Psychotrauma : la prise en charge se développe en France

Les personnes qui souffrent de stress post-traumatique dont les manifestations peuvent considérablement perturber leur vie, bénéficient désormais d’une prise en charge spécifique dans dix centres spécialisés. Des méthodes thérapeutiques spécifiques sont utilisées avec, au bout du chemin, une guérison possible. Article paru dans le n° 34 d'ActuSoins Magazine. 

L'équipe du centre psychotrauma Grand-Est, aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg

L'équipe du centre psychotrauma Grand-Est, aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg. De gauche à droite : Christian Kuntz, cadre infirmier, Pierre Vidailhetn psychiatre et responsable du centre, et Cédric Palacio, psychologue. © DR

La mise en place, depuis quelques mois, de dix centres spécialisés dans la prise en charge des personnes souffrant de psychotrauma à Lille, Lyon, Paris, Strasbourg, Dijon, Tours, Nice, en Occitanie et à la Martinique vise à favoriser leur prise en charge globale sur l'ensemble du territoire.

Elle existait déjà, dans les cellules d'urgence médico-psychologiques (CUMP), certains services de psychiatrie ou unités médico-légales.

Désormais elle est plus structurée. Suite à un appel à projet de la DGOS et de la délégation interministérielle à l’Aide aux victimes en juin 2018, des centres de références ont été désignés et dotés de moyens pour accompagner les patients, mais aussi pour développer la formation et la recherche sur les soins face au psychotrauma.

Effraction psychique

Ce trouble de stress post-traumatique est un trouble psychiatrique constitué qui peut survenir chez une personne qui a vécu « un événement qui a valeur de trauma », explique le Pr Pierre Vidailhet, psychiatre et responsable du service de psychiatrie d’urgences, de liaison et de psychotraumatologie (PULP) et du centre psychotrauma Grand Est, aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg.

Il peut s'agir d'un accident de la voie publique, domestique ou du travail, d'une agression, d'un viol, de violences conjugales, sexuelles ou familiales, d'un attentat, d'une catastrophe naturelle... « Un événement, ajoute-t-il, qui cause une effraction psychique » chez la personne qui réagira de manière gênante, voire handicapante, dans son quotidien.

Le psychotrauma peut se traduire de nombreuses façons. Le fait de se remémorer l'événement ou de se trouver dans une situation identique peut provoquer des conduites d'évitement : ces personnes ne peuvent plus conduire, sortir de chez elles, se rendre dans certains lieux ou traverser la rue...

Chez d’autres, cela se manifestera par des angoisses fortes, des cauchemars ou des insomnies. D'autres encore auront des réactions dissociatives, souligne Cédric Palacio, psychologue au centre du Grand Est, comme une perception du temps altérée, des activités automatiques, une anesthésie physique ou émotionnelle, de la confusion ou une déréalisation...

Lorsque ces symptômes surviennent pendant plus d'un mois, explique le Dr Frédérique Warembourg, psychiatre et coordinatrice du centre régional du psychotrauma au CHU de Lille, « il s'agit d'un stress post-traumatique constitué ».

Il est dit « simple », s'il est issu d'un événement unique et récent, ou complexe, s'il est ancien ou s'est produit de manière répétée. Il s'ajoute aussi parfois à d'autres difficultés psychologiques ou psychiatriques qui doivent faire l'objet d'une prise en charge spécifique.

Relation de confiance

Les soins peuvent débuter très tôt, en cas de psychotrauma aïgu, souligne Pierre Vidailhet. Ainsi une CUMP, comme celle de Strasbourg, peut être déployée sur un événement de grande ampleur (qui fait potentiellement un grand nombre de victimes ou qui impacte un grand nombre de personnes comme un attentat ou une catastrophe naturelle).

Dans ce cadre, explique Christian Kuntz, cadre infirmier au centre de psychotrauma du Grand Est, l'infirmier « cherche à repérer les gens qui ne vont pas bien, soit parce qu'ils sont en état dissociatif majeur, de sidération, dans une anxiété très importante ou de déni. On va essayer d'entrer en relation avec eux et leurs famille ou leurs amis de façon à les amener vers le poste d'urgence médicopsychologique » et les faire rencontrer un psychologue ou un psychiatre.

