La télémédecine va-t-elle bouleverser le métier d’infirmière ?

Cardiologie, gériatrie, dermatologie... La télémédecine touche toutes les disciplines. Et les projets foisonnent : plus d'une cinquantaine sont expérimentés en France actuellement. Les infirmières, libérales ou salariées, sont au cœur de ces démarches. Témoignages.

Marie-Odile Benoît, infirmière et cadre de santé à l'Ehpad Orpea de Saint-Rémy-lès-Chevreuse avec une patiente. ©Juliette Robert

Marie-Odile Benoît, infirmière et cadre de santé à l'Ehpad Orpea de Saint-Rémy-lès-Chevreuse avec une patiente. ©Juliette Robert

 Prise en charge des AVC en Bourgogne, des plaies en Picardie, téléradiologie dans la Sarthe... La télémédecine est en plein boom. Longtemps vue comme une pratique du futur, la médecine à distance devient aujourd'hui une réalité.

Les raisons ? Des technologies au point, un cadre réglementaire depuis la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009 et des financements via les agences régionales de santé. Dans chaque projet, les infirmières jouent un rôle central.

Mais suivant la discipline, l'impact sur leur métier est différent. Et surtout, tout dépend de la maturation du programme de télémédecine : la plupart étant tout neufs, les soignants y cherchent encore leurs marques. Anne-Marie Mercier, Marie-Odile Benoît, Marie-France Bezault et Christelle Clamont l'ont testé ou l'utilisent au quotidien. Elles témoignent.

 « Notre première réaction, ça a été l'angoisse...  »

Infirmière et cadre de santé dans l'Ehpad mutualiste de Plouisy, un petit bourg rural des Côtes d'Armor, Anne-Marie Mercier vient d'expérimenter la télémédecine pour des résidents atteints de plaies chroniques. « Leur évolution n'était pas favorable. Nous avons sollicité l'avis d'une spécialiste », explique-t-elle. Mais celle-ci consulte à l'hôpital de Paimpol, à 45 minutes de route.

Au lieu de transférer les patients - « ce qui aurait été compliqué et beaucoup plus cher » – les malades ont bu bénéficier d'une télé-expertise dans le cadre de Telehpad (voir encadrés). « Elle s'est faite au lit du résident », raconte l'infirmière. « J'ai défait et refait les pansements, tandis que le médecin coordinateur filmait les plaies avec une tablette numérique. On a transmis cela à la spécialiste qui nous a fait un retour rapide. Ce n'était pas très compliqué ».

L'infirmière y voit surtout des avantages. Pour les patients, une fois leur accord donné, « ils n'ont pas de stress car ils restent dans leur lit, et cela économise un VSL ».

Quant aux soignants, ils ont une rare occasion d'échanger avec un spécialiste. « On a leur avis sur les dernières bonnes pratiques, ça m'a permis d'améliorer mes connaissances et de mieux prendre en charge le patient », se félicite l'infirmière.

Pourtant, lorsque le matériel informatique est arrivé dans son Ehpad en début d'année, sa première réaction « a été l'angoisse », se souvient-elle. « Avec notre charge de travail importante, on se demandait comment on allait s'en sortir. Mais les tests se sont bien passés, on est rassurées ».

La prochaine étape ? Des formations, cet automne, pour l'infirmière et les aides-soignantes afin qu'elles soient autonomes pour réaliser, aux côtés du médecin, des télé-consultations et des télé-expertises pour la vingtaine de patients de l'Ehpad.

 « Un nouveau moyen de communication »

Marie-Odile Benoît est, elle aussi, cadre de santé en Ehpad. Elle exerce au sein de l'établissement privé Orpea qui accueille près de 400 résidents à Saint-Rémy-lès-Chevreuse, une ville cossue au sud de Paris.

Comme à Plouisy, le réseau de télémédecine (ici baptisé E-Vline, voir encadré) est en cours de déploiement. Une quinzaine de télé-consultations ont eu lieu depuis mai. Infirmières et aides-soignantes ont commencé leurs formations.

L'outil pour réaliser ces actes ? Un chariot équipé d'un ordinateur, d'une webcam et de matériel médical connecté (ECG, température, etc.) qui se déplace au lit du patient. « On a appris à l'apprivoiser. Car les symptômes habituels des patients on les connaît, on a davantage besoin de s'habituer au matériel », raconte Marie-Odile Benoît. Elle qui avoue ne pas être « une geek », elle trouve son utilisation « assez simple ». « Nous avons un classeur où toute la procédure est décrite pas à pas. Et lors de la consultation, nous sommes guidés par le médecin. On travaille sur dossier informatisé depuis longtemps, donc on a déjà cette culture », estime-t-elle.

Ici, la télémédecine est utilisée pour réaliser des consultations à distance en psychiatrie – et bientôt en cardiologie – ainsi que des consultations en urgence, la nuit et le week-end, avec un médecin de garde. Une solution qui rassure les aides-soignantes, en charge des résidents sur ces plages horaires. En se connectant sur le logiciel de télémédecine, elles peuvent voir la liste des médecins disponibles pour une consultation en visio-conférence. Lors du rendez-vous, elles prennent les constantes du malade sous supervision du médecin tandis que celui-ci reçoit les données en temps réel sur son écran. Il peut alors évaluer si le patient a besoin d'un transfert aux urgences, et établir un premier diagnostic.

 « Notre pratique est valorisée »

Infirmière libérale à Clermont-Ferrand, Marie-France Bezault s'occupe depuis deux ans de patients insuffisants cardiaques inscrits à Cardiauvergne, un programme de télémédecine bien installé en libérale dans cette région (voir encadré).

