« Le métier est né avec la naissance de la circulation extra-corporelle qui a permis le développement de la chirurgie cardiaque. [Ces disciplines] ont donc une histoire commune qui a commencé après la seconde guerre mondiale, explique Dr. Guillaume Lebreton, chirurgien cardiaque à la Pitié-Salpêtrière (AP-HP). C’est alors que les premiers perfusionnistes apparaissent et que le métier se développe différemment selon les pays. »
La CEC permet de remplacer la fonction de pompe du cœur et/ou la fonction d’oxygénation des poumons sur courte ou longue durée. Un dispositif indispensable lors de chirurgies cardio-vasculaires (pontage aorto-coronarien, chirurgie de l’aorte …) pour lesquelles le cœur doit être arrêté artificiellement, mais pas seulement… (voir encadré).
Le perfusionniste ou praticien de CEC assure le bon déroulement des différentes étapes de la CEC, une surveillance biologique et hémodynamique du patient ainsi que le bon fonctionnement du dispositif (voir encadré). En France, la majorité des perfusionnistes sont infirmiers, souvent anesthésistes (Iade) ou de bloc opératoire (Ibode). Dans d’autres pays, la fonction est surtout assurée par des médecins ou des ingénieurs.
Dans le cockpit du bloc de chirurgie cardiaque
A la Timone (Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille), Yann Locquegnies, Iade de formation, est devenu perfusionniste au service de chirurgie cardiaque après une année de « compagnonnage », le mode de formation habituel, jusqu’à présent. « Nous suivons également une partie du cursus des Iade et Ibode, dont on connaît parfaitement les métiers, ainsi que des congrès et des formations assurées par les laboratoires qui fabriquent les consoles CEC. »
Au bloc opératoire, le perfusionniste est à distance du champ opératoire stérile. « Le chirurgien est dos à nous et nous faisons ce qu’il ne peut pas faire. Nous gérons toute l’hémodynamique et l’homéostasie du patient », explique-t-il, tandis que le chirurgien se concentre sur le geste opératoire.
Le perfusionniste est au cœur de deux binômes. Le premier se crée avec le chirurgien dont il est les mains sur la console de CEC. « On adapte les paramètres – pression artérielle, oxygénation – pendant l’intervention pour que le patient reste stable ». La communication est quasi militaire. Le chirurgien donne une indication que le perfusionniste répète et vice versa. « Les phrases du chirurgien sont toujours les mêmes et nous les connaissons », indique Yann Locquegnies. En amont, il aura « monté la CEC », préparé les consommables (canules, seringues notamment) et consulté le dossier d’anesthésie (antécédents, bilan biologique …) transmis par l’Iade.
Un second binôme est formé par le perfusionniste et l’anesthésiste. « C’est un métier complet, hormis le fait qu’il n’y ait pas de relationnel avec le patient. Par contre, on est en phase avec le chirurgien et l’anesthésiste », confirme Élisabeth Hirschauer, perfusionniste au service de chirurgie cardiaque de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) dans l’équipe du Dr. Lebreton. « Nous avons une grande responsabilité, lorsque par exemple nous manipulons des doses létales de potassium pour provoquer l’arrêt cardiaque (l’injection intracoronaire d’une solution de cardioplégie qui précède la mise en place de la CEC, NDLR). »
Avant de devenir infirmière perfusionniste, Elisabeth Hirschauer était infirmière polyvalente, puis instrumentiste de bloc opératoire. « J’ai surtout acquis mon expérience via le compagnonnage, auprès de mes collègues. »
Un master spécifique
Le mode de formation pour devenir perfusionniste évolue depuis la création, il y deux ans, d’un master en e-learning à Sorbonne Université. Les responsabilités et les spécificités du métier sont telles qu’une formation commune s’imposait, reconnaît l’ensemble de la profession.
La première promotion sera diplômée en 2022. Sur les vingt-cinq étudiants inscrits au master, une majorité sont IDE, Iade ou Ibode. Quelques médecins viennent compléter le groupe. S’il existait déjà un diplôme universitaire (D.U.), l’un dispensé à Bordeaux et l’autre à Paris, le master veut aller plus loin. « Ce projet de master en e-learning a été développé pour plusieurs raisons : sa dimension certifiante au niveau européen, une formation universitaire avec un coût acceptable et en distanciel pour que les cours théoriques soient accessibles aux professionnels où qu’ils soient sur le territoire, à la Réunion, Lille ou Marseille. Tout le monde a alors les mêmes enseignements théoriques », expose le Dr. Lebreton qui est responsable du master CEC et assistance circulatoire à Sorbonne Université.
Laurent Mathieu, perfusionniste depuis dix ans au CHU de Bordeaux intervient quant à lui dans le D.U. de Bordeaux sur la mini-CEC dans le cas de pathologies cardiaques chez les nouveau-nés. « Il y a très peu de paramédicaux qui le passent et pas toujours avec succès, reconnaît-il. Il est plutôt destiné aux réanimateurs et aux internes de chirurgie. Autre raison pour laquelle peu de paramédicaux le suivent : il n’est pas obligatoire pour devenir perfusionniste et il ne rapporte rien en termes de reconnaissance salariale. »
Avec le master, « l’idée est d’amener les gens à un niveau Bac+5 et de former des spécialistes en CEC et en assistance circulatoire, quel que soit leur cursus d’origine, et non de créer une nouvelle spécialité infirmière. Un nouveau métier qui sera, nous l’espérons, aligné sur une grille salariale d’ingénieur hospitalier, supérieure à celui des infirmiers anesthésistes ». Des discussions sont en cours avec les autorités de tutelle pour rendre le master obligatoire pour la pratique de la CEC et revaloriser financièrement les postes.
