ActuSoins : Quel a été le moment fort de ce reportage ?
Cha Gonzalez : Les soignants mettent en relation les patients avec leurs proches par WhatsApp. J’ai pu assister à la visite du mari d’une patiente qui était en phase de réveil après un passage sous ECMO. Grâce à son smartphone, il lui a permis de parler à ses filles. Celles-ci lui parlaient du futur, de voyages, lui donnaient de la motivation pour s’en sortir. C’était émouvant. Les équipes autorisent trois visites maximum par jour au total dans le service. Mais la plupart des familles préfèrent communiquer par WhatsApp quand les patients sont réveillés pour ne pas s’exposer. Les soignants demandent aussi aux familles d’apporter ou de déposer des photos, des objets auxquels les patients tiennent, avec des odeurs familiales.
ActuSoins : Quelles ont été vos relations avec les soignants et les patients ?
Cha Gonzalez : J’ai été très bien accueillie. Ils étaient attentifs pour que je puisse réaliser les images que je voulais. Du coup, j’étais assez à l’aise. L’un d’entre eux m’a dit que l’ambiance était beaucoup plus calme en ma présence. Pourquoi ? Je ne sais pas. Depuis trois semaines, c’était la première fois que je voyais des vrais contacts humains – et même avec le matériel de protection, un soignant qui réconforte un patient en le touchant c’est crucial. Et cela a marqué mon travail, mes photos.
Il faut dire aussi que je n’étais pas en terrain inconnu car j’ai déjà réalisé un reportage dans un service de soins palliatifs pour ActuSoins. Mais c’est différent. En palliatif, les patients étaient conscients. Je pouvais dialoguer mais en même temps, c’était dur car je savais qu’ils allaient mourir. Dans cette unité, en revanche, l’empathie est plus difficile car ils sont inconscients. On ne les voit pas rire, parler… De même, je ne voyais pas les visages des soignants, cachés par les masques et
les visières. Sauf en pause. Je ne pouvais donc pas capter leurs émotions sur les visages. Je me suis donc concentrée sur les gestes, les mains, les regards et le langage corporel. Moi même, je portais un masque FFP2 et une charlotte. Et quand il y avait des risques de projection, des lunettes et une surblouse en plus.
ActuSoins : Que retenez-vous du travail des soignants ?
Cha Gonzalez : Ils étaient en permanence aux aguets et prenaient très peu de pauses. Quand ils n’effectuaient pas un soin, ils surveillaient leurs patients au travers de la porte vitrée. Déjà, un certain nombre n’étaient pas formés à la réanimation et venaient d’autres services ou d’autres établissements. Ils ont dû se former sur le tas avec l’aide des IDE du service. On a l’impression que c’est un challenge pour eux, du fait de l’inconnu et que c’est motivant.
Ils disent aussi que c’est un travail un peu bizarre. A la différence des services classiques de réanimation, les patients ont tous les mêmes symptômes. Et aussi, ils sont beaucoup moins calmes quand ils se réveillent. C’est une caractéristique : ils sortent de la sédation paniqués. Ils sont hyper agités pendant la phase de réveil et
de passage à la respiration naturelle qui dure environ 48 heures, progressivement. Ils se débattent, arrachent leurs tuyaux, s’extubent eux-même, au point qu’il faut souvent les attacher. Du coup les soignants leur parlent beaucoup, les touchent beaucoup pour les rassurer. Pour les soignants, le fait qu’ils soient inconscients et l’absence de rapports directs avec les familles, cela dépersonnalise et c’est perturbant.
Les soignants se soutiennent aussi beaucoup entre eux. Ceux de l’équipe de nuit se faisaient des massages, se massaient les mains. Avec des horaires élargis, les enfants dont il faut s’occuper à la maison, ils sont fatigués.
Propos recueillis par Cyrienne Clerc
NB : les photos ci-dessus ont été spécialement choisies par Cha Gonzalez pour ActuSoins.
(1) Pour découvrir le reportage dans Libération :
– Le marathon des soignants de Saint-Denis contre le coronavirus
– Jamais dans notre service de réanimation nous n’avions accueilli 34 malades avec les mêmes symptômes
(2) Les reportages de Cha Gonzalez dans ActuSoins
– N°19 : Un centre pour soigner les maux des migrants
– N°22 : Au cœur de la démarche palliative
– N° 24 : SDF : un répit pour se soigner
– N°33 : Infirmier de santé au travail : passion prévention
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