car les bienfaits vont se ressentir sur l’environnement mais aussi sur le montant des factures. « Dans de nombreux cabinets, on observe encore des lumières allumées en permanence, notamment dans les salles d’attente, ou des climatiseurs en fonctionnement, même lorsque les fenêtres sont ouvertes, témoigne Emeric Vaillant. Ces actions sont facilement corrigeables. »

L’usage des produits nettoyants et la qualité de l’air intérieur

Pour les sols et la salle d’attente, le savon noir ou le vinaigre blanc suffisent. © SViktoria/Shutterstock

La pollution chimique des produits d’entretien utilisés notamment pour éviter les transmissions croisées est particulièrement impactant pour la qualité de l’eau et de l’air. « Ils sont composés de molécules toxiques à la fois pour l’environnement et pour la personne qui les utilise », insiste Alice Baras. Pour bien choisir ses produits nettoyants, il faut savoir repérer les pictogrammes de danger inscrits au dos des contenants. Un usage efficient implique également de savoir ce qui, au sein du cabinet, requiert d’être simplement nettoyé ou désinfecté ou stérilisé. En cas de doute, il est possible de se renseigner auprès d’hygiénistes. Car dans ce domaine, les fausses croyances sont nombreuses. « Il est par exemple tout à fait possible de faire de l’éco-nettoyage c’est-à-dire de privilégier des produits éco-labellisés, et de préférer un nettoyage à la vapeur plutôt qu’un nettoyage chimique », indique Julie Brethes. Pour les sols et la salle d’attente, le savon noir ou le vinaigre blanc suffisent. La table de soin et le matériel médical doivent quant à eux être désinfectés. « À vouloir tout désinfecter, nous détruisons le vivant ainsi que notre microbiote, et nous agissons en faveur de l’antibiorésistance », dénonce Alice Baras. Cela implique donc, à une plus haute échelle, de se battre contre le marketing et le greenwashing. « Quand on intègre cette démarche, il faut faire attention de ne pas tomber dans les pièges », ajoute-t-elle. En parallèle, veiller à une bonne qualité de l’air intérieur implique de toujours bien aérer les lieux, de limiter l’usage de parfums d’intérieur, de bougie ou encore d’encens.

Agir sur la mobilité

En raison de leur mode d’exercice, les infirmiers libéraux peuvent se questionner sur leur mobilité notamment en réfléchissant à l’optimisation de leur tournée afin de limiter les déplacements. Pour autant, « les actions dans le domaine de la mobilité sont difficiles à déployer car tout va dépendre de la pratique, de la patientèle et du lieu d’exercice », rappelle Emeric Vaillant. En milieu rural, il est par exemple difficile d’envisager de faire sa tournée à vélo.

Par ailleurs, le choix d’un mode de transport alternatif à la voiture ne dispense pas d’analyser les cycles de vie d’un produit utilisé pour savoir combien il coûte à l’environnement en termes d’extraction des ressources, que ce soit de la création à la phase d’usage du produit. « J’utilisais une trottinette électrique mais l’électrique est aussi questionnable car la production de ces véhicules est génératrice d’émissions de gaz à effet de serre et de consommation de ressources », reconnaît Julie Brethes. « Si un infirmier n’a pas la capacité d’agir sur cet axe pour le moment, ce n’est pas grave », assure Alice Baras. Pour autant, il est important de savoir qu’il n’y a pas de petites actions. Et d’ajouter : « Éviter un seul aller-retour de 10 km par semaine, ramené sur l’année, a un effet important en termes de réduction des émissions de CO2. »

