Dans la salle du service qui accueille des patients présentant des troubles du comportement alimentaire (TCA) et où Andrea Schindler travaille une partie du temps, de grands tapis invitent à s’asseoir, danser ou s’allonger.
Un piano électronique, une guitare et de grandes percussions sont prêts à être utilisés devant des armoires qui débordent d’autres instruments : maracas, bongos, sansulas à tiges métalliques, balafons en bois, shruti box à soufflets…
Formée à la musicothérapie à l’université Sorbonne Paris Cité, Andrea Schindler « fait de la musique depuis toute petite ». Le fait d’aider des personnes à exprimer leurs émotions et à aller mieux en utilisant la musique – ce qui lui fait tant de bien à elle – lui semble compléter parfaitement sa pratique musicale personnelle.
En CDI depuis un an dans ce service, elle y intervient douze heures par semaine, en hospitalisation de jour ou complète. « J’interviens auprès de patientes, essentiellement, de quinze à vingt-cinq ans, parfois plus », explique-t-elle. La musicothérapie leur est proposée à la suite d’une concertation de l’équipe soignante sur les types de médiations susceptibles de les aider : psychomotricité, danse, conte, entretiens avec une psychologue, activité physique adaptée, etc.
Spontanéité
Lors de sa première rencontre avec les patients, Andrea Schindler réalise un bilan psycho-musical qui orientera le contenu de ses séances ultérieures : « je leur demande quelle place la musique occupe dans leur vie, si elles pratiquent ou ont pratiqué un instrument, à quelles sonorités elles sont sensibles. Je leur fais tester aussi des instruments… ».
En séance individuelle ou collective, elle travaille d’abord sur la respiration et sur « la mise en mouvement spontanée » du corps. « Ensuite, je peux proposer une exploration instrumentale, un jeu de question-réponse musical, ajoute-t-elle. Nous travaillons sur le lâcher prise, l’improvisation, la spontanéité. Et nous essayons de les valoriser sur des choses qu’elles ne savent pas qu’elles savent faire… »
La musicothérapeute accompagne aussi les patientes dans le travail de la voix : une fois dépassées les premières inhibitions, le plaisir de chanter arrive et libère des émotions…
A des patients très anxieux, Andrea Schindler peut proposer un moment de relaxation psycho-musicale pour « déposer les tensions… ». Qu’ils s’agisse de danser, de chanter, de pratiquer un instrument ou de dessiner spontanément ce que la musique suscite, elle ne regarde pas faire les patients mais « fait avec » eux, pour les encourager et éviter de les intimider.
Petit à petit, les participantes prennent davantage confiance. « On se rend compte d’une plus grande aisance corporelle et d’une ouverture psychique », remarque Naheda Collet, infirmière dans le service. Elle se rappelle ainsi une jeune fille très timide qui a développé peu à peu son imaginaire, libéré sa parole et s’est laissée aller.
Elle se souvient de celles qui ont repris l’apprentissage de l’instrument ou du chant qu’elles avaient abandonné.
Développer la confiance
Pour Vincent Dodin, psychiatre et chef du service TCA, les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire – l’équivalent, selon lui, d’une addiction -, mènent « une vie centrée sur l’obsession du poids et de l’alimentation qui les coupe de tout, de leur famille, de leurs amis… Une vie qui n’a plus de sens. La notion même de collectif disparaît et elles vivent dans une souffrance indescriptible ».
Dans une posture de contrôle, elles contiennent leurs émotions, de peur qu’elles « débordent ».
Mais la musique leur permet de se laisser « envahir » par les émotions. Le soin consiste alors, au delà de la question alimentaire, à réenclencher chez ces patients un mouvement, physique et psychique, vers « l’extérieur », la famille, les amis, les loisirs, l’école… « L’art-thérapie, en particulier la musicothérapie, constitue un levier thérapeutique important », souligne Vincent Dodin.
La meilleure illustration réside selon lui dans le projet « Cartes postales sonores », qui associe musicothérapie et atelier d’écriture. Le 18 décembre dernier, des jeunes ont préparé en groupe des textes et des chants et ont accepté de participer à une restitution musicale publique, hors les murs de l’hôpital, avec des musiciens extérieurs au projet… « Cela les valorise et redonne un sens à leur vie », commente le psychiatre.