Son rôle ? Surveiller leur état de santé lors de visites hebdomadaires ou mensuelles et les aider dans la compréhension de leur traitement. « Je prends leur tension, je vérifie d'éventuels œdèmes, je les interroge sur leur poids, leur régime, s'ils ont eu des malaises, je leur fait des rappels de diététique... », énumère-t-elle. Des informations précieuses transmises par smartphone aux infirmières coordinatrices du programme.

« C'est très simple : une grille à remplir avec les données et nos remarques. C'est sécurisé avec un mot de passe et un code. Vos observations sont vues et s'il y a besoin on vous rappelle. On ne perd pas de temps avec un secrétariat. C'est un vrai plus car en libéral, on court après le temps », rappelle-t-elle.

Ses principales satisfactions ? Le bien-être de ses patients et la valorisation de son travail. « D'habitude, si on a des informations, on ne peut les transmettre à personne. Avec Cardiauvergne, tout est vu par un médecin. Si le patient va mal, il peut voir un cardiologue dans les 24 heures, on ne laisse pas empirer la maladie. Notre pratique est valorisée, on voit que ce qu'on fait, ce n'est pas pour rien ».

Le seul bémol ? Le financement – le talon d'Achille de la télémédecine. La consultation est rémunérée par la CPAM au tarif AIS4 (séance hebdomadaire de surveillance clinique infirmière et de prévention).

 « Le face-à-face avec les patients me manque parfois »

Infirmière-coordinatrice au sein de Cardiauvergne, Christelle Clamont est celle qui reçoit les données transmises par Marie-France Bezault et ses collègues libérales. Elle gère aussi, avec une autre infirmière, les « alertes ».

Chaque patient suivi doit se peser quotidiennement sur une balance connectée au logiciel de Cardiauvergne. Celui-ci analyse ensuite tous les résultats (poids, données des infirmières libérales, bilans sanguins, etc) et alerte les coordinatrices en cas d'anomalie.

« On appelle les patients pour comprendre la situation, discuter avec eux et évaluer la démarche à suivre », explique Christelle Clamont. Des patients qu'elle rencontre aussi lors de leur inclusion dans le programme.

Ce qui l'a séduit dans ce poste original ? L'éducation thérapeutique, à laquelle elle était formée. « Lorsque je travaillais en cardiologie, je voyais la phase aiguë de la maladie. Aujourd'hui, je vois la phase chronique. C'est un autre volet de la prise en charge du patient », explique-t-elle. Un travail essentiel concernant l'insuffisance cardiaque, première cause d'hospitalisation des plus de 60 ans (voir encadré).

« En période de phoning, le face-à-face avec les patients me manque parfois. Le soin technique, pas du tout » assure-t-elle. Son rôle de coordinatrice lui a ouvert une autre porte : la coopération entre professionnels. Médecins, pharmaciens... et infirmières libérales. « Je me suis rendue compte que quand le patient sort de l'hôpital, on ne leur donne aucune information. Au sein de Cardiauvergne, on discute vraiment de la prise en charge : les œdèmes, par exemple. Lorsqu'on reçoit les bilans sanguins, on les informe. C'est une relation d'égale à égale ».

 Amélie Cano / Youpress 

De quoi parle-t-on ?

Télémédecine : Pratique médicale qui utilise les nouvelles technologies pour mettre en rapport des patients et des professionnels de santé, ou des soignants entre eux.

Télé-consultation : Possibilité pour un patient, accompagné d'un soignant, de consulter en visio-conférence un médecin ou un spécialiste.

Télé-expertise : Lorsqu'un médecin sollicite l'avis d'un spécialiste. Cela peut se faire en direct (visio-conférence) ou en différé (envoi de photos, documents, données médicales... puis retour du diagnostic).

 

 Quels sont ces programmes de télémédecine ?

Telehpad : Développé par le Pr. Pierre Espinoza et la Mutualité des Côtes d'Armor, ce réseau regroupe 6 Ehpad, deux hôpitaux et un SSR. Le principe ? Faciliter le recours aux spécialistes dans les Ehpad. Ceux-ci sont dotés d'une salle de télémédecine, spécialement conçue pour ce type d'acte (ordinateur et écran large, lit, matériel médical, ligne internet dédiée, etc). Lancé en 2012, Telehpad sera opérationnel d'ici la fin d'année. Dans l'avenir, il souhaite ouvrir ses salles de télémédecine aux habitants de ces zones rurales, les Côtes d'Armor souffrant d'un manque de spécialistes.

 E-Vline : Lui aussi lancé en 2012, le programme porté par le groupe Orpéa est en cours de déploiement dans 17 Ehpad d'Ile-de-France, regroupant plus de 1700 patients. L'objectif : proposer des consultations en psychiatrie avec les spécialistes de ses cliniques du Val d'Oise et assurer des urgences médicales en lien avec la plateforme France Médecin. Côté technique, Orpéa a conçu son propre chariot de télémédecine sur-mesure.

Cardiauvergne : Plus de 650 patients insuffisants cardiaques ont bénéficié en deux ans de ce programme imaginé par le Pr. Jean Cassagnes. Le but ? Améliorer leur pronostic et éviter les ré-hospitalisations. Patients, infirmières libérales, pharmaciens, médecins : tout le monde participe. Les premiers sont équipés d'une balance connectée, les autres œuvrent au suivi médical et à l'éducation thérapeutique en lien avec la cellule de coordination de Cardiauvergne, liée au CHU de Clermont-Ferrand. Avec succès : la mortalité de ces patients a été divisée par deux, leur taux de ré-hospitalisation par trois.

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