Formation bientraitance : pour réfléchir à sa pratique

Formation bientraitance : pour réfléchir à sa pratique

Les formations à la bientraitance permettent de prendre un temps pour réfléchir à sa pratique professionnelle, revoir ses réflexes et ajuster certains gestes. Mais pour aller plus loin que “changer des petites choses”, les soignants pointent la nécessaire implication de tous - cadres, administration… - dans la démarche.

actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article a été publié dans n°45 d’ActuSoins Magazine (juin-juillet-août 2022).

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© Vincent Jarousseau/Hans Lucas

Les formations bientraitance sont parmi les plus populaires des organismes de formation.

C’est qu’il y a un véritable souci de bien faire, de « remettre régulièrement en question sa pratique », dit Véronique*, aide-soignante dans un Ehpad public en Vendée, qui a déjà suivi deux formations. Car « on prend vite des habitudes, qui ne sont pas toujours bonnes ». Comme ne pas attendre de réponse avant d’entrer dans une chambre après avoir frappé à la porte, voire ne plus s’annoncer du tout ou encore tutoyer les personnes à force de les côtoyer par exemple. Mais, « nous avons tous la volonté de bien faire », insiste Elisabeth, infirmière en service d’urgence, aujourd’hui à la retraite.

Siegrid Richard, infirmière aux urgences pédiatriques à Aix-en-Provence, a participé à une de ces formations en 2018. « Au départ, j’y allais un peu à reculons. C’est mon employeur qui m’y a envoyée. Formation bientraitance, cela sous-entend que nous sommes maltraitants ».

Céline Fiorentini, directrice d’un Institut de formation d’aides-soignants à Toulouse et formatrice à la bientraitance pendant quelques années, abonde : l’obligation de suivre cette formation est « plus ou moins bien vécue par les personnes qui se demandent pourquoi elles sont là. Cela envoie un message péjoratif ».

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Situations vécues

Cela dit, l’expérience a été bénéfique pour Siegrid. « A partir de situations vécues, nous devions dire comment nous avons réagi, comment nous avons ressenti et vécu la situation, ce que nous aurions pu faire autrement… ou ce que nous aurions fait face aux cas pratiques proposés par le formateur », explique Siegrid.

Cette formation lui a permis de réaliser qu’à leur échelle, « les soignants ont la possibilité de changer des petites choses. Il existe plein de solutions à notre portée mais que nous n’utilisons pas forcément. Comme, par exemple, donner un antidouleur pour un soin, ce qui ne prend pas plus de temps et permet au patient de mieux vivre le soin ». Ou encore de « baisser le volume de la sonnerie du téléphone la nuit » ou « celle du scope », « faire en sorte qu’il y ait des oreillers dans les lits » etc. « Mais c’est impossible de tout mettre en pratique par manque de temps et de personnel », prévient Véronique.

Mais surtout, ce qui a véritablement fortement marqué l’infirmière, c’est une phrase prononcée par le formateur. « La première personne avec qui vous êtes maltraitante, c’est vous. Si on se maltraite, on maltraite les autres », reprend-elle par cœur, quatre ans après la formation. Une révélation. D’ailleurs, elle a suivi le conseil : depuis, elle essaie de s’accorder du temps personnel pour se faire du bien. Au niveau pro, « [elle] [a] appris à dire non ».

Les formations se suivent mais ne se ressemblent pas. Pour Elisabeth, l’expérience en 2018 a été douloureuse. Un des exercices consistait à regarder des vidéos de mises en situation et dire ce qui n’allait pas. « Il s’agissait souvent de soins à domicile ou d’aide-soignante à l’hôpital. On voyait que ces personnes faisaient avec leurs moyens, pas par paresse ni maltraitance. Elles ne faisaient que s’adapter au domicile. Au bout de la première journée, j’étais effondrée, je me sentais mauvaise. Les autres aussi ressentaient la même chose », se souvient-elle.

La formation ne lui a pas été totalement inutile. Mais, si elle fait désormais davantage attention au vocabulaire employé, elle reste sceptique : « Qu’est-ce qui est gênant ? Qu’on appelle une couche une couche ou bien d’être souillé, dépendant et de devoir dévoiler son intimité et sa vulnérabilité ? ».