Le plaisir ressenti lors de leur participation au projet et aux ateliers ainsi que la fierté ressentie face à leurs progrès et à leurs réalisations les valorisent, stimulent leur créativité, les désinhibent, renforcent leur estime de soi…
« J’ai découvert chez moi une part de créativité que je ne soupçonnais pas, confie Marie, 18 ans, juste avant la restitution des Cartes postales sonores. Avant, je chantais le plus bas possible et maintenant j’ose un peu plus. Et je suis fière de ce qu’on a été capables de produire ! » Elle envisage même de prendre des cours de guitare.
Synergie thérapeutique
Naheda Collet a activement œuvré à la coordination de la préparation du projet. Comme les autres professionnels du service, elle est souvent en relation avec Andrea Schindler.
La musicothérapeute échange avec les soignants après ses séances, de manière informelle, lorsqu’elle saisit des observations dans le dossier médical des patientes ou lors des réunions de synthèse hebdomadaires. Elle fait partie intégrante de l’équipe « au même titre que les autres », souligne Vincent Dodin. Selon lui, le travail en synergie de tous les intervenants autour des patients, sans distinction de profession, constitue le levier le plus efficace de leur prise en charge.
Des soignants participent parfois aux séances collectives de musicothérapie, comme Naheda, car « pour pouvoir proposer un soin aux patients, il faut le connaître », souligne cette infirmière. Quand cette dernière parle de la musicothérapeute avec les patients, « tous les retours sont positifs, observe-t-elle. Ils lui font confiance et elle a une sensibilité particulière. C’est une soignante sans être soignante », au sens officiel du terme.
Andrea Schindler intervient aussi dans le service de soins palliatifs de l’hôpital, au nom de l’association Arts à Lille (un projet financé par le Crédit mutuel).
Chaque jeudi, « je rencontre les infirmières, les médecins et les aides-soignantes pour un temps de transmission et ils me donnent des informations précieuses sur les personnes que je peux aller voir ». Certains patients n’en ont pas envie ou vivent leurs tout derniers instants. Mais d’autres sont ouverts, voire attendent la venue de la musicienne et certains font même venir leurs proches, ces jours-là, raconte Claire Poulain, infirmière dans cette unité…
Soigner dans la bienveillance
« C’est une fenêtre de légèreté et de fantaisie dans le quotidien et les journées interminables des patients », poursuit-elle. Andrea se rend à leur chevet avec un chariot plein d’instruments. « Je leur propose un temps musical, raconte-t-elle, et en fonction de leur envie, je joue, je chante pour eux ou je leur fais découvrir les instruments. Les patients partagent parfois des souvenirs, des émotions… Toutes les rencontres sont une richesse. »
La musique devient « un support à la relation », remarque Claire Poulain, et « habite » les longs moments de silence. « Dans la musique, il y a quelque chose de très vivant, poursuit Andrea Schindler, et jusqu’à la fin, la vie peut être nourrie de bons moments et la vitalité mobilisée. Je ressens beaucoup de joie dans ce service. Il n’y a plus de filtres, on est au cœur de l’être humain… »
Andrea intervient aussi parfois, en même temps que les infirmières, pendant une toilette ou un soin douloureux, si les patients sont d’accord. Elle chante ou joue de la musique en fonction de ce qui lui semble juste et de ce que préfère la personne. Pour l’infirmière, « cela permet au patient de ne plus être dans la conscience de la douleur mais dans ce qui est en train de se passer via la musique ».
Ces interventions musicales « font du bien aux soignants aussi, ajoute Claire Poulain. Le jeudi est un jour particulier. On entend la musique ou sa voix qui vient des chambres et se diffuse dans les couloirs… C’est un peu surprenant mais cela nous fait du bien, nous déstresse. Entendre cela me donne du courage, de l’envie et me porte vers les patients. Ça m’aide à soigner dans la bienveillance et la douceur. Dans un service où il y a beaucoup de tristesse et de souffrance, la musique apporte de la légèreté… des moments de grâce. »
Géraldine Langlois
Cet article est paru dans le n°35 d’ActuSoins Magazine (décembre 2019)
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