Aude Michon : à Gustave Roussy les soignants dansent aussi

Aude Michon : à Gustave Roussy les soignants dansent aussi

À Gustave Roussy (Villejuif), centre francilien de la lutte contre le cancer, la danseuse Aude Michon s’invite au chevet des patients et leur propose de s’évader en musique, avec la complicité des soignants. Une intervention pour remonter le moral des soignés qui fait du bien au personnel hospitalier.

 
Clara Natalizio, infirmière, esquisse une bossa avec la danseuse Aude Michon, sous le regard amusé de sa collègue et d’une patiente venue pour sa séance de chimiothérapie.
Clara Natalizio, infirmière, esquisse une bossa avec la danseuse Aude Michon, sous le regard amusé de sa collègue et d’une patiente venue pour sa séance de chimiothérapie. © Antoine Lesieur

« Clara, viens danser avec moi ! ». L’appel qui résonne dans les couloirs de l’Hôpital de jour a de quoi surprendre les patients venus suivre leur traitement de chimiothérapie. C’est le cas de Christiane, 76 ans, allongée sur son lit, qui ne s’attendait pas à voir une jeune femme vêtue d’une robe colorée typique des années 1970 pénétrer dans sa chambre une enceinte portative à la main et lui demander si elle avait envie d’écouter de la musique. Une fois l’effet de surprise passé, le choix d’un morceau classique avec de la voix finit par s’imposer. Les deux femmes entament alors une danse avec les mains, sous les yeux émus du mari qui accompagne Madame en oncologie : « Ça change un petit peu, ça fait un moment de bonheur ! »

Cela fait maintenant huit ans qu’Aude Michon propose aux patients et à leurs accompagnants un temps de détente musicale costumé, rythmé ou non par quelques pas de danse. L’envie d’établir un partenariat avec le centre de lutte contre le cancer est à l’origine de ces déambulations hebdomadaires. Elles Dansent, son association, dispense des cours de danse collectifs pour les personnes atteintes du cancer, adaptés à leurs spécificités, leurs fatigues, leurs douleurs et aux effets secondaires des traitements. À l’époque, Gustave Roussy n’avait pas encore développé de structure spécifique entièrement dédiée aux soins de support et le choix s’était tourné vers une danse au chevet directement dans les services, d’abord en hospitalisation complète, puis en hôpital de jour, en proie alors à des problèmes de préparation des produits, générant impatience et insatisfaction auprès des patients parfois obligés d’attendre de longues heures l’arrivée de la pharmacie. « Son intervention a été très positive pour toute l’équipe, raconte Sylvie Psyché, cadre de santé à Gustave Roussy. Elle a amené de la légèreté et nous a aidés dans le lien avec le patient, qui a pu se focaliser sur autre chose. »

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Cet article a été publié dans le n°56 d’ActuSoins magazine (mars 2025).

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Réduire l’anxiété

L’Hôpital de jour accueille près de 200 patients à la journée, touchés par tous les types de cancer, et qui, selon les protocoles de chimiothérapie, viennent à différents rythmes depuis leur domicile ou du SSR où ils sont hospitalisés : toutes les semaines, tous les quinze jours ou toutes les trois semaines. Ils se répartissent auprès d’une dizaine d’aides-soignants et d’une vingtaine d’infirmiers qui effectuent les soins (chimios, transfusions, drainage et surveillance d’ascite…). Tous sont unanimes, à l’image de Clara Natalizio, infirmière en poste à Gustave Roussy depuis un an : « Aude est très bien accueillie par les patients et leurs familles. Sa venue atténue un peu l’anxiété générée par le passage en chimiothérapie mais aussi par les bruits environnants, comme les alarmes des pompes ».

Dans le service, la danseuse se déplace et pénètre dans les chambres au gré de son inspiration, tout en respectant une grande prudence et un cadre strict : elle n’intervient que pendant l’attente du soin ou durant la perfusion. Au moment des soins, la porte est refermée et Aude sait qu’elle doit s’éclipser vers d’autres patients ou faire son petit numéro dans le couloir. Elle ne reviendra qu’une fois la chimiothérapie branchée. Les gens peuvent alors bouger, ou même se lever et danser avec elle : la chimio étant généralement posée sur une chambre implantable en haut du thorax, ils restent complètement libres de leurs mouvements. L’isolement d’un malade contaminant reste le seul facteur de contre-indication.

“Sa venue atténue un peu l’anxiété générée par le passage en chimiothérapie mais aussi par les bruits environnants, comme les alarmes des pompes.”

Aude reprend sa déambulation dans le secteur Polynésie, mais tous les patients ne sont pas réceptifs à la musique. D’autres ne souhaitent pas être dérangés, comme ce jeune homme qui décline son invitation et préfère rester au calme. Respecter les goûts musicaux et les envies de silences de certains fait partie des contraintes que s’est fixées la danseuse, accueillant de la même façon un oui comme un non. C’est donc au milieu des chariots qu’elle entraîne dans une une salsa un aidant déjà croisé auparavant. Une fois par mois, monsieur R quitte Grenoble pour retrouver sa mère et la conduire à sa séance de chimiothérapie. « La dernière fois, nous n’avions pas dansé, mais nous avions chanté ensemble du Johnny. Ma mère vient ici tous les quinze jours et elle rigole en voyant ce genre de chose. Elle aime bien quand il y a de l’animation, je pense que ça lui fait du bien. C’est compliqué quand vous êtes malade et que vous arrivez dans un milieu où tout le monde est malade. Même si vous venez vous faire soigner, ce n’est pas ça qui vous remonte le moral. »

Dans la chambre suivante, c’est maintenant au tour de Tania, ASH dans la Meuse, de profiter pleinement du passage d’Aude durant sa séance. Cette dernière a enfin trouvé Clara et l’entraîne dans une bossa chaloupée, déclenchant l’hilarité de la patiente, qui, dès son injection terminée se joindra aux deux jeunes femmes. « C’est vraiment bien le jour où Aude est là, s’exclame l’infirmière, les patients sont plus détendus, plus souriants. Et nous, ça nous fait une petite parenthèse où l’on peut danser, s’amuser, chanter. Ça nous change de notre quotidien. » Le fait que le personnel se prête au jeu permet aux patients de voir les soignants autrement que dans le sérieux du soin. « Mon intervention change l’atmosphère, précise Aude Michon. Je me suis rendu compte que les patients vont encore mieux lorsque les soignants dansent ou accompagnent le mouvement. »

Pour les soignants aussi

Il en va de même pour les soignants : de voir que leurs patients vont bien leur fait du bien. « Pour nous aussi, c’est important quand on la voit arriver avec son sourire et ses belles tenues, confie Marjolaine Fougeat, infirmière à Gustave Roussy depuis 2013. On sait qu’elle va apporter de la joie et que ce moment un peu pénible va devenir plus facile à supporter pour tout le monde. »

 Le moral des soignants mais aussi celui des brancardiers et du personnel ambulancier est maintenant au cœur des préoccupations de la danseuse, surtout après la crise du covid, durant laquelle elle a pu observer la grande détresse des professionnels de la santé. Après toutes ces années à intervenir, la jeune femme a développé une facilité à expliquer aux équipes les modalités de son action et à les embarquer dans sa relation aux patients. Sa venue est désormais très attendue par les soignants, ce qui a eu pour effet de renforcer le dialogue. « Il y a de plus en plus d’échanges avec Aude, confirme Sylvie Psyché. Il nous arrive fréquemment de l’envoyer vers un patient si l’on sent que cela pourrait être positif

Stéphane de Langenhagen

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