Même si cela ne semble pas nécessaire, il prend souvent les constantes de ces personnes, souvent choquées : cela permet d'établir une relation de confiance et de leur proposer plus facilement une aide psychologique, ajoute-t-il.

A ceux qui ne présentent pas, à ce moment-là, de signes de psychotrauma, ni ne demandent d'aide, il laisse toujours les coordonnées de l'équipe au cas où des symptômes se manifestent...

Ensuite, les patients peuvent être pris en charge dans certains CUMP, chez des professionnels formés et spécialisés, en ville ou en hospitalier, et notamment dans les centres régionaux nouvellement créés.

La guérison est possible

Autour d'un socle commun, le fonctionnement de ces centres et les outils  thérapeutiques utilisés peuvent varier de l'un à l'autre.

Au centre du Grand Est, à Strasbourg, les patients accèdent aux consultations spécialisées « psychotrauma » après avoir été adressés, indique le Pr Vidailhet, par un médecin ou d'autres professionnels (police, pompiers, associations d'aide aux victimes). Au centre de Lille, en revanche, ils peuvent aussi s'adresser directement à l'équipe.

L'équipe évalue la situation de chaque patient qui se présente avant toute prise en charge. A Strasbourg, indique Christian Kuntz, c'est l'infirmier qui reçoit les patients en premier.

Il réalise « l'entretien d'évaluation qui comprend une analyse clinique de la situation de la personne », avant qu'elle soit discutée en réunion clinique. Il s'agit de vérifier que la personne souffre bien d'un psychotrauma et qu'elle peut être prise en charge par l'équipe.

Les personnes qui présentent en plus d'autres troubles psychiatriques (schizophrénie, addictions, risque suicidaire, etc.) nécessitent d'autres types de soins et seront donc réorientés vers le CMP, le centre d'accueil et de crise ou une prise en charge psychiatrique classique.

Les psychologues et les psychiatres des équipes de psychotrauma assurent les soins, souvent avec succès : « le psychotrauma se guérit quasiment tout le temps s'il n'y a pas de comorbidité associée », souligne Stéphane Duhem, psychologue dans l'équipe lilloise.

Certes, il n'est pas possible de faire oublier au patient ce qu'il a vécu, ajoute-t-il, mais « on peut l'aider à transformer l'événement traumatique en un mauvais souvenir » qui ne l'empêchera pas d'être lui-même ni de reprendre le cours de sa vie. Les symptômes en effet peuvent disparaître.

Eventail thérapeutique

Stéphane Duhem, psychologue au centre régional du psychotrauma au CHU de Lille

Stéphane Duhem, psychologue au centre régional du psychotrauma au CHU de Lille. © DR

Les psychiatres et les psychologues qui soignent les patients, adultes comme enfants – pour ces derniers, la prise en charge, très spécifique, peut différer - sont formés aux spécificités du psychotrauma et aux méthodes thérapeutiques préconisées pour le traiter.

Pour les adultes ils misent principalement sur l'« exposition ». « On ré-expose la personne à l'événement traumatique qu'elle a vécu et à la conduite d'évitement » qu'elle a pu développer, explique le Dr Warembourg.

L'OMS et la HAS préconisent ainsi l'usage des thérapies cognitivo-comportementales et l'EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing, soit la « désensibilisation et reprogrammation par le mouvement des yeux »).

Dans la première, il s'agit par exemple de « reconstruire le souvenir, accepter et régler les difficultés », résume Stéphane Duhem. La seconde semble plus efficace sur les psychotraumas « simples ».

Les équipes peuvent utiliser d'autres outils thérapeutiques en fonction des formations de leurs membres. A Lille, l'hypnose sera parfois employée pour dépasser des « points de blocage ».

A Strasbourg, des membres de l'équipe utilisent aussi des thérapies des « Etats du moi » face aux personnes présentant des troubles dissociatifs, souligne Cédric Palacio, mais aussi des techniques psycho-corporelles ou bien l'Acceptance and commitment therapy (ACT, ou thérapie de l'acceptation et de l'engagement).