Un avenir certain
Le master prépare également les futures coordinateurs d’assistance circulatoire, une fonction vouée à se développer. « Nous avons fait d’une pierre deux coups avec ce master : nous formons des spécialistes de la CEC mais aussi de l’assistance circulatoire de courte durée (ECMO) et de longue durée (les cœurs artificiels). C’est l’avenir de la profession. », poursuit le Dr. Lebreton.
Ceux-ci accompagnent les personnes disposant d’un cœur artificiel partiel*. Yann Locquegnies remplit déjà une fonction similaire dans son service de la Timone. « Je m’occupe de l’éducation thérapeutique des patients ayant un cœur artificiel partiel implanté en leur expliquant le fonctionnement quotidien du dispositif et en rassurant les familles », explique-t-il.
Sandrine Lana
*Il s’agit d’une pompe et d’une turbine à l’intérieur de la partie gauche du cœur alimentées par des batteries externes.
Surveillance et monitoring
Le dispositif de CEC comprend une pompe artérielle qui doit assurer le débit sanguin à une pression adaptée, un réservoir veineux, un échangeur thermique permettant de faire varier la température du sang injecté au patient, un oxygénateur, et des filtres… Le principe ? Une canule placée dans l’oreillette droite récupère le sang désoxygéné qui est amené vers un système cœur-poumons artificiels où il sera oxygéné avant de repartir au niveau de l’aorte.
Le perfusionniste monitore les pressions aux différents niveaux du circuit, contrôle l’hémodilution (pour éviter la coagulation dans le circuit), surveille et adapte les paramètres hémodynamiques, la température corporelle ainsi que le débit et les pressions de perfusion en fonction des circonstances cliniques, sans oublier une surveillance attentive des gaz du sang, de la diurèse…
CEC : un outil, hors du bloc de chirurgie cardiaque
Côté bloc, les perfusionnistes interviennent ainsi pour des CEC en neuro-chirurgie (excision d’anévrysmes sous hypothermie, par exemple), chirurgie pulmonaire (chirurgie de l’arbre trachéo-bronchique, transplantation pulmonaire), chirurgie hépatique et même en chirurgie pédiatrique…. La CEC peut aussi être utilisée pour réchauffer rapidement les accidentés hypothermes et en soutien hémodynamique en cas de défaillance ventriculaire aiguë.
Les perfusionistes sont également sollicités pour les actes de prélèvements d’organes et de tissus, sur donneurs à cœur arrêté.
Hors du bloc de chirurgie, ils sont à la manœuvre pour assurer une suppléance, lors de défaillances cardiaques (chocs cardiogéniques réfractaires, par exemple) ou respiratoires.
Des ECMO pour les patients Covid (Lire aussi notre reportage réalisé à l’hôpital Nord de Marseille, en novembre 2020 : “En réa Covid, l’ECMO en dernier recours”
Ainsi, lors de syndromes de détresse respiratoire aigüe (SDRA) liés au COVID, l’oxygénation par membrane extra-corporelle (ECMO, voir notre article dans le dernier numéro d’ActuSoins), est pratiquée sur des patients intubés et sédatés. A Marseille, cela représente 30 à 40 % de l’activité des perfusionnistes. A la Pitié-Salpêtrière, plus grand centre d’ECMO de France, l’activité est montée en charge.
« Cela a représenté une grande partie de nos activités durant la première vague. Et depuis, nous n’avons pas arrêté. »,confirme Élisabeth Hirschauer, perfusionniste au service de chirurgie cardiaque de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP). L’État et les ARS gèrent la répartition de consoles d’ECMO sur tout le territoire. Une chance, pendant la précédente épidémie de grippe H1N1, de nombreuses machines avaient été commandées en prévision d’une nouvelle pandémie…
Des unités mobiles
Les unités mobiles d’assistance respiratoire (UMAC) – un chirurgien et un perfusionniste – se déplacent aussi au chevet des patients dans d’autres réanimations afin de mettre en place des ECMO. Le perfusionniste prépare le circuit et la machine et assure ensuite le transfert du patient vers des centres spécialisés pouvant les prendre en charge. Il y a aujourd’hui une quinzaine d’UMAC en France,
L’UMAC intervient notamment auprès des patients victimes de chocs cardiogéniques réfractaires ou de myocardite (ECMO arterio-veineuse pour assister à la fois le cœur et les poumons) et surtout, actuellement, de SDRA liés au COVID (ECMO veino-veineuse). L’UMAC de la Pitié-Salpêtrière a réalisé 150 ECMO veino-veineuse en Île-de-France pendant la première vague (en un mois et demi), autant que pendant une année entière. Ce qui a permis, la survie de 70 % des patients pris en charge qui n’auraient pas survécu sans l’ECMO, selon le Dr. Lebreton, chirurgien cardiaque, responsable de l’UMAC et de la CEC à la Pitié-Salpêtrière (AP-HP).
Cet article a été publié dans le n°40 d’ActuSoins Magazine (mars – avril – mai 2021)
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