En réanimation Covid-19, l’ECMO en dernier recours

Dans l’unité éphémère de réanimation Covid-19, ouverte en mars 2020 à Marseille, les soignants les plus expérimentés prennent en charge les patients les plus sévères. Ils surveillent les dispositifs d’assistance respiratoire par ECMO, dernière chance pour des patients dépêchés de toute la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Cet article a initialement été publié  dans le n°39 d'ActuSoins Magazine (Décembre 2020) suite à un reportage réalisé en novembre 2020, ndlr. 

Au lit d'un patient, Marie-Lou Zins et Marjorie Giraudo (infirmières) s'entraident

Au lit d'un patient, Marie-Lou Zins et Marjorie Giraudo (infirmières) s'entraident. Ici, le soutien des collègues "est indispensable", lance Marjorie. © M.S

En cette fraîche journée d’automne, une lumière rasante peine à traverser les fenêtres de l’hôpital Nord (Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille).

Devant les portes de l’unité spéciale du service de réanimation détresse respiratoire - infection sévères - (DRIS), Sabine Valéra, infirmière et major de soins enfile charlotte et masque FFP2 et noue son tablier jetable.

C’est un rituel pour chaque soignant qui entre dans cette unité réservée aux patients les plus graves touchés par le Covid qui nécessitent une oxygénation du sang par ECMO (oxygénation par membrane extracorporelle).

Une surveillance de tous les instants

Le patient, sédaté et curarisé, est ventilé en système clos

Le patient, sédaté et curarisé, est ventilé en système clos. La sonde d’aspiration est intégrée au dispositif, ce qui permet d’éviter toute projection lors de la déconnexion de la sonde d’intubation. Le respirateur (à gauche) permet d’assurer une ventilation mécanique protectrice. Le système d’assistance respiratoire d’ECMO (à droite) permet, lui, de pallier la défaillance des poumons du patient en assurant une oxygénation du sang. © M.S

L’ECMO, ultime moyen pour suppléer la défaillance pulmonaire et réoxygéner le sang, s’effectue grâce à deux cathéters de gros calibres placés dans les veines jugulaire et fémorale du patient (pour l’aller et le retour du flux sanguin) et d’une membrane extracorporelle d’oxygénation.

Immobile dans son box, un homme a les yeux clos. La machinerie autour de lui est lourde et nécessite une surveillance infirmière intense. Sous ECMO, il reste malgré tout intubé et ventilé pour préserver la fonction mécanique des poumons. 

Vers dix heures, l’interne, le médecin senior et les infirmiers visitent les patients, tous sédatés et curarisés. « Il faut pouvoir gérer l’ECMO, connaître les machines qui suppléent la fonction d’oxygénation des poumons et la surveillance des constantes vitales », explique Marie-Lou Zins, infirmière.

Dans un îlot de soins qui fait face aux chambres, les soignants travaillent et se coordonnent. Des alarmes retentissent autour d’eux. « Nous avons ici les infirmiers les plus expérimentés de la réanimation, indique la major de soins. Ce n’est pas possible de laisser cela à des débutants. »

Pourtant, l’augmentation des prises en charge a nécessité des renforts extérieurs, parfois novices en réanimation.

En mars 2020, tandis que l’unité s’est créée en quelques jours, de nombreux infirmiers d’autres services mais aussi des étudiants sont arrivés avec la volonté d’aider.

Si certains ont l’expérience technique nécessaire à la surveillance de ces patients lourdement appareillés, d’autres ne tiennent pas la cadence et ne s’habituent pas à la mort qui frappe très régulièrement le service, aux toilettes mortuaires, au défi psychologique...

Former ses pairs

La check-list des aides-soignants et des ASH

La check-list des aides-soignants et des ASH permet de vérifier que les équipements indispensables à la prise en charge d’un patient sont bien présents dans le box. Les IDE ont aussi une check-list. © M.S

Être infirmier dans ce service de réanimation requiert une grande rigueur dans le soin et une formation de l’ordre de six à huit semaines, dispensée à la fois par les pairs dans le service et dans un centre de simulation du CHU.

Dans l’idéal, les soignants évoluent en binôme et les plus expérimentés forment les novices pendant cette période. Dans les faits, le Covid a quelque peu modifié les habitudes et encore plus dans l’unité ECMO.

