Les heures supplémentaires à géométrie très variable

Les heures supplémentaires à géométrie très variable

Bien que les heures supplémentaires soient encadrées par des textes législatifs, réglementaires ou des conventions collectives, la façon dont elles sont gérées diffère fortement d'un établissement à un autre. Les cadres jonglent avec les soignants disponibles pour combler les trous dans les plannings et les établissements essaient de limiter les dépenses au maximum... Au lieu, selon certains, d'assurer des effectifs suffisants ? Article paru dans le n°31 d'ActuSoins Magazine (décembre 2018)
Les heures supplémentaires à géométrie très variable
© iStock / Jesper Elgaard

Claire*, infirmière en soins intensifs neurologiques, est sollicitée environ deux fois par mois pour remplacer un collègue absent, généralement dans son unité. « C’est très, très, rare que les heures supplémentaires nous soient payées », observe-t-elle.

Cela n’arrive que si la « vacation » proposée s’avère très difficile à pourvoir : en fonction de l’offre et de la demande, en quelque sorte.

Chaque soignant dispose d’un décompte de ses heures qui devient positif s’il a travaillé plus d’heures que prévu. « On nous fait alors récupérer les heures dès que possible », remarque-t-elle, car l’objectif est qu’il soit à zéro à la fin de l’année. « Ce n’est pas plus mal, cela me permet de ne pas travailler un jour qui m’arrange », commente Claire.

Récupérer…

Pour Rémi Delekta, administrateur de l’Association pour le développement des ressources humaines dans les établissements sanitaires et sociaux et directeur des ressources humaines (DRH) au centre hospitalier de Saint-Lô-Coutances (Manche), seuls 10 à 15 % des soignants qui effectuent des heures supplémentaires le font pour accroître leur salaire.

« Beaucoup sont prêts à dépanner pour récupérer du temps, avoir du temps pour soi », indique-t-il. Les cadres et les DRH sont en tout cas « sans arrêt dans le calcul des balances horaires », observe-t-il, afin qu’elles soient le plus proche possible de zéro, dans une temporalité où les « compteurs ne s’arrêtent jamais ».

Bien que certains décomptes affichent 50, 100 voire 200 heures en positif, « ce ne sont pas forcément des heures supplémentaires », précise le DRH. Et de nombreux établissements en difficulté financière ne peuvent les payer : ils proposent alors de les récupérer et/ou de les placer sur un compte épargne temps (CET)…

Celui de Claire affiche un solde positif de plus de 100 heures. « Soit je les récupère au moment de la retraite, soit je les prends en congés mais ce n’est possible qu’après avoir pris tous mes congés annuels et toutes mes RTT ».

Autant dire que les occasions sont rares. Lorsqu’elle était contractuelle, elle est arrivée à 122 heures supplémentaires sur son décompte. « Après 120 heures, il est possible de se les faire payer mais je ne le savais pas, raconte-t-elle. L’hôpital m’a proposé de prendre une journée de récup et mon solde est ainsi passé à 118 heures. J’ai pu en prendre en congé et les autres sont allées sur mon CET de titulaire. »

…Ou se faire payer ?

Les heures supplémentaires à géométrie très variableDans l’établissement où Valérie travaille en psychiatrie, les heures supplémentaires sont payées – ce qu’elle préfère, de loin, à la possibilité de les récupérer – mais leur nombre est limité à quinze heures par mois. Il faut dire qu’au-delà de la 15èmeheure supplémentaire, la réglementation concernant la fonction publique hospitalière prévoit une majoration financière supérieure (voir encadré).

Valérie n’accepte de faire des heures supplémentaires que la nuit car elles sont payées davantage que le jour (et sur des vacations de douze heures si possible!). Une nuit de dix heures lui est payée environ 450 € brut. C’est aussi plus facile à organiser par rapport à sa vie familiale.

Healico application

« Je fais des heures sup dans tous les types de service sauf en réa, en dialyse on en oncologie », indique-t-elle. Elle n’en a jamais effectué dans son service pour le moment. « Les cadres de garde en somatique ont la liste des infirmières intéressées et nous appellent, 95 % du temps à la dernière minute », raconte l’infirmière.

Elle est appelée « une quinzaine de fois dans l’année » mais ne peut donner suite qu’environ trois fois, essentiellement parce qu’elle doit respecter le repos de sécurité de douze heures minimum entre deux postes. Pour des raisons financières, confie-t-elle, « je préfèrerais en faire plus, comme beaucoup ».

