Au centre de détention de Nantes, la journée démarre fort pour Marie-José, à l’UCSA (unité de consultation et de soins ambulatoires). Elle examine la gorge de l’un, grade la douleur cervicale d’un autre, qui semble à peine sorti de l’adolescence… Les infirmières y ont un rôle de diagnostic et d’orientation. Le quotidien, fait de bobologie, de maladies multiples et de réanimations en cellule avec le médecin, suppose polyvalence et expérience.
Les urgences récurrentes sont « les crises convulsives, les tentatives de suicide, les surdosages médicamenteux parce que le détenu veut dormir pour tout oublier… », détaille Béatrice Carton, médecin et chef de service de l’UCSA de Bois d’Arcy (78).
Les pathologies de la précarité, les addictions – chez la moitié des détenus – les maladies mentales – dix fois plus que dehors – y sont aussi monnaie courante (1). Nombre de patients initient là leur parcours de soins.
Une attention continue
« Tout passe par l’écoute et la relation, insiste Roch-Etienne Noto Migliorino (2). En une seule personne, on retrouve du somatique, du psychique, une histoire d’abandons, de pauvreté et de violences. Il faut de la distance pour absorber cela. » A plus forte raison en psychiatrie où, au contraire des UCSA, les soignants connaissent les motifs d’incarcération, pour des raisons d’objectifs thérapeutiques.
Dans la salle de soins nantaise, Brigitte reçoit un habitué. Elle se bat avec le pansement placé pendant la nuit par SOS médecins, sur un bras couvert de scarifications. L’homme a la main enflée à force de cogner contre la porte de sa cellule. Il répète d’une voix dénuée d’émotion qu’il veut mourir. Lui, est déjà suivi au SMPR (service médico-psychologique régional). « Si besoin, on peut facilement leur demander de l’aide. »
En 2015, il y a eu un suicide tous les trois jours dans les prisons françaises. Des malades psychiques décompensent. Des addictions s’amorcent. Les troubles psychosomatiques sont nombreux, et c’est souvent, pour les détenus, l’occasion d’entrer en communication avec les soignants. A Bois d’Arcy, les infirmières les invitent tous les cinq mois en consultation de suivi. Elles prennent le temps d’y évoquer l’alimentation, le sommeil, les codétenus, les parloirs…
Patients en perte d’autonomie
Maintenir les patients en bonne santé reste un pari, d’autant que les conditions d’hygiène favorisent les abcès, les cas de gale et de nombreux troubles dermatologiques. En mai dernier, la maison d’arrêt de Bois d’Arcy abritait 867 détenus pour une capacité de 500 places. « La surpopulation, c’est le cancer de l’administration pénitentiaire, juge Marie-Laure, infirmière à l’UCSA. La promiscuité accroît le risque de contagiosité. Le dépistage de la tuberculose est systématique à l’arrivée. »
Dans les établissements pour longues peines, la durée de la captivité permet au moins une continuité des soins. On y gère aussi davantage de maladies chroniques et de gériatrie. Selon la direction de l’administration pénitentiaire, 115 détenus étaient en perte d’autonomie, en 2012.
Les prisons s’adaptent. Depuis cinq ans, une auxiliaire de vie sociale du conseil départemental réalise les soins de nursing à Nantes. Un soulagement pour les infirmières et de meilleures conditions de toilette pour ces patients.
Mais certaines prises en charge sont impraticables en prison. « Nous avons vu des fins de vie ici. Autrefois, on envoyait les patients à l’hôpital au dernier moment. Ils y mouraient deux jours après, raconte Dominique, infirmier à l’UCSA. Ces situations n’existent plus. Les UHSI (unités d’hospitalisation sécurisées interrégionales) étaient le maillon manquant : on hospitalise plus tôt. »
Reste que ces réponses, si positives soient-elles, questionnent l’effectivité de la loi de 2002, qui prévoit la sortie anticipée des personnes présentant « un état de santé durablement incompatible avec leur maintien en détention ».
La prévention, mission essentielle
Les actions de prévention, mission essentielle, doivent s’adapter sur le fond et la forme à la vie carcérale. Les risques sont spécifiques. Une innocente tondeuse à cheveux partagée par plusieurs détenus peut devenir vectrice d’une maladie infectieuse. La sexualité entre détenu(e)s ou au parloir reste clandestine… La liste est longue.
Les professionnels de santé rivalisent d’imagination pour les concevoir. A Bois d’Arcy (78), les soignants ont organisé, en 2013, des ateliers sur l’alimentation et la sédentarité avec un éducateur sportif. Ils se sont conclus par un concours de cuisine soutenu par la Fondation M6, sur le modèle de l’émission « Top chef ». Une mise en pratique réalisée en cellule !
« Nous avions étudié 100 dossiers, qui ont révélé une prise de poids de quatre kilos en moyenne après quatre mois d’incarcération, rappelle Marie-Laure, infirmière de l’UCSA. Beaucoup ne mangent pas les repas fournis par la pénitentiaire. Et selon moi, les barquettes sont trop petites pour les gaillards d’ici. » Alors, ils grignotent une alimentation riche en féculents et en sucreries, acquise grâce à la « cantine », système qui permet d’acheter des produits pour améliorer le quotidien.
Les soignantes du centre de Nantes se sont attaquées à la constipation, répandue en détention. Mais dans certaines prisons, le nombre de participants aux ateliers de prévention est restreint. Les locaux adéquats manquent.
Rendre les messages accessibles
Comment faire passer les messages ? Patricia et le détenu-artiste Vilkidam (un pseudonyme) se sont rencontrés en consultation anti-tabac. L’infirmière lui a alors proposé de réaliser une courte bande dessinée de prévention. « Mon intérêt était juste de dessiner, au service d’une idée qui n’était pas la mienne. Nous en avons d’abord discuté car j’étais dans le flou sur ce thème », explique Vilkidam. Avec les infirmières, l’artiste a créé deux planches, présentant face-à-face les comportements sains ou néfastes. Dépourvu de texte, le message est accessible aux personnes illettrées ou non-francophones.
A Villeneuve-lès-Maguelone (34) encore, un détenu chargé de la rubrique santé d’un journal réalisé et diffusé en prison, assiste systématiquement aux actions de prévention. Le compte-rendu, validé par les professionnels de santé, est publié la semaine suivante.
Emilie Lay
Cet article est le deuxième volet du dossier “Soigner en prison” paru dans le numéro 21 d’ActuSoins (Juin/Juillet/Août 2016).
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Des solutions construites ensemble
Depuis fin 2014, Médecins du Monde mène de son côté un programme de santé communautaire dans les établissements nantais. « Le principe est de renforcer les capacités des détenus à s’emparer de leur santé », explique Marie Hornsperger, coordinatrice du projet. Outre la tenue régulière d’ateliers, les bénévoles de l’ONG descendent en cour de promenade avec les détenues à la maison d’arrêt des femmes.
Les infirmières et les surveillants sont invités à participer à la construction en commun de solutions, second pilier de cette initiative. Cela a abouti à la rédaction d’un livret d’accueil par les détenues. Objectif ? Réduire le stress de l’incarcération. « Elles ne comprenaient rien au livret distribué par l’administration pénitentiaire. » Relu par cette dernière et par les unités sanitaires, le nouveau document édicte notamment des « codes de conduite », pour une ambiance saine en détention.
(1) Prisons : quelle place pour la prévention de la santé, Inpes, 2014
(2) Auteur de « Infirmier en milieu carcéral », éd. Elsevier Masson, 2009
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