Une approche douce dans les centres « antidouleurs »

Le centre d’évaluation et de traitement de la douleur du CHU de Montpellier a été précurseur dans les traitements non médicamenteux de la douleur chronique. La plupart des centres « antidouleurs » de France font de même avec l’appui d’infirmières qui ont suivi des formations spécifiques. Le travail pluri-disciplinaire est une constante. Cet article est initialement paru dans le n°38 d'ActuSoins Magazine (septembre 2020). 

Après 25 minutes de pose du patch Qutenza, les particules de piment sont ôtées avec un gel

Après 25 minutes de pose du patch Qutenza, les particules de piment sont ôtées avec un gel. © Myriem Lahidely.

« Le piment de Cayenne, c’est high tech ! » Ce vendredi matin, au Centre d’évaluation et de traite-ment de la douleur (CETD) de l’hôpital Saint-Eloi (CHU de Montpellier), Françoise a trouvé de la ressource pour faire un brin d’humour.

Cette patiente souffre de douleurs neuropathiques et de lombosciatique bilatérale, chroniques.

Elle vient pour un « Qutenza », patch dont le piment est le principe actif (capsaïcine). Il va rester posé vingt-cinq minutes, chauffer fortement, et saturer, pour les désensibiliser, les récepteurs de la douleur.

Christèle Galizzi, infirmière (IDE) au sein du service, le lui a appliqué sur les lombaires basses, côté droit, après une prescription par un médecin algologue du service. « On pose un patch tous les trois mois, si à la troisième séance il n’y a pas de bénéfice, c’est qu’a priori ça ne marchera pas », précise la soignante.

Sa patiente vient pour la quatrième fois en un an et demi. Le dernier patch a été posé, il y a six mois, et l’amélioration est significative. « Les douleurs reviennent de façon toujours plus espacées dans le temps, se réjouit Françoise. Je peux de nouveau porter un vêtement, ce qui m’était insupportable avant. »

Elle repart après un point d’état précis, fait avec l’infirmière, sur son ressenti, sur les possibles réactions, et des conseils en cas de sensation de brûlure... Quatre à six patients sont pris en charge chaque matin, pour le même soin. D’autres viendront aussi pour une séance de mésothérapie à diffusion lente prescrite par un médecin, effectuée par une infirmière, pour une infiltration ou tout autre soin.

Douleurs rebelles

Les personnes malades qui sollicitent le CETD viennent toutes pour des douleurs restées rebelles à tout traitement conventionnel, quelle que soit la spécialité.

Que ces douleurs fassent suite à une intervention chirurgicale, une pathologie - cancer, polyneuropathie diabétique ou alcoolique, zona, amputation, fibromyalgie, un événement traumatique... ou qu’il s’agisse encore de céphalées ou de douleurs de l’appareil locomoteur.

« Ces patients représentent 17 à 20% de la population, rappelle Patrick Giniès, directeur du centre depuis trente ans. Leurs douleurs persistent alors même que la cause initiale a été traitée. »

Depuis longtemps déjà, le département d’« Algologie, psychosomatique, maladies fonctionnelles » montpelliérain, un des tout premiers en France, a développé une prise en charge innovante et non médicamenteuse du traitement de la douleur chronique.

Une approche pluridisciplinaire dont ce CETD, qui a fêté 41 ans en janvier2020, est un pionnier et une référence en France. Et les patients affluent : 1500 nouveaux passent la porte chaque année.

« La douleur chronique est un syndrome complexe. Elle est à la fois biopsychosociale parce qu’il y a le corps mais il y a aussi un versant psychique et un contexte personnel, familial, professionnel qui peut influer, explique le docteur Patrick Giniès. Elle demande une analyse dia-gnostique globale et pluri-professionnelle. »

Infirmières en première ligne

Dans cette écoute pluri-focale de la personne malade, les infirmières « ont un rôle majeur par le regard qu’elles portent comme soignantes à part entière, ou par leur diagnostic », insiste le médecin.

Six infirmières exercent ainsi dans cette unité qui a fait de la relation patient-soignant, une question centrale. En hospitalisation ou en consultation, elles interviennent en concertation avec des praticiens – neurologue, rhumatologue, gastro-entérologue, psychosomaticien et anesthésiste – tous algologues, ainsi qu’un psychiatre et deux psychologues, dans un service où travaillent ensemble une quinzaine de professionnels de santé.