Sandy, infirmière dans le service de soins de suite d’un hôpital, réalise cinq à six vacations supplémentaires par an – de préférence la nuit ou le dimanche – et ne souhaite pas en faire plus. Elles sont certes payées mais aussi imposables, regrette-t-elle (à partir de 2019, elles seront défiscalisées à nouveau, selon la récente déclaration d’Emmanuel Macron, NDLR). De toute façon, les soignants ne peuvent pas en faire si leur décompte d’heures est négatif.

L’établissement où elle travaille a adopté un service numérique de mise en connexion entre les cadres et les IDE disponibles. Les infirmières intéressées s’inscrivent en précisant leurs compétences et leur disponibilité. Quand un besoin de remplacement est identifié, les infirmières dont le profil correspond au poste reçoivent une notification et peuvent se positionner. « Les propositions disparaissent souvent très vite, observe Sandy. En gériatrie, par contre, une proposition de vacation peut rester quinze jours… » L’application permet aussi à un cadre de dialoguer directement avec un soignant et de lui envoyer une demande ciblée.

Application mobile

Ce système apparemment pratique – on n’est rappelé que si on se déclare disponible – a aussi ses travers. Les notifications ne sont pas forcément envoyées à toutes les infirmières concernées et elles ne sont donc pas au courant d’une vacation proposée dans son propre service…

Rémi Delekta considère cependant ce type d’application comme « très intéressant » : il fait gagner un temps précieux aux cadres et permet de cibler des soignants disponibles au lieu de les rappeler au hasard.

Selon lui, ces applications pourront bientôt être connectés aux outils de gestion du temps de travail des établissements et vérifier par exemple que la vacation acceptée respecte le repos de sécurité afin d’éviter les enchaînements de vacations problématiques.

Parfois, les heures supplémentaires s’accumulent sans qu’on y prenne garde. C’est le cas pour Sophie, infirmière en MCO (Médecine, Chirurgie, Obstérique) dans un hôpital où elle travaille à temps partiel (80 %)…

Elle ne souhaite pas effectuer d’heures supplémentaires mais lorsqu’une semaine contient un jour férié, six heures s’ajoutent à son décompte horaire, qu’elles soient effectuées ou non. Des heures qui se cumulent avec les dépassements d’horaire à la fin de certains postes, comptabilisés à partir de vingt minutes. « Dernièrement, j’ai comptabilisé 100 heures supplémentaires, soit plus d’un mois de travail. Elles ne sont payées que de manière très exceptionnelle », explique l’infirmière.

Elle tente donc de les récupérer lors de périodes où l’activité diminue un peu, en dehors des vacances scolaires. « L’idéal serait de cumuler plusieurs jours, constate-t-elle, mais c’est difficile. »

200 000 postes

Pour Patrick Bourdillon, secrétaire fédéral de la CGT Santé et action sociale, le principe même des « heures supplémentaires » pose problème : il montre que les établissements ne disposent pas des effectifs suffisants pour fonctionner correctement et dérogent au temps de travail légal. « Dans la fonction hospitalière, les heures supplémentaires et les CET correspondent à 200 000 postes d’agents hospitaliers », indique-t-il, dont potentiellement beaucoup de soignants.

Et le problème existe aussi selon lui dans le secteur privé. Les infirmiers, les moins bien payés d’Europe, selon Patrick Bourdillon, apprécient ce supplément de rémunération – quand les heures sont payées – et les établissements la souplesse voire la « flexibilité » que leur offre ce « temps supplémentaire », surtout quand il finit sur le CET des agents, ajoute-t-il.

Pour Rémi Delekta, « les DRH ne sont pas des fans absolus des heures supplémentaires, ni de l’idée de faire travailler les professionnels au-delà de leur temps de travail. Mais il sont soumis à la contrainte de faire tourner les organisations et de faire en sorte que les patients soient couverts de manière suffisante quels que soient les aléas et l’absentéisme. » Alors que l’intérim externe coûte cher et que les équipes de suppléances « ont aussi leurs limites », les établissement préfèrent souvent recourir à « l’interim interne ».

Géraldine Langlois

*Certains prénoms ont été changés

 

Actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article est paru dans le n°31 d’ActuSoins Magazine.

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Heures supplémentaires : les règles dans…

… la Fonction publique hospitalière

Les heures supplémentaires des infirmières de la FPH sont limités à 180 par an et 15 par mois (220 et 18 pour les infirmières spécialisées). Leur temps de travail effectif total ne peut dépasser 48 heures effectives par période de 7 jours. Elles doivent bénéficier d’un repos quotidien de 12 heures consécutives minimum et d’un repos hebdomadaire de 36 heures consécutives minimum. Les heures supplémentaires peuvent être récupérées par un repos d’une durée égale, placées sur un CET ou payées. Leur rémunération est majorée : 1,25 fois le taux horaire les 14 premières heures et 1,27 fois à partir de la quinzième. Cette majoration est doublée si les heures sont effectuées la nuit et augmentée des deux tiers les dimanches ou jours fériés. Majorations de nuit et de dimanche ou jour férié ne se cumulent pas.