Les achats responsables

Il n’est pas toujours facile de connaître l’impact environnemental des dispositifs médicaux – et des médicaments, car il n’est pas affiché. « La publication en mai 2023 d’une feuille de route interministérielle sur la planification écologique du système de santé prévoit une évolution avec l’affichage d’éco-scores des produits de santé », se félicite Alice Baras. En attendant, comme les infirmiers libéraux utilisent de nombreux dispositifs médicaux dans le cadre de la réalisation des soins, ils peuvent se questionner sur leur choix de produits. « Le meilleur déchet étant celui que l’on ne produit pas, il est nécessaire de s’interroger sur l’intérêt de l’usage unique », pointe Alice Baras. À titre d’exemple, lorsqu’un cabinet ou une maison de santé dispose d’un stérilisateur, il peut être intéressant d’utiliser des dispositifs médicaux réutilisables et stérilisables. « Dans le cadre de mon exercice professionnel, j’ai décidé de disposer de mes instruments en métal et de faire de la stérilisation à froid », témoigne Emeric Vaillant, précisant que cela implique de prévoir son matériel pour l’ensemble de la journée et de désinfecter le tout en fin de tournée.

Dans cette optique, les infirmiers se trouvant à un stade plus avancé de la démarche peuvent envisager l’éco-conception des soins, qui consiste à appréhender un soin au travers des principes du développement durable donc en ayant un moindre impact sur le plan sanitaire, environnemental, social et économique, à court, moyen et long terme.

La gestion et la valorisation des déchets

Afin d’agir en prévention – ou parfois par facilité, les infirmiers ont tendance à jeter aux Déchets d’activités de soins à risques infectieux et assimilés (DASRIA), des déchets qui n’ont rien à y faire. « La logique comptable fait dire aux libéraux que ce n’est pas grave, car dans tous les cas, ils vont entrer dans leurs frais », regrette Julie Brethes. Or, l’impact environnemental de l’incinération des DASRIA est conséquent. « Leur traitement émet trois fois plus d’émission de gaz à effet de serre qu’un traitement classique », informe Alice Baras. Les infirmiers doivent donc prêter attention à leur tri tout en s’assurant de veiller à la sécurité des soins.

Il est aussi possible de valoriser les dispositifs médicaux, notamment les équipements des personnes âgées, tels que les fauteuils roulants ou les matelas, souvent mis au rebut. « Il existe des filières avec le réseau GIHP par exemple, qui récupèrent les dispositifs médicaux non utilisés et en bon état pour les revaloriser », informe Julie Brethes.

Enfin, il ne faut pas oublier Cyclamed pour le recyclage des médicaments.

Formation et accompagnement

Pour intégrer toutes ces évolutions, des formations s’avèrent utiles. D’ailleurs, l’action 5 du Plan national Santé-Environnement (PNSE) 4, 2021-2026 prévoit d’approfondir les connaissances des professionnels sur les liens entre l’environnement et la santé. « Nous regrettons que nos formations professionnelles initiales ciblent uniquement des compétences métiers, souligne Julie Brethes. Il faudrait qu’elles répondent aux enjeux de santé publique. » Les formations existantes dans ce domaine ne sont pas nécessairement prises en charge dans le cadre du Développement professionnel continu (DPC) ou du Fonds interprofessionnel de formation des professionnels libéraux (FIF PL). Il s’agit d’un facteur limitant qui s’ajoute à l’absence d’obligation environnementale à respecter pour les libéraux, contrairement aux hôpitaux. « Il est donc impératif de trouver des moyens de développer la formation en santé environnementale et de sensibiliser les professionnels libéraux ainsi que la population à l’écoresponsabilité », insiste-t-elle, expliquant s’y atteler via son activité d’infirmière Asalée. Les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) commencent également à aborder la question dans le cadre de leurs missions de prévention.

*Rapport « Décarboner la santé », publié en avril 2023 par le think tank The Shift Project.

Pour aller plus loin :
Dr Alice Baras, Guide du cabinet de santé écoresponsable,
Prendre soin de l’environnement pour la santé de chacun,
Ed. Presses de l’EHESP, 348 pages, octobre 2021.

Les outils de l’Agence de la transition écologique (ADEME)
L’ADEME met à disposition des outils pour mesurer son impact transport : https://datagir.ademe.fr/apps/mon-impact-transport/
Elle dispose aussi d’un site Internet interactif pour trouver les écolabels de confiance par domaine de recherche : https://agirpourlatransition.ademe.fr/particuliers/labels-environnementaux

Laure Martin

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