Tous ont intégré dans leur approche l’intérêt de la méditation, de la musicothérapie, en place depuis bientôt vingt ans, ou encore de la psychothérapie. En bonne place aussi, dans le panel des soins de supports, l’hypnose ou l’hypnoanalgésie, le massage relationnel qui vise à soulager en mobilisant des émotions ou encore la relaxation et des techniques comme la Neurostimulation électrique transcutanée (TENS).

« Mettre en place une TENS par exemple, nécessite une heure quinze d’entretien car il y a un peu d’éducation à faire », indique Christèle Galizzi. L’infirmière reçoit généralement seule les patients qui lui sont envoyés par un médecin.

Dans une consultation d’une heure en moyenne, elle explique le processus antalgique, le fonctionnement de l’appareil, le programme à choisir... Après un test, ils sauront trouver les meilleurs points où poser les électrodes et être autonomes, puis la soignante assurera un suivi à un mois, trois mois et six mois.

« Pour tirer les meilleurs bénéfices de cet appareil, il faut l’utiliser trois à cinq heures par jour. Nous sommes donc là pour voir s’il n’y a pas de difficultés et les aider à l’utiliser au mieux», précise Christèle Galizzi. Ce faisant, deux tiers des patients obtiennent de bons résultats, selon le docteur Giniès.

Eduquer pour une meilleure gestion de la douleur

Cette échelle de douleur, modèle conçu par le docteur Ginies, comprend une bossette douce, utilisée pour tester la sensibilité des zones d'alodinie. © Myriem Lahidely

Au-delà des soins qui lui sont dispensés, le patient apprend ici à se reformater, se ré-harmoniser, à gérer sa douleur de façon plus autonome et à la transcender. « Ça n’a rien d’ésotérique ! » confie le directeur du département.

L’ETP (Education thérapeutique du patient), c’est, dès le début de la prise en charge, une étape incontournable.

Les infirmières, là aussi, tiennent le premier rôle. Objectif : déterminer ce que le patient sait, ou ne sait pas, de sa douleur, de son sens, de son mécanisme, et de ses traitements. « Il faut évaluer ce qu’ils prennent, les éduquer à ce sujet car ils ne comprennent souvent pas le sens de ce qui leur est prescrit », indique Caterina Régis, infirmière en place dans cette unité depuis vingt-deux ans.

Outre les antalgiques classiques, sont en effet prescrits des antidépresseurs ou des antiépileptiques, à petite dose. Il faut alors leur expliquer pourquoi, surveiller s’ils prennent la bonne posologie pour éviter des surdosages. « Nous faisons aussi le tour de ce qu’ils savent des facteurs de comorbidité, de l’anxiété ou du manque de sommeil, par exemple, qui aggravent la douleur », rappelle Dominique Gillet, infirmière ressource douleur au CETD du CHU de Grenoble – site de Voiron.

« Ces ETP leur apprennent à modifier leurs comportements et nous les revoyons à trois mois, six mois, puis un an, selon le protocole de l’ARS », indique-t-elle. 

Caterina Régis, qui a créé les premières consultations infirmières à Montpellier il y a un vingtaine d’années, a parmi ses prérogatives des consultations d’hypnoanalgésie.

Elle a pour ce faire, obtenu un Diplôme universitaire, après deux ans de formation. Elle mène ses séances de façon autonome avec des patients qui peuvent lui être adressés par un généraliste en ville ou par un algologue du service. « Quoi qu’il en soit, même si je les reçois seule en première intention et si je suis à même de décider si cela a un intérêt ou pas pour eux, ils seront toujours vus par un médecin à un moment ou à un autre, en début et en fin de suivi. »

Ou lors d’un bilan d’étape de séances d’hypnose, avec un gastroentérologue par exemple. Ceux qu’elle reçoit pour de la mésothérapie (injections d’anesthésiques locaux sur des points « gâchettes »), lui sont par contre adressés sur prescription médicale.