… les établissements privés à but lucratif

Le temps de travail de 35 heures hebdomadaires dans ces cliniques étant considéré comme une moyenne sur l’année (limitée à 48 heures effectives par période de 7 jours), les heures travaillées en plus sont stockées dans un compteur temps et peuvent être récupérées. Sauf si un accord d’entreprise fixe un contingent (seuil annuel) d’heures supplémentaires, le maximum est fixé à 130 heures par an (70 en cas de modulation) mais il peut être dépassé.

La rémunération de ces heures est majorée de 25 % de la 36èmeà la 43èmeet de 50 % au-delà. Elles peuvent aussi être récupérées. Les heures effectuées au-delà du contingent doivent, en plus de la majoration, donner lieu à une récupération équivalente.

Le repos quotidien est fixé à 11 heures consécutives minimum (9 heures dans certains cas) et le repos hebdomadaire à quatre jours par quinzaine dont au moins deux jours (ou 48 heures) consécutifs.

…et les établissements à but non lucratif

Les heures supplémentaires effectuées dans ces établissements peuvent être récupérées en totalité ou en partie. Si l’aménagement de travail est établi sur deux semaines, les heures supplémentaires sont majorées de 25 % de la 71èmeà la 86ème et de 50 % au-delà. Sinon, elles « s‘apprécient compte tenu des modes d’aménagement du temps de travail retenu » et leur paiement est majoré comme le prévoit la loi. Le repos hebdomadaire est fixé à quatre jours toutes les deux semaines dont au moins deux jours consécutifs et le repos quotidien à 11 heures consécutives (sauf exception).

 

IADE : astreintes ou heures supplémentaires

Certains établissements demandent aux infirmiers anesthésistes (IADE), d’effectuer leurs « astreintes » dans l’hôpital… Doivent-elles alors être requalifiées en heures supplémentaires, dans la mesure où ces IADE ne sont pas à leur domicile, et rémunérées comme telles ? Ce que des IADE demandent parfois devant la justice administrative.

Mais la jurisprudence n’est pas claire. Des IADE de l’hôpital de Vitré ont saisi le tribunal, considérant que les « permanences » qu’elles devaient effectuer dans l’enceinte de l’hôpital entre 21 h et 7 h étaient considérées à tort comme des astreintes. Elles ont obtenu partiellement gain de cause en juin 2018.

De son côté, le Conseil d’Etat a jugé, en novembre 2017, que si l’employeur met « à la dis­po­si­tion des agents, pour les pério­des d’astreinte, un loge­ment situé à proxi­mité ou dans l’enceinte du lieu de tra­vail »,cela « n’impli­que pas que le temps durant lequel un agent béné­fi­cie de cette conve­nance soit qua­li­fié de temps de tra­vail effec­tif, dès lors que cet agent n’est pas à la dis­po­si­tion per­ma­nente et immé­diate de son employeur et peut, en dehors des temps d’inter­ven­tion, vaquer libre­ment à des occu­pa­tions per­son­nel­les ». Les temps d’intervention sont en revanche considérés comme des heures supplémentaires.

«  C’est le flou total, reconnaît Simon Taland, secrétaire général du Syndicat national des infirmiers anesthésistes. D’autres dossiers ont été portés devant les tribunaux et nous espérons que la jurisprudence va clairement trancher. Il existe beaucoup de dispositifs différents selon les établissements. Certains sont rémunérateurs, d’autre moins. Et tous ne sont pas dans les clous. Certains IADE font encore des gardes de 24 heures, ce qui est interdit, et d’autres dépassent les 48 heures par semaine ».

Heures supplémentaires : les textes de référence

Décrets n° 2002-8 et 2002-9 du 4 janvier 2002 et n°2007-826 du 11 Mai 2007 relatifs au temps de travail et à l’organisation du travail dans la fonction publique hospitalière ;

Décret n° 2003-502 à 507 du 11 Juin 2003 concernant l’astreinte, les heures supplémentaires, le compte épargne temps et l’indemnisation des jours de RTT non pris.

Convention collective nationale de l’hospitalisation privée du 18 avril 2002.

Convention collective nationale des établissements privés d’hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951.

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