Recruter des infirmiers à l’étranger : une dynamique mondiale peu présente en France

Les infirmiers travaillant en France avec un diplôme étranger sont assez peu nombreux comparé aux pays voisins (Belgique, Allemagne, Royaume-Uni). Le recrutement d'infirmiers formés hors de nos frontières aurait pu apparaître comme un moyen de faire face à la pénurie de soignants, aggravée depuis 2021. Apparemment ce n'est pas aussi simple.

© everything possible / ShutterStock

La tension sur le marché du travail des infirmiers à l'échelle mondiale s'est accrue d'un cran (voire plusieurs) depuis la crise sanitaire liée au Covid.

Selon le président du Conseil international des infirmières (ICN), Howard Catton, il manquait 6 millions d'infirmiers dans le monde avant la pandémie et il en manquera 13 à 15 millions après.

« La tension entre les besoins et les infirmières disponibles a augmenté, observe James Buchan, maître de cherche à l'université de Sidney et Edimbourg, auteur principal du rapport « Sustain and retain » (soutenir et retenir) publié en janvier par l'ICN. Les pays essaient de reconstruire leur système de santé alors que leurs infirmières ont traversé des périodes de stress importants et certaines sont en burn-out. »

Faute de trouver chez eux les infirmiers dont leur système de santé a besoin, de nombreux pays cherchent à recruter des soignants diplômés hors de leurs frontières. Pour Howard Catton, « il y a très peu d'autres solutions sur le court terme. C'est une réaction commune ». Rappeler des infirmiers qui ont arrêté d'exercer, comme l'ont fait des pays nordiques, produit peu d'effet et en former de nouveaux prend plusieurs années et coûte cher.

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Une solution de court terme

Comme le résume Patrick Chamboredon, président de l'Ordre national des infirmiers (Oni), « la pénurie crée des flux ». La presse internationale s'est fait l'écho ces derniers mois des efforts déployés par les pays anglo-saxons pour attirer des infirmiers formés hors de leurs frontières.

« Les informations provenant du Canada, du Royaume-Uni ou d'Allemagne montrent des chiffres les plus élevés depuis 30 ans », précise James Buchan. Ce qui est le cas aussi pour les États-Unis et l'Australie.

La France n'est pas pointée du doigt par ces articles. Il faut dire que les données manquent pour déterminer si les recrutements d'infirmiers étrangers prennent de l'ampleur ici aussi.

Selon les chiffres de l'OCDE (migration of nurses), quelque 2,9% des 764 000 infirmiers exerçant en France (soit 21850) ont suivi leurs études à l'étranger.

C'est moins qu'en Belgique (4,2%), en Allemagne (9,24%) ou encore au Royaume-Uni (17%). La totalité des infirmiers exerçant en France n'est pas encore inscrite à l'Oni mais les données dont dispose l'Ordre font dire à Patrick Chamboredon que  « 15000 infirmières exercent en France avec un diplôme étranger », qu'elles soient françaises (10 000) ou originaires d'un autre pays (5 000).

Toutefois l'Ordre ne peut pas distinguer les soignants qui ont obtenu leur diplôme dans un État membre de l'Union européenne, de l'Espace économique européen (EEE) ou en Suisse et ceux qui ont suivi leurs études dans un autre pays. La différence est pourtant importante.

Les premiers bénéficient d'une reconnaissance automatique de leur diplôme, depuis une directive européenne de 2005 alors que les infirmiers originaires d'autres pays (hors UE, EEE, Suisse,Québec) doivent, entre autres, suivre une formation partielle ou complète en IFSI pour obtenir le diplôme d'État.

Des démarches qui prennent des mois voire des années et peuvent décourager les candidats à l'exercice en France, souligne Angélique Dima, responsable du recrutement international pour le groupe de cliniques Elsan. « Nous avons des candidats (diplômés hors pays à équivalence automatique, NDLR), ajoute-t-elle mais aucun ne veut faire trois ans d'études et ils s'orientent vers la Belgique ou l'Allemagne. »

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2,9% d'infirmiers à diplôme étranger

De fait, la plupart des infirmiers diplômés à l'étranger exerçant en France viennent de l'UE ou de l'EEE. Comme le précise le président de l'Oni, « les principaux pôles d'origine sont l'Espagne, l'Italie et la Belgique », nos voisins directs.

Olivier Lacoste, géographe de la santé, a souligné lors de la présentation de ces cartes par l'Oni, début octobre, la « forte concentration (d'infirmiers étrangers, NDLR) le long de la frontière belge, ponctuellement près de la frontière italienne et près de l'Espagne ». 