Des formations spécifiques

Le métier est difficile. « Nous sommes très axés sur le versant psychologique quand, dans un service traditionnel, un infirmier s’occupe surtout du biologique », évoque Dominique Gillet. Cela fait, entre autres, appel à une forte capacité d’écoute pour soutenir, tenir le rôle de coach, voire d’assistante sociale : contacter le médecin du travail, par exemple, songer à l’amélioration d’un logement...

« Cet exercice demande surtout de se remettre constamment en mouvement par rapport au métier, le dépasser en développant de nouvelles compétences », indique Dominique Gillet, soignante qui dépend du médecin chef de service, mais travaille de façon autonome en digitopuncture, en neuro-stimulation ou en hypnose.

« Les thérapies non médicamenteuses se sont développées dans nos départements douleurs parce que nous nous sommes formées », souligne justement Caterina Régis. Dans de grosses structures telles que Montpellier, Grenoble, Nantes ou Nice, comme dans les petites, les infirmières sont, de fait, toutes dotées d’une grosse expertise. « On ne peut exercer dans un CETD sans un parcours d’au moins cinq ans comme infirmière, avec un DU Prise en charge de la douleur comme autre condition sine qua non », indique Dominique Gillet.

Le cursus est complété de nombreuses formations, suivies selon les centres d’intérêt. Parmi lesquelles il y a l’hypnose ou la relaxation, comme à Montpellier, la sophrologie, l’étayage psychologique ou la digitopuncture, à Voiron, la magnétothérapie à Grenoble, par exemple. « L’accompagnement de chaque CETD diffère selon les formations de leurs soignants », précise-t-elle.

Pour aller plus loin : Formations DPC pour les infirmiers et infirmières

Visions croisées

Au CETD du CHU de Grenoble, Florence Gallo fait remarquer que « la prise en charge par toute une équipe a elle même un effet sur le patient. »

Cette infirmière ressource douleur et ses deux collègues travaillent avec des médecins, dont un pratique l’auriculothérapie, un autre l’acupuncture, et deux psychologues exerçant avec des outils comme l’EMDR (eye movement desensitization and reprocessing c’est-à-dire désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires) pour soigner les douleurs post traumatiques.

« Pour aller tous dans le même sens, chacun, soignant ou praticien, doit remettre en perspective ce qu’il ressent et le valider avec l’équipe qui a rencontré le patient », précise-t-elle.

Ces visions croisées sont le propre de tous ces centres « anti douleurs » qui accueillent des personnes aux histoires compliquées, parfois lourdes, toujours uniques. Ces professionnels les conduisent là où ils sont restés vivants, pour activer leurs ressources. « Nous les amenons à accepter, puis à réagir et à mettre en jeu de nouvelles façons de vivre », indique Florence Gallo. En bref, « nous les aidons à passer d’un cercle vicieux à un cercle vertueux. »

Myriem Lahidely

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UNE EXPERTISE À RECONNAÎTRE

Dans leurs consultations douleur, une partie des actes réalisés par ces infirmières spécialisées ne sont toujours pas cotés.

Ou s’ils ont une cotation (TENS, ETP ou hypnose par exemple), ils ne rapportent pas à l’hôpital. En outre, « notre métier n’est pas officiellement reconnu » rappelle Dominique Gillet.

La commission infirmières de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (www.sfetd-douleur.org) à laquelle elle participe, travaille à promouvoir cette expertise, et à faire valoriser les actes infirmiers.

« Nous avons déjà créé un profil type avec un référentiel d’activité qui édicte les champs de compétences et les métiers », précise-t-elle. Mais pour l’instant, il n’existe toujours pas d’IPA Infirmière en pratique avancée Ressource douleur. « Les IPA Infirmières en pratiques avancées n’existent que pour les maladies chroniques telles que le diabète, les insuffisances rénales, respiratoires et cardiaques, ou en psychiatrie », indique Muriel Perriot.

Seule infirmière dans le petit CETD de Châteauroux où n’ont lieu que des consultations, celle-ci est notamment formée en sophrologie et en thérapies brèves. Salariée à temps plein, elle assure, 1000 consultations par an en moyenne, tout confondu. « Il faudra attendre encore un peu pour une validation de l’IPA ressource douleur, mais cela avance pas à pas », confie Muriel Perriot. 

Actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article est paru dans le n°38 d'ActuSoins Magazine (Septembre - Octobre - novembre 2020)
Il est à présent en accès libre. 


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