Certains ont été formés en une semaine. « Il m’est arrivé de former trois IDE en trois vacations d’affilée. Et lors de la dernière, il y avait en plus deux nouvelles aides-soignantes. J’ai appris à synthétiser les choses... », souligne Marjorie Giraudo, une des infirmières les plus expérimentées, pourtant entrée dans le service en juillet 2019.

Jean-Baptiste Verd est également jeune diplômé infirmier. Il exerce de jour après huit mois de nuit. « J’ai eu de la chance, dit-il, ma formation a duré six semaines mais ce n’est pas le cas de tout le monde… »

L’unité tourne aujourd’hui avec cinq infirmiers et trois aides-soignants en vacations de douze heures. Un médecin senior chapeaute l’unité, secondé par un interne. Un agent de service hospitalier (ASH) tourne, quant à lui, sur tout le service de réanimation de l’hôpital Nord.

Un turn-over important

Une gélatine circulaire a été placée sous la tête du patient qui vient d’être positionné en décubitus ventral

Une gélatine circulaire a été placée sous la tête du patient qui vient d’être positionné en décubitus ventral afin d’éviter tout contact direct avec le lit et pour libérer la sonde d’intubation, ce qui facilite les aspirations trachéales. © M.S

Mais le turn-over est important, ici comme ailleurs, et la ferveur de la première vague a disparu.  « Parmi les anciens, on sent l’épuisement et une perte de patience [à force de répéter les mêmes informations, ndlr]. On a l’impression d’aller à l’essentiel pour que les nouveaux aient les armes mais on a parfois l’impression que ce n’est pas suffisant pour faire ce que l’on fait. », reprend Marjorie Giraudo.

Jérôme, infirmier mobilisé pour la crise, prépare une prescription au sein de l’îlot central du service. Sa formation d’infirmier anesthésiste (IADE) a été suspendue et les étudiants ont été appelés en renfort (article publié en décembre 2020, ndlr).

« J’étais volontaire en mars mais là, c’est compliqué pour moi. On part avec un handicap dans la formation car nos deux stages ont sauté. Il y a dix ans, j’étais à la DRIS. Cela a bien changé », dit-il.

Sa connaissance de la « réa » est un plus pour le service, souligne Philippe Guilloux, interne : « Avec le flux de patients, ce n’est pas possible de demander à un IDE qui n’a pas fait de réanimation de gérer une ECMO. Il ne pourra pas. Il faut savoir réagir rapidement. Et avec le turn-over, c’est compliqué. Chez nous, les internes, il y a moins de turn-over. Cependant, il faut faire attention au burn-out. La charge de travail est difficile pour chacun d’entre nous mais les journées sont passionnantes. »

A (re)découvrir, en vidéo sur ActuSoins.com : "Regards croisés en Réa Covid"

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Un travail en équipe

Des lunettes de protection (ici des masques de ski « grand-public ») ont été offerts au service lorsque les soignants manquaient de matériel

Des lunettes de protection (ici des masques de ski « grand-public ») ont été offerts au service lorsque les soignants manquaient de matériel. © M.S

A 17 h, plusieurs patients sont retournés sur le ventre par une équipe de six ou sept soignants. Le décubitus ventral (DV) est indiqué dans le traitement des hypoxémies sévères des patients atteints de syndrome de détresse respiratoire aiguë et a fait ses preuves sur les patients atteints du Covid.

Les gestes doivent être précis et rapides, la coordination entre tous se fait par le regard et quelques mots.

« Dans les box, lors d’un décubitus ventral, je fais attention aux risques hémorragiques, aux tubulaires attachées avec un point de suture car le patient perdra tout son sang en moins d’une minute si les cathéters sont maltraités. Il faut être très méticuleux et travailler en équipe. » poursuit-Jean-Baptiste Verd, fatigué par ces derniers mois.

Le rôle de l’aide-soignante, « les yeux du service », selon Jean-Baptiste, est capital. Angélique Barra, aide-soignante dans le service depuis dix années, fait partie de ces « yeux ». « Avant un DV et l’arrivée du médecin, l’aide-soignante met le matériel en place (draps, lingettes, compresses…) et vérifie que tout le monde est en place », indique-t-elle à une jeune aide-soignante, arrivée ce matin en renfort.