Face à la pénurie de soignants, certains établissements français misent sur le recrutement international mais il est difficile de connaître l'ampleur de ce mouvement.

Plusieurs hôpitaux de grande taille ont décliné nos sollicitations, arguant ne pas être concernés. Le groupe Elsan, qui compte 137 établissements en France, a accepté. Il recrute des infirmiers étrangers depuis longtemps, notamment lors de la vague de recrutement d'infirmières espagnoles en France, au début des années 2000, indique Angélique Dima.

Mais le groupe intensifie ces derniers temps ses démarches. Elles visent tous les pays de l'Union européenne, avec un focus particulier sur la Roumanie, l'Italie, l'Espagne, le Portugal et la Grèce, « où les candidats parlent une langue latine, qui rend plus facile l'apprentissage du français », ainsi que sur la Belgique, largement francophone.

Le groupe a aussi essayé d'approcher, au Liban, le seul institut de formation hors des frontières françaises à délivrer le diplôme d'État d'infirmier, mais sans succès : « tous les diplômés qui voulaient partir sont déjà partis », observe la responsable du recrutement international.

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Job datings européens

Le groupe déploie des opérations de communication ciblées sur les réseaux sociaux et des sites de recrutement locaux et participe à des opérations de recrutement et des conférences organisés par des recruteurs locaux, dans la langue vernaculaire. « Nous participons de septembre à fin novembre à un cycle de job dating dans neuf pays de l'Union européenne », indique Angélique Dima.

Des opérations organisées depuis de nombreuses années par des cabinets de recrutement spécialisés. Elles ne portent pas immédiatement leurs fruits. Parce qu'il faut convaincre les candidats potentiels à venir exercer en France.

Parce qu'il faut aussi leur laisser le temps de réaliser les démarches administratives de reconnaissance de leur diplôme (même facilitées, elles prennent du temps) , d'organiser leur arrivée mais surtout, d'améliorer leur pratique de la langue française.

« C'est une barrière », constate la responsable du recrutement international. Le groupe accompagne les candidats dans toutes ces démarches. Il s'agit de réunir toutes les conditions pour faire prendre la « greffe » sans pour autant accorder à ces nouveaux venus un traitement de faveur.

La majorité est recrutée en CDI. « On va les accueillir à l'aéroport et nous demandons aux cliniques de mettre à leur disposition une marraine ou un parrain, au-delà de l'intégration professionnelle, pour les accompagner sur des questions de vie quotidienne, ajoute Angélique Dima. Covoiturage et sorties sont aussi encouragés. Les équipes sont aussi préparées.

En tout état de cause, le turn-over parmi ces infirmiers est « beaucoup moins important » que parmi les diplômés de France.

Les infirmiers à diplôme étranger travaillant dans le groupe viennent aujourd'hui surtout d'Italie, de Roumanie, d'Espagne et du Portugal. Ceux qui sont originaires d'États non membres de l'UE sont libanais, guinéens ou camerounais : ils ont déjà suivi le parcours de formation infirmière français ou étaient médecins dans leur pays et sont ainsi autorisés à exercer en France comme infirmiers. La concurrence entre pays recruteurs se fait sentir, observe Angélique Dima : « les candidats sont plus intéressés par l'Angleterre, la Norvège ou la Belgique, qui présentent plus de facilités que la France ».

Et des salaires supérieurs. Selon elle, « si on n'ouvre pas davantage le recrutement en dehors de l'UE et qu'on ne remonte pas les salaires, on ne pourra pas recruter plus ».

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Attirer, former, fidéliser

Pour Howard Catton, la pénurie infirmière actuelle signe un « échec du monde à former suffisamment d'infirmières » : il faudrait en former suffisamment, prévenir les abandons d'études puis offrir à ces professionnels les conditions d'une carrière attractive et donc potentiellement longue...

Au-delà du droit des personnes à aller vivre et travailler où elles veulent, la mondialisation croissante du marché du travail infirmier provoque ou accentue les pénuries de soignants dans les pays de départ en Afrique, Asie, Amérique latine ou Moyen-Orient et pénalise leur système de santé...

Un sujet pris très au sérieux par l'OMS et l'ICN. Selon son président, cependant, la France ne fait pas partie des mauvais élèves en la matière car elle forme un nombre important d'infirmiers et présente une densité d'IDE supérieure à d'autres pays.

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Géraldine Langlois

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