A La Réunion, la dengue pique au vif les personnels soignants

Si l'épidémie de dengue décroit légèrement à La Réunion, chaque semaine près de 1000 cas sont encore déclarés. La région ouest de l'île, et donc le Centre hospitalier de l'ouest de La Réunion, sont les plus impactés par cette épidémie devenue endémique. Des infirmières, épuisées, nous ont fait par de leur désarroi.

Zohra Givran, secrétaire générale du syndicat Sud Santé, s'indigne devant les conditions de travail des soignants au CHOR

Zohra Givran, secrétaire générale du syndicat Sud Santé, s'indigne devant les conditions de travail des soignants au CHOR, hôpital dépassé par l'ampleur de l'épidémie. © Mireille Legait

Pour Zohra Givran, secrétaire générale du syndicat Sud Santé, la situation qu'a connu le CHOR dépasse l'entendement.

« Nous avions même des patients dans le garage du Samu en attente de lits. Des parois en feuille plastique ont été montées à la va-vite parce qu'on n'avait pas le choix. A un moment, on avait les patients Covid-19 et les patients dengue en même temps aux urgences et en réanimation, c'était inhumain pour les patients, insoutenable pour beaucoup de personnels soignants qui sont épuisés par cette année particulièrement difficile. »

Depuis un mois, l'épidémie est en recul, passant de 2 000 cas hebdomadaires à 1500 puis 1000 et enfin 806 au dernier décompte en fin de semaine dernière. « Mais l'ouest reste la région la plus touchée avec près de 61% des cas alors que l'hiver austral est bien installé. On est montés jusqu'à 70% des cas dans l'ouest, pendant plusieurs semaines. La baisse des passages aux urgences et des hospitalisations continue mais on est toujours sur un niveau élevé. Vers la fin mai, on avait une quinzaine de patients sur des brancards. L'hôpital a été plusieurs fois au-delà de sa capacité, jusqu'à 110%. On nous parle d'une extension de l'hôpital, mais le temps que ça se mette en route, on aura peut-être le temps de voir encore quelques saisons d'épidémie. Et les personnels, eux, ne sont pas renforcés. La Direction a demandé plusieurs fois de l'aide à la Réserve sanitaire, en tout cas pour les médecins urgentistes, mais les renforts se sont faits attendre. » 

Improvisation en permanence

Malgré les nombreuses pulvérisations menées par l'ARS dans la région Ouest où se concentre cette année l'essentiel des cas de dengue, l'épidémie est particulièrement virulente cette année. © Mireille Legait

Cette sur-tension, Corinne*, infirmière, l'a ressentie fortement. « D'année en année, cela devient de plus en difficile. La dengue, elle est là quasiment en permanence depuis 2017. On a maintenant les trois sérotypes, donc les gens peuvent attraper la dengue plusieurs fois. L'an dernier c'était surtout le CHU sud qui était touché avec le sérotype 2. Cette année, au CHOR, on a eu la Covid à laquelle s'est juxtaposée la dengue, en sérotype 1. Des collègues étaient arrêtés, il y a eu beaucoup d'arrêts maladie parce que les personnels sont épuisés. Certains étaient malades, de la Covid ou de la dengue. Les autres doivent faire face, mais ça devient infernal de travailler dans des conditions pareilles. »

En temps « normal », pour la dengue, c'est cinq passages par jour aux urgences. « Là, on a en a eu jusqu'à plus de 30 par jour en mai. Ils restaient là parce qu'il n'y avait pas suffisamment de lits disponibles dans les services. Il a fallu improviser en permanence, pour tout, les soins, les repas... » se désole Lucie*, elle aussi infirmière.

De fait, les urgences au CHOR sont paramétrées pour trente lits. Au plus fort de la crise, il a fallu accueillir jusqu'à 65 patients, parfois 70. « La dengue a été très virulente cette année, on a vu un certain nombre de formes graves, des troubles digestifs, oculaires, hémorragiques. C'est particulièrement stressant », constate Corinne. Qui note un turn-over important parmi les soignants. « Il y a des infirmiers qui viennent en CDD mais dans des conditions pareilles, ils n'ont pas envie de rester et ça retombe sur les permanents. Je ne compte plus le nombre de fois où je suis restée hors horaires ou revenue sur mes congés. On en est tous là, au CHOR ou au CHU, à La Réunion ou ailleurs. Mais est-ce que cela justifie tout ? »

L'infirmière se fait le porte-parole de beaucoup de ses collègues et se demande quand leur sera donné le temps de souffler : «Ce qui nous inquiète, c'est que si la dengue continue même de manière moins forte, on n'aura pas le temps de récupérer avant l'arrivée de l'été austral et de la pleine saison de la dengue » D'autant que  les soignants craignent aussi l'arrivée de la quatrième vague de la Covid-19, le variant Delta circulant depuis un mois sur l'île dont le taux de vaccination, en schéma vaccinal complet, n'atteint pas 25%.

*Prénoms changés à leur demande

CHIFFRES

3 818 C'est le nombre de passages aux urgences pour cause de dengue depuis le début de l'année.

27 213 cas ont été confirmés. 

721 patients ont été hospitalisés.

15 personnes sont décédées depuis le 1er janvier.   

Sources Préfecture de La Réunion au 7 juillet 2021.

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