C’est son premier jour en réanimation. « Ici, l’AS ne fait pas juste des toilettes, elle doit savoir alerter quand cela ne va pas dans le box, si une alarme retentit ou que nous voyons quelque chose d’anormal sur le scope. »

Les internes récupèrent les résultats des bilans et des examens complémentaires d’un patient

Les internes récupèrent les résultats des bilans et des examens complémentaires d’un patient. ©M.S

Comme ses collègues infirmières, elle n’a que quelques heures pour former la nouvelle. « Alors, je sélectionne dans mes connaissances essentielles : faire la toilette sans arracher, ni extuber… comment se référer aux IDE en cas de paramètres anormaux ? »

En vingt secondes, voilà le patient sur le ventre, un coussin sous la tête. Les infirmières surveillent les constantes sur le scope. Le médecin remercie l’équipe et repart contrôler les autres patients.

Ensuite, autour de patients endormis, l’ASH s’affaire dans la plus grande discrétion, vide les poubelles, ramasse les compresses et ramène le matériel pour remplir les boxes après les avoir nettoyés. « Ils sont aussi essentiels au service », indique Marie-Lou Zins en quittant la salle.

Tous les soignants que nous avons rencontrés montre des signes de fatigue intense. Mais rares sont ceux qui regrettent d’être là. « C’est très lourd mais je n’apprendrai jamais autant qu’ici. Je n’aurais jamais pensé vivre une crise sanitaire pareille pendant cette première année de vie professionnelle. », affirme Marjorie Giraudo, « l’une des piliers » de l’équipe, selon Sabine Valéra.

Il est 19 h, l’heure de la transmission. L’équipe de nuit arrive. On se sourit, on se claque les coudes en guise de bonsoir. L’effervescence requinque les soignants qui terminent leur intense journée.

En quelques minutes, en binôme, les infirmières de jour et leurs homologues de nuit repassent dans le box de leurs patients attitrés. On se donne les dernières informations, les points de vigilance… Marjorie, Marie-Lou et Jean-Baptiste peuvent quitter le service, jusqu’à demain. Rendez-vous à 6 h 45.

  Texte : Sandrine Lana

Photos, légendes, vidéo : Malika Surbled

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L’ECMO, un enseignement du H1N1

Le sang veineux est aspiré vers le circuit extracorporel

Le sang veineux est aspiré vers le circuit extracorporel à travers une canule insérée dans la veine fémorale, traverse une membrane qui permet de suppléer artificiellement la fonction pulmonaire d’épuration du gaz carbonique et d’oxygénation du sang, puis est réinjecté par une canule insérée dans la veine jugulaire. La plicature du circuit, l’hypovolémie, l’hémorragie et l’ischémie de membre sont des complications possibles, qui surviennent de manière précoce après l’implantation de l’ECMO. © Malika Surbled.

En août 2020, une étude publiée dans le Lancet Respiratory Medecine, menée par les membres du GRC-Respire de Sorbonne Université dans les unités de soins intensifs des hôpitaux de l’AP-HP, a montré l’intérêt de l’Oxygénation par membrane extracorporelle (ECMO) dans le traitement du syndrome de détresse respiratoire aiguë lié au COVID-19.

  Les conclusions suggéraient avant la deuxième vague que « l’ECMO pourrait être envisagée à un stade précoce pour les patients développant une défaillance respiratoire particulièrement sévère. » Ce qui a été fait.

La mise en place de l’ECMO pour des détresses respiratoires aiguë date de 2009 et de l’épisode de la grippe H1N1 alors que cette assistance était auparavant réservée à la défaillance cardiaque (post-opératoire).

« C’est quand même une technique de sauvetage », précise Sabine Valéra. Une fois que tout le reste a échoué. La Pitié Salpétrière (AP-HP) est le plus gros centre d’ECMO, avec 400 ECMO par an, et l’Hôpital Nord (AM-HM), le deuxième.

S.L

 

actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article a été publié dans le n°39 d'ActuSoins Magazine (décembre - janvier - février 2021)

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