Malheureusement, les données manquent cruellement pour corroborer ces statistiques. Myriam, la « petite infirmière dans la prairie » qui a participé à l’élaboration de la vidéo citée plus haut, convient aisément du caractère non scientifique de la statistique avancée dans ce petit clip des blogueurs infirmiers. « Nous avions vu une étude en Suisse, et au regard des témoignages de nos blogs respectifs sur la difficulté d’exercer ce métier nous nous sommes dits que le chiffre était certainement à peu près semblable ici aussi », explique-t-elle.
« Tous les jours » ou « avant la retraite » ?
Problème : non seulement l’étude en question concerne nos voisins helvètes, mais en plus, elle ne parle pas d’un nombre quotidien de soignants démissionnaires. Elle explique que 45,9 % des infirmiers quittent le métier avant la retraite, et chiffre la durée moyenne d’une carrière à quinze ans. Des faits inquiétants, mais qui sont loin de montrer que la moitié des soignants abandonne son métier tous les jours, ce qui est d’ailleurs rigoureusement impossible. « L’idée était de dire que si on continue comme cela, on va dans le mur », résume Myriam de manière beaucoup moins contestable.
Les chiffres avancés par le SNPI sont peut-être encore plus problématiques que ceux des blogueurs infirmiers. Sollicitée à de nombreuses reprises par ActuSoins, cette organisation n’a pas donné suite, mais on peut constater que les documents cités dans son article avançant que 30 % des nouveaux diplômés abandonnent au bout de cinq ans datent, pour les plus récents, du milieu des années 2000. De plus, ils se concentrent sur l’envie de quitter le métier plutôt que sur le passage à l’acte.
Manque de données
Le problème, c’est qu’il n’existe pas réellement de chiffres concernant la durée des carrières infirmières. Contacté par ActuSoins, l’Ordre national des infirmiers (ONI) a reconnu ne pas disposer de telles statistiques. Les rares données dont on dispose sont relativement anciennes, ou ne bénéficient pas d’un recul suffisant.
En 2008, par exemple, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la Santé publiait une analyse des sept premières années de carrière des infirmiers diplômés en 1998. Résultat : au bout de sept ans, 98 % exerçaient toujours la profession d’infirmier. Début 2019, la même Drees montrait dans une autre publication portant sur les infirmiers diplômés entre 2001 et 2013 qu’au bout de trois ans, 96 % sont toujours en activité.
Les Anglais se tirent les premiers
Bien sûr, tout cela ne signifie pas que la profession infirmière n’est pas difficile, et que les professionnels qui la quittent ne sont pas nombreux. Les témoignages à cet égard se multiplient. Certains reçoivent même un certain écho, comme celui de Mathilde Basset, jeune infirmière en Ehpad qui a décidé d’expliquer dans un livre* pourquoi elle ne voulait plus exercer. Mais l’ensemble des témoignages n’est pas suffisant pour assurer des statistiques fiables.
Ce genre de statistique est pourtant possible. En Angleterre, la BBC a révélé en janvier 2018 que le nombre d’infirmiers quittant le célèbre National Health Service (NHS) chaque année s’élevait à plus de 33 000, soit 10 % des effectifs totaux. Pire, la majorité de ceux qui s’en allaient avaient moins de 40 ans, et seulement un cinquième avaient plus de 55 ans, âge auquel un infirmier britannique peut prétendre à une retraite complète. Alors, à quand une grande enquête de même nature en France ?
Adrien Renaud
* J’ai rendu mon uniforme, Michalon, 2019
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