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Un engagement de tous… et de la direction

Le principe de ces formations, quelle que soit leur forme, repose sur la réflexion des professionnels sur leurs propres pratiques. « Mais, j’évite le yakafaucon, insiste la formatrice Céline Fiorentini. Surtout que les personnels soignants n’ont pas toujours les moyens dans leurs structures de mettre en place les changements qu’ils souhaiteraient. « Pour l’hygiène corporelle, nous suggérons le chariot douche ou la douche au lit mais ils n’ont pas forcément le matériel, cite-t-elle en exemple.

Il faut des moyens mais aussi un engagement de tous, insiste la directrice de l’IFAS. « Il faut que toute la structure soit impliquée dans la démarche et que cela s’inscrive dans une démarche qualité. La bientraitance c’est aussi déclarer les événements indésirables, garantir que ces déclarations sont bien accueillies, reçues, et prises en charge par la structure, mais aussi qu’elles provoquent des changements. »

Enfin, plusieurs des personnes interrogées ont relevé un paradoxe : ils suivent des formations sur la bientraitance alors qu’eux-mêmes se sentent maltraités au sein de leur institution. « Comment demander d’être bientraitant et dans l’empathie quand soi-même on n’est pas bien traité par les cadres, les cadres supérieurs, l’ARS, soutient Elisabeth. On ne peut donner que ce que l’on reçoit ». Siegrid conclut : « Je pense que cette formation devrait être obligatoire. Surtout pour les cadres ».

Alexandra Luthereau

*Les personnes dont seul le prénom est cité ont préféré de pas communiquer leur nom de famille.

Simulateur de vieillissement

© DR

« Nous employons souvent le terme d’empathie quand nous travaillons avec les personnes âgées. L’empathie c’est ressentir à la place des autres, mais nous ne savons pas ce que c’est que d’être âgé », explique Régis Lacour, formateur de formateurs au sein de l’organisme Compétences prévention, et auparavant aide-soignant pendant vingt ans. D’où l’idée d’une formation, pendant laquelle les « participants vont entrer progressivement dans la vieillesse » à l’aide de simulateurs.

Des lunettes spécifiques les confrontent aux problèmes ophtalmologiques (cataracte, DMLA, baisse de la vue…). Des équipements les rendent sourds. Des simulateurs de tremblements leur font vivre les symptômes de maladies comme Parkinson. Des poids leur sont également ajoutés aux chevilles et aux poignets pour leur faire prendre du poids. Non seulement, ils vivent les symptômes de la vieillesse mais ils doivent également mener des activités du quotidien, comme monter un escalier, jouer au loto ou répondre au téléphone.

« Avec ces équipements, ils se rendent compte concrètement des difficultés. Et de l’importance par exemple d’ouvrir son pot de yaourt à une personne avec une cataracte. C’est du bon sens, mais la formation permet de revoir ses réflexes et ses bonnes pratiques. De retour dans leur établissement, ils voient les personnes âgées d’un œil différent. Et adaptent leurs pratiques ».

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Simulateur du vieillissement : une formation en faveur de la bientraitance

A.L

Analyse des dispositifs de formation

En juin 2021, la Chaire Transitions démographiques transitions économiques (TDTE) a publié le rapport « Analyse des dispositifs de formation de bientraitance des soignants en EHPAD ». Il révèle que ces formations ont un « impact significatif sur le bien-être des personnes âgées et sur les conditions de travail des soignants ». Ce qui peut « améliorer l’attractivité du métier d’aide-soignant » et « avoir un impact sur les dépenses des structures, avec notamment une diminution du recours aux neuroleptiques et psychotropes ».

Pour que ces formations soient utiles, l’étude a mis en exergue trois conditions : l’engagement de l’établissement dans la recherche d’un projet de bientraitance, la capacité à former des non-professionnels (familles, aidants informels ou encore bénévoles) et la mise en place d’un processus de labellisation continu.

A.L

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