Selon lui, « pour être efficace au niveau thérapeutique, il faut se pencher sur plusieurs niveaux du psychotrauma : la pensée, les empreintes dans le corps des événements vécus et les émotions ».

Les médicaments sont rarement employés dans le traitement du psychotrauma sans co-morbidité à l’exception, de manière expérimentale, des bétabloquants dans certaines prises en charge spécifiques, qui s'en trouvent apparemment raccourcies.

Dans tous les cas, la durée de la prise en charge varie de trois-quatre séance à une quinzaine de consultations maximum, à raison d'une séance par semaine ou quinzaine. Elle s'arrête lorsque les symptômes disparaissent.

Soigner en réseau

Les centre de psychotrauma qui commencent à se structurer n'ont pas vocation à prendre en charge toutes les personnes touchées : leurs équipes, peu nombreuses, n'y suffiraient pas.

Ils constituent en revanche la tête de pont d'un réseau d'acteurs qui peuvent entrer en contact avec des patients : des consultations spécialisés psychotrauma d'autres villes, des CMP, des médecins libéraux, des unités médico-judiciaires, des services de psychiatrie… ou, sur le plan social, des associations d'aide aux victimes, par exemple.

Ces associations apportent aux professionnels du soin des connaissances précieuses sur certains types de violences et leurs implications sociales et juridiques, souligne Frédérique Warembourg.

Selon Pierre Vidailhet, « le psychotrauma présente des dimensions sanitaires, politiques, sociétales et judiciaires, en ce qui concerne la réparation » et la structuration des réseaux sur le terrain devrait permettre aux différents acteurs de mieux s'articuler.

Outre leur mission de recherche, essentielle pour continuer de développer un domaine de la psychiatrie peu investi jusqu'à présent, les centres de psychotrauma vont développer des actions de formation et d'information des professionnels, médecins mais aussi infirmiers de pratique avancée, ainsi que de sensibilisation du grand public.

Pour que les psychotraumas deviennent de plus en plus de « simples » mauvais souvenirs.

Géraldine Langlois

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actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article est paru dans le n°34 d'ActuSoins Magazine (septembre-octobre-novembre 2019)

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Favoriser la résilience post-traumatique partout en France

Agnès Buzyn et Nicole Beloubet, ministre de la Justice, ont installé à Lille, fin février 2019, le Centre national de ressource et de résilience (CN2R), porté par le CHU de Lille et l'AP-HP. Il n'a pas de mission de soin. Il est chargé de coordonner les dix centres régionaux de psychotrauma labellisés (plus deux indépendants) et d'outiller davantage les professionnels concernés.

La définition de bonnes pratiques se fera, avec la HAS, à l'issue des travaux de groupes de travail auxquels collaborent des patients partenaires.

Par exemple, l'équipe du CN2R, indique Guillaume Vaiva, chef du service de psychiatrie du CHU de Lille, un des deux responsables du centre*, a rencontré Luigi Flora, chercheur en sciences sociales et concepteur du « modèle de Montréal » qui valorise le savoir expérientiel des patients. Le CN2R va également développer des programmes de formation pour les professionnels, soignants ou pas, qui sont en contact avec des personnes souffrant de psychotrauma pour mieux le repérer et mieux prendre en charge les patients.

Au-delà, la nouvelle structure cherche à créer une « culture commune » et un langage commun aux intervenants, notamment via un dossier de soin unique qui pourra, une fois anonymisé, être utilisé à des fins de recherche, un des autres domaines que doit développer le CN2R.

Il a organisé son assemblée générale constitutive en avril et réuni début septembre son comité scientifique et d'orientation qui comprend vingt scientifiques et personnalités des sciences humaines et sociales, de la justice ou du monde associatif. Les deux instances de pilotage sont donc en ordre de marche et l'équipe opérationnelle est en cours de recrutement.

*avec le Pr Thierry Baubet, chef du service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Avicenne (APHP), à Bobigny.

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