Hypnose médicale, la parenthèse anti-douleur

Hypnose médicale, la parenthèse anti-douleur

De plus en plus de soignants se forment à cette nouvelle prise en charge de la douleur et du stress. Rencontre avec des soignantes du CHU de Bordeaux où l’hypnose médicale fait l’objet d’une formation.

©Ariane Puccini Brigitte Auguié tenant une valve respiratoire en forme d'avion à hélice qui lui a déjà permis d'hypnotiser ses jeunes patients.
©Ariane Puccini

Brigitte Auguié tenant une valve respiratoire en forme d’avion à hélice qui lui a déjà permis d’hypnotiser ses jeunes patients.

Valentine, 70 ans, a fait une « belle promenade ».

Clouée au lit depuis plusieurs mois à cause d’une prothèse de la hanche inopérable, elle a pourtant pu marcher sur une plage basque, sentir la chaleur des rayons de soleil sur sa peau et la fraîcheur des vagues sur ses pieds, et le tout sans sortir de sa chambre de l’hôpital Xavier Arnozan, à Pessac, près de Bordeaux.

En réalité, cette excursion n’était que mentale. Elle a été possible grâce à Myriam Prigent, infirmière dans ce service de gérontologie, formée à l’hypnose médicale.

Pendant quarante minutes, alors que la chambre de Valentine était plongée dans le silence et une semi-obscurité, le lit abaissé à la hauteur de la chaise où était assise Myriam Prigent, celle-ci a guidé d’une voix grave la patiente sur les plages de Saint-Jean de Luz.

« La séance commence par des exercices de respiration, puis je lui fais ressentir toutes les parties du corps en contact avec le matelas. Ensuite nous partons vers une destination choisie par Valentine, où elle se sent bien», décrit l’infirmière.

« C’est un moment de complicité entre Myriam et moi, une complicité plus que verbale car nous avons partagé un moment de bien être toutes les deux », commente Valentine. Pas de pendule, ni d’injonction du type « au bout de trois, vous dormirez ! ». Et pourtant, il s’agissait bien d’une séance d’hypnose, pratiquée de plus en plus en milieu hospitalier.

A Bordeaux “une centaine de personnel formé sur tout le CHU, chaque année vingt soignants reçoivent une formation en hypnose.”
Depuis que les effets de l’hypnose sur les malades ont été mis en évidence par imagerie, de nombreux professionnels de santé se forment à cette pratique de prise en charge du stress et de la douleur du patient.

Au CHU de Bordeaux, elle fait depuis 2011 l’objet d’un diplôme d’université qui accueille chaque année une quarantaine de professionnels de santé : médecins, sages-femmes ou infirmières anesthésistes.

Le personnel paramédical, dont les infirmières, est également formé, en cinq à huit jours répartis sur plusieurs mois. Aujourd’hui, il y aurait une centaine de personnel formé sur tout le CHU, chaque année vingt soignants reçoivent une formation en hypnose.

Un lien de confiance

La méthode retenue dans le Centre Universitaire est l’hypnose ericksonienne, mise au point par le psychiatre américain, Milton H. Erickson au milieu du XXème siècle. Ce type d’hypnose doit aider le patient à accéder à ses propres ressources pour vaincre lui-même la douleur ou son stress, d’où l’absence d’ordres donnés au patient lors des séances.

« Nous sommes dans la communication, explique le Pr François Sztark, président du Comité de Lutte contre la douleur au CHU de Bordeaux, et chef de pôle anesthésie-réanimation. C’est une hypnose très douce, qui établit une relation particulière entre le patient et le soignant. On crée un lien de confiance. »

« Aider le patient à accéder à ses propres ressources pour vaincre lui-même la douleur ou son stress. »
Pour le Dr Antoine Bioy, Docteur en psychologie clinique, expert scientifique pour l’Institut français de l’hypnose, où ont été formés une partie du personnel soignant du CHU, le patient a un rôle à jouer dans cette hypnose.

« La douleur est une des 400 000 informations que reçoit le cerveau chaque seconde. On accorde beaucoup d’importance à la douleur car il y a une notion de pénibilité et de souffrance qui est subjective. L’hypnose permet de gagner en souplesse pour diminuer l’état de souffrance », explique-t-il.

Cependant, « on ne fait pas tout avec l’hypnose, ce n’est qu’un outil supplémentaire pour prendre en charge la douleur du patient », tient à préciser le Pr François Sztark.

La distraction, première arme

La première arme des soignants qui ont recours à l’hypnose est la distraction. Ainsi, « les enfants se prêtent bien à l’hypnose », ajoute François Sztark.

Vérification au service de radiologie de l’hôpital des enfants du CHU. Nathalie Le Clerc, manipulatrice en électroradiologie, se souvient d’un enfant de trois ans tombé d’un tabouret, recroquevillé en position fœtale dans les bras de sa mère. Apeuré et souffrant, il hurle et refuse de déplier la jambe sur laquelle il est tombé.

Nathalie Le Clerc doit donc faire diversion et entame avec lui une discussion sur la grande passion du petit patient, les petites voitures. Les tailles et couleurs des automobiles de l’enfant sont passées en revue tandis que la manipulatrice parvient à mettre en position la jambe sur la table de radio et découvre une « grosse fracture ».

« Avec les enfants, l’hypnose est facile car ils partent rapidement dans l’imaginaire. »
Grâce à cette séance d’hypnose dite distractive, l’enfant a cessé de se focaliser sur sa douleur et sa peur.

« Avec les enfants, l’hypnose est facile car ils partent rapidement dans l’imaginaire », analyse Nathalie Le Clerc. Princesses, jouets préférés, animaux fétiches sont ses soutiens dans les moments délicats.

« Pour les plus grands, dès cinq ou six ans, je peux réaliser une séance complète, où l’enfant commence à se concentrer sur sa respiration, oubliant les bruits alentours, avant de partir dans l’univers qu’il a choisi. A la fin, nous revenons très tranquillement à la réalité. »

Nathalie Le Clerc dispose également d’une arme infaillible : une caisse de jouets contenant des objets clignotants, aux couleurs chatoyantes, des caléidoscopes, des bâtons de pluie, des balles en plastique souple. La fascination des enfants est garantie.

Des mots interdits

Mais avant ces accessoires, l’hypnose repose sur une attitude à adopter. Les mots employés sont importants. « J’ai réappris à leur parler », raconte Nathalie Le Clerc.

Des mots sont désormais bannis dans le service : plus de « ne t’inquiète pas » ou de « n’aie pas peur » car le patient n’en retiendra que l’inquiétude et la peur.

L’implication des collègues est donc importante, pour ne pas rompre le charme pendant les séances d’hypnose. Brigitte Auguié, IADE au service de chirurgie ambulatoire du CHU, est la seule à être formée à l’hypnose dans son service et doit donc compter sur la complicité des autres professionnels.

Ainsi, tous sont priés de ne jamais prononcer le fameux « attention, je vais vous piquer » qui crispe immédiatement le malade.

Souvent, elle improvise comme avec cette patiente avec qui elle est partie à Venise depuis le bloc. Une chose est sûre, il faut être bavard, inventif et surtout ne pas perdre le fil. Brigitte Auguié a ainsi passé toute une intervention à chanter pour maintenir un enfant en état hypnotique.

Pour l’heure, l’infirmière anesthésiste ne pratique pas l’hypnosédation, l’anesthésie générale sous hypnose avec peu de sédatifs. « Il faudrait pouvoir rencontrer le patient avant l’intervention pour se préparer », regrette l’infirmière. Pas possible, pas assez de temps.

Et pourtant, le temps et la disponibilité sont des ingrédients importants de l’hypnose. Il est en effet compliqué de réaliser certains gestes, notamment ceux qui nécessitent de s’éloigner du patient. L’hypnose nécessite une présence continue du soignant. Elle favorise par ailleurs une relation particulière entre le patient et le soignant.

« Une relation d’égal à égal et de confiance », décrit Brigitte Auguié. Pour Myriam Prigent, c’est une parenthèse dans la routine du quotidien : « Lors des séances avec Valentine, je pars aussi, et ça me redonne de l’énergie ». La prochaine excursion mentale est déjà programmée. Valentine et Myriam sortiront ensemble au théâtre.

Ariane Puccini/YoupressActusoins magazine pour infirmière infirmier libéral 

Article publié dans le magazine ActuSoins.

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