Covid 19 à la Réunion :  un climat social tendu

Avec plus d’un mois de retard sur la métropole, La Réunion affronte le risque épidémique. Le virus a été identifié sur l’île le mercredi 12 mars. Dix jours après, 28 cas, importés de métropole ont été diagnostiqués. Des tensions montent parfois entre les professionnels de santé locaux et les soignants venus de métropole.

Hôpital de Cilaos, à la Réunion. © M.L

Préservée jusqu’à la mi-mars par son insularité, La Réunion fait connaissance avec le virus. Contrairement à ses voisines, Madagascar et Maurice, qui ont totalement verrouillé leurs frontières après avoir imposé des quarantaines et refusé des escales à des navires et des avions, La Réunion ne peut – et ne veut – pas renoncer au principe de continuité territoriale.

Encore en stade 1, La Réunion est soumise à compter du lundi 16 mars aux mêmes contraintes de confinement que la métropole.

Depuis le 12 mars, chaque jour amène son lot de nouvelles contaminations en direct de l’Hexagone. Voilà qui n’arrange pas le climat social, entre créoles et zoreils (métropolitains, ndlr) récemment (ou pas) arrivés.

 

Insertion professionnelle difficile

Ainsi, Émilie*, qui pratique l’alternance hôpital/libéral depuis 20 ans, a débarqué à La Réunion en novembre dernier pour raisons familiales, pensant trouver rapidement du travail salarié car ne voulant plus travailler en libéral. « C’est la première fois que les portes me sont ainsi fermées », s’étonne cette baroudeuse. Même pas un job mal payé à refuser. Rien. Une annonce, dans le cirque de Cilaos, lui redonne espoir. Et là, déconvenue… « Ils m’ont dit qu’ils n’embauchaient que des locaux, pas des métros (métropolitains, ndlr)… ».

Pour Julie, même mésaventure quoiqu’un peu différente. « Je suis allée sur le blog infirmier qu’on m’avait conseillé pour y trouver des conseils et des contacts. Et là, je suis tombée de haut en lisant les commentaires. Les propos étaient parfois menaçants avec une tendance indépendantiste… »

 

Toujours les mêmes profils

Pour l'un des animateurs du blog, certains propos sont déplorables, en effet. Mais il relativise  : « Quand on s’intéresse un peu à ce qui se dit sur les réseaux sociaux, on voit en effet ces commentaires apparaître et on s’aperçoit que ce sont souvent les mêmes personnes. Il y a de faux profils, mais aussi des vrais et je les repère assez facilement. C’est assez rassurant parce que finalement, ils sont peu nombreux. Et sur le terrain, sincèrement je ne constate pas cet état d’esprit. Les gens qui travaillent ne s’en prennent pas aux autres. »

 Pour Elisabeth, IDEL remplaçante, force est de constater qu’il s’installe parfois un esprit communautaire. « Je remplace très majoritairement des IDEL d’origine métro et, sur le terrain, je constate souvent que qui se ressemble s’assemble… » Pour autant, faut-il y voir un rejet du « zoreil »?

 

Une stratégie payante

Pour cette cadre infirmière qui tient à garder l’anonymat elle aussi, on ne peut pas parler de rejet sans essayer d’en comprendre les causes. « Nous n’avions jusqu’ici que 130 places en IFSI. Nous avions aussi beaucoup de jeunes qui partaient se former en métropole ou en Belgique parce qu’ils n’avaient pas été reçus à l’IFSI ici. Et bien sûr, ils veulent revenir, retrouver leurs familles. Ils veulent un emploi salarié à l’hôpital, pour les horaires et pour la sur-rémunération, il ne faut pas se leurrer. Mais les effectifs de l’hôpital ne sont pas extensibles et cela crée des frustrations qui peuvent déraper vers la xénophobie. »

Selon un infirmier interviewé, le problème de l’emploi est réel mais c’est aussi une question de stratégie : « Les infirmiers qui ont commencé leur carrière ailleurs veulent venir ici avec leur ancienneté, mais dans un contexte de plan de retour à l’équilibre pour l’hôpital, c’est compliqué. Pour avoir une chance, il vaut mieux démissionner en métropole et chercher depuis ici en repartant à zéro. C’est ce que j’ai fait et ça a marché. »

 

Des compétences, pas des origines

Notre interlocuteur souligne aussi la nécessité de présenter un profil spécialisé. C’est d’ailleurs ce point-clé qu’avait évoqué en 2019 Marc Lecardez, directeur du Groupe Hospitalier de l’Est de La Réunion, quand un syndicat lui reprochait l’embauche d’infirmières trop récemment arrivées sur l’île (lire aussi : Non-respect de la préférence régionale, des embauches font monter la fièvre au GHER de Saint Benoit) : « Nous recrutons sur le département de La Réunion des compétences, pas des origines. Quand vous recrutez un remplaçant, vous êtes contraint de tenir compte de l’expérience sur le pôle de soins, surtout quand il s’agit des urgences parce que vous n’avez pas la possibilité de passer trois mois à former un remplaçant. » 

A La Réunion, la question de la préférence régionale infecte souvent les relations sociales. La menace - grave - que représente aujourd’hui le COVID-19 suffira-t-elle à apaiser les tensions ? « Nous n’avons que 80 lits de réanimation et nous ne pourrons pas instaurer un pont sanitaire aérien vers la métropole », a averti mercredi 17 mars Martine Ladoucette, directrice générale de l’ARS Réunion, soucieuse de limiter l’épidémie.

Laquelle semble monter rapidement en puissance. Les infirmier.e.s vont devoir travailler tous ensemble, quels que soient l’origine du diplôme et le mode d’exercice, à l’hôpital ou en libéral. Sachant que les libéraux ne disposent pas encore de masques FFP2, autre sujet polémique

Mireille Legait

*le prénom a été changé

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Martine Ladoucette, directrice de l'ARS Océan Indien. © M.L

Lettre ouverte de Martine Ladoucette, directrice de l’ARS Réunion, aux infirmiers libéraux*

« Je tiens à vous confirmer que l’ARS a bien l’intention de considérer les infirmiers et pharmaciens libéraux comme les professionnels de santé éligibles, en toute première priorité à présent (…) à la distribution de masques chirurgicaux par prélèvement sur le stock État (…).

Je précise également que c’est bien parce que les quantités résiduelles aujourd’hui disponibles en officines ne permettent pas de distribuer équitablement, c’est-à-dire sans discrimination aucune entre les membres de ces deux professions (…), que je me dois d’attendre l’arrivée de la deuxième livraison des stocks État (…). Je précise enfin que, selon les indications publiques du Directeur Général de la Santé du 17 mars, cette livraison doit être à présent imminente, quand bien même La Réunion ne fait pas partie, selon les critères du ministère, des zones à forte circulation… (ndlr, le soir même La Réunion passait de 18 cas à 28 cas).»

*Adressée au président de l’URPS infirmiers OI le jeudi 18 mars 2020